par Naji El Khatib – Soixante-quinze ans après la Nakba, la société israélienne a de plus en plus évolué vers l’extrême droite. En quoi ce glissement toujours plus à droite est-il une occasion à saisir, et comment en tirer le meilleur parti ?
La mince frontière entre l’État sioniste en tant qu’appareil et sa société de colons s’amincit de plus en plus, et sa réalité en tant qu’entité colonisatrice du fleuve à la mer, et pas seulement en Cisjordanie, est de plus en plus évidente.
Les résultats des élections de l’an dernier et les décisions politiques qui ont suivi ont révélé la véritable nature de la « seule démocratie du Moyen-Orient » : Des fonctionnaires ouvertement fascistes, des projets de loi qui menacent de prison les chrétiens pour avoir parlé de Jésus et, bien sûr, des pogroms incessants.
Le nouveau gouvernement fasciste d’Israël : une occasion à saisir
En prétendant que tous les Juifs du monde forment une seule nation dotée de « droits collectifs », y compris le droit à un État qui leur soit exclusif en Palestine, le sionisme est par essence une idéologie de colonisation de peuplement raciste. Toutefois, il essaie depuis longtemps de l’embellir en usant de toutes sortes de masques et de prétentions, fournis par ses religieux et ses laïcs soi-disant libéraux, ses défenseurs de droite, et surtout ceux de gauche.
L’un des mensonges du sionisme a consisté à s’attribuer une dimension laïque. En réalité, tout le sionisme repose sur des revendications religieuses mythiques : Theodor Herzl, l’ « athée », déclara en 1904 que « le territoire de l’État juif s’étend du ruisseau d’Égypte à l’Euphrate » (The Complete Diaries, vol.II, p.712). Le rabbin Fischmann, membre de l’ « Agence juive pour la Palestine », a déclaré que « la terre promise s’étend du fleuve d’Égypte à l’Euphrate et comprend des parties de la Syrie et du Liban » (témoignage devant le comité spécial des Nations unies le 9 juillet 1947).
Le prétendu athée laïque et libéral tient le même langage que le rabbin. Un autre mensonge consistait à dire qu’il s’agissait d’un mouvement démocratique, seulement soucieux « du droit à l’autodétermination du peuple juif », et d’un mouvement socialiste dont l’objectif était la création d’une société juive travailliste.
Aujourd’hui, cependant, l’actuelle coalition gouvernementale de droite, d’extrême droite et des fascistes s’est débarrassée de ces mensonges et du mythe de « plusieurs sionismes », et annonce impunément son programme visant à mener à terme la réelle mission du sionisme, qui a commencé en 1948 et avant : la colonisation de la Palestine en recourant à une nouvelle campagne de nettoyage ethnique pour la vider de ses Palestiniens.
Ainsi, s’il y a un aspect positif à ces élections, c’est la mise à nu de la véritable nature du sionisme, et l’incompatibilité entre l’existence d’un « État juif » et d’un « État démocratique ».
Ceci soulève nécessairement des questions cruciales quant à l’évolution de la société israélienne vers davantage de racisme et le rejet de « l’autre » : le Palestinien.
Comment tirer parti de cette occasion ?
Le sionisme doit être compris pour ce qu’il est : Un mouvement colonisateur de peuplement par lequel des colons juifs, principalement européens, remplacent les autochtones palestiniens, c’est-à-dire la destruction de la société palestinienne et son remplacement par une société israélienne créée artificiellement.
L’antithèse fondamentale à ceci est donc une idéologie et un mouvement qui remettent en question son essence en tant qu’idéologie sectaire : l’appel à la création d’un seul État démocratique dans toute la Palestine historique.
Un tel État ferait une distinction entre les individus et les mouvements, comme le sionisme, qui représentent une menace pour sa société et ceux qui n’en représentent pas une, mais dépolitiserait l’identité et refuserait toute ségrégation sur la base de la religion ou de l’appartenance ethnique. Une telle proposition politique représente la seule solution possible, juste et éthique à l’occupation de la Palestine.
L’obstacle évident à une telle solution démocratique est, de toute évidence, le sionisme, dont il est l’antithèse. Paradoxalement, l’évolution récente vers un sionisme impudemment destructeur représente une occasion de promouvoir le récit d’un État démocratique unique, et ce pour au moins deux raisons.
La première est interne à la société israélienne. Tout comme les premiers partisans du nazisme ont fini par voir les atrocités qu’il a infligées à l’Allemagne et à l’Europe, de nombreux partisans actuels du sionisme verront nécessairement les abominations qu’il attire à eux-mêmes et à d’autres.
En voici quelques exemples :
- En politisant l’identité juive et en affirmant que les Juifs du monde entier forment un peuple distinct, le sionisme aliène également, ou davantage, les citoyens de confession juive de leurs propres États et sociétés.
- Le sionisme a également été la source de luttes intestines et de désillusions au sein même de la communauté diasporique, par exemple en dévalorisant la culture juive non israélienne (par exemple, l’abandon du yiddish au profit du seul hébreu) ou en détournant des fonds des communautés qui les ont levés, au profit d’Israël.
- L’entreprise coloniale sioniste est également coupable d’avoir placé les Juifs dans la ligne de mire de la résistance palestinienne, que ce soit par l’endoctrinement, la coercition ou d’autres moyens. Cela met à nu son mensonge fondamental prétendant offrir aux Juifs un havre de sécurité en Palestine.
- Ce qui précède réduit effectivement l’identité juive au colonialisme aussi bien aux yeux des Juifs que des non-Juifs, et provoque involontairement une montée de l’antisémitisme.
La seconde est externe à la société israélienne. Le soutien international à Israël décline à mesure que sa nature fasciste se dévoile. Cela se manifeste par le nombre croissant de médias, d’ONG, de partis politiques, de mouvements politiques et d’organismes internationaux qui se rallient à sa condamnation en tant qu’État d’apartheid ; ainsi que par l’évolution récente de l’opinion publique à l’égard d’Israël, qualifiée de « menace stratégique » par l’Institut israélien d’études de sécurité nationale.
Ces évolutions constituent des jalons potentiels dans la prise de distance des communautés juives vis à vis du sionisme. Elles ouvrent également la voie à la condamnation internationale et à l’isolement du régime d’apartheid israélien, ce qui pourrait s’avérer crucial pour son démantèlement, comme ce fut le cas pour le démantèlement du régime d’apartheid sud-africain.
Un instrument pour un « État démocratique unique » : The ODS Initiative
Les occasions qui se présentent à nous ne doivent pas être considérées comme acquises. Pour les exploiter, il faut que les militants antisionistes s’organisent autour d’une solution politique de rechange.
The One Democratic State Initiative » (Initiative pour Un seul État démocratique), lancée récemment, a pour objectif de constituer un tel réseau. Comme le mentionne son site web, www.odsi.co : « Les discours actuels tendent à être trompeurs ou racistes, ou à détourner l’attention des principaux enjeux. L’Initiative vise à atteindre le stade où la question principale qui se pose, ‘Un État démocratique ou un État juif ?’, soit au premier plan du discours politique concernant l’occupation et la libération de la Palestine. »
L’initiative précise en outre que son objectif est de « mobiliser les individus, les entités et les partis politiques, en Palestine et à l’étranger, en faveur d’une telle entreprise » et qu’elle « s’adresse à la fois en ligne et sur le terrain aux individus et aux groupes qui soutiennent la solution d’un seul État démocratique, aux individus et aux groupes qui voient le sionisme pour le danger qu’il représente mais qui ne soutiennent pas la solution d’un seul État démocratique, ainsi qu’à tous ceux qui sont prêts à écouter ».
Cet appel à une action politique organisée, ralliée autour d’une vision politique qui constitue l’antithèse du récit sectaire du sionisme, est la réponse appropriée à la dérive toujours plus à droite d’Israël : Une occasion historique pour la lutte en faveur d’un seul État démocratique en Palestine.