Après la mort d’au moins 33 de ses soldats ce jeudi en Syrie, le gouvernement turc d’Erdogan menace d’ouvrir « les portes de l’Europe » aux migrants si l’UE ne lui apporte pas son soutien face aux forces armées du régime syrien de Bachar Al Assad soutenues par l’aviation russe. Encore une fois, le peuple syrien paient les frais des tensions géopolitiques dans la région, tandis que les migrants servent de monnaie d’échange avec les occidentaux.
Mones Chaieb, Révolution permanente, 28 février 2020
Au moins 33 soldats turcs ont trouvé la mort ce jeudi suite à des frappes aériennes dans la province syrienne d’Idlib, proche de la frontière turque. Les frappes « de précision », selon des experts militaires turcs, se sont abattus sur un immeuble de deux étages à Balyoun, où les soldats s’étaient réfugiés après le bombardement de leur convoi. Ce sont les pertes les plus importantes subies par l’armée turque depuis le début de l’intervention militaire en Syrie, portent à 54 le nombre de soldats turcs morts dans la province d’Idlib depuis le mois de février. En réaction, le ministère turc de la défense a affirmé avoir ordonné en représailles des frappes contre les positions de l’armée syrienne, « neutralisant » 309 soldats du régime de Bachar Al Assad. Ces événements marquent une escalade dans la région, les frappes aériennes de ce jeudi étant elles-mêmes interprétées par les observateurs comme une réaction à la prise de Saraqeb par les forces turques.
La crise d’hégémonie de l’impérialisme américain a accentué les tensions au Moyen-Orient
C’est le retrait des forces impérialistes américaines de Syrie qui avait laissé la voie à l’armée turque pour envahir le Kurdistan syrien en octobre dernier. Avec la complicité de Donald Trump, le chef d’Etat turc Recep Tayyip Erdogan annonçait sa volonté d’en finir avec les aspirations du peuple kurde à l’indépendance, en installant une « zone tampon » à la frontière syrienne et en procédant à un nettoyage ethnique pour y installer une partie des quelques 3,5 millions de syriens réfugiés en Turquie suites aux exactions du régime de Bachar Al Assad après le soulèvement populaire de 2011. L’accord conclu avec Vladimir Poutine pour créer une « zone de sécurité » au Nord de la Syrie, en intimant aux combattants kurdes de se retirer de la région sous peine d’être « écrasés par la machine militaire turque », avait renforcé le rôle de la Russie au Moyen-Orient qui profitait du départ des américains, tout en permettant à Erdogan de redorer son image sur la scène politique turque en obtenant une victoire militaire.
Toutefois il laissait paraître des contradictions importantes, en particulier vis-à-vis du régime syrien, allié de la Russie, qui ne peut voir d’un bon œil l’installation à long terme des troupes turques sur son territoire, mais aussi de la Russie elle-même qui tout en s’accommodant de son nouveau rôle d’interlocuteur central sur le terrain syrien après le départ des troupes américaines, n’a pas d’intérêt à laisser le régime turc gagner en influence dans la région. Au contraire. En 2014 Vladimir Poutine présentait le « Turkstream », un projet de gazoduc traversant la mer Noire et la Turquie pour faire transiter 31,5 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Europe. Ainsi si la Russie s’accommode du régime d’Erdogan, elle a tout intérêt à maintenir le rapport de force en sa faveur pour négocier sa mise en œuvre, en profitant du fait que les USA, alliés historiques de la Turquie, sont en crise d’hégémonie dans la région.
Les migrants pris en otage par les tensions géopolitiques
C’est dans ce cadre que les tensions sur le terrain syrien entre l’armée de Bachar Al Assad soutenue par l’aviation russe, et les troupes militaires turques alliée aux rebelles se sont amplifiés depuis début février. En effet, si la Russie ne revendique pas ouvertement les frappes aériennes contre les soldats turcs, assurant que « les forces aériennes de la Russie n’ont pas été utilisées dans cette zone », sa communication laisse entendre que leur présence dans la présence d’Idlib n’est pas légitime. Ce vendredi le ministre russe de la Défense a ainsi réagit en déclarant que la Turquie n’avait pas communiqué sur la présence de ses troupes dans la zone concernée, et qu’elles n’auraient « pas dû s’y trouver ».
Incapable de tenir tête seul à la Russie de Poutine, le gouvernement d’Erdogan craint une humiliation sur le terrain syrien qui pourrait lui coûter cher, en l’affaiblissant sur la scène internationale et surtout nationale. D’autant plus que Vladimir Poutine a finalement annoncé son intention de ne pas se rendre à Ankara le 5 mars, comme le demandait Erdogan, tandis que la représentante du ministère des affaires étrangères russes a répondu par la négative à sa demande d’un sommet à quatre avec la Turquie, la Russie, l’Allemagne et la France : « si c’est pour parler de problèmes bilatéraux, alors il faut les aborder dans un format bilatéral », a-e-elle souligné. C’est donc confronté à la puissance russe, forte d’une expérience diplomatique et militaire importante, que le gouvernement d’Erdogan demande de l’aide aux impérialistes occidentaux, les USA et surtout l’Union Européenne, la France et l’Allemagne en tête.
Les menaces « d’ouvrir les portes de l’Europe » aux migrants, retenus jusque là sur le sol turc en échange d’un soutien financier de plus de 6 milliards d’euros de la part de l’Union Européenne, apparaissent donc comme un moyen de pression pour pousser les pays occidentaux à soutenir le régime turc. A l’instar des images de migrants marchant vers la frontière grecque diffusées sur les chaînes de télévisions turques, tandis que des officiels turcs déclaraient à la presse que « tous les réfugiés, dont les Syriens, sont désormais invités à pénétrer dans l’Union européenne », estimant que le coût financier et politique pour retenir les migrants était « trop lourd à porter pour un seul pays ». Si le porte-parole d’Erdogan, Omer Celik, a ensuite tempéré ces déclarations, en expliquant que la politique à l’égard des réfugiés syriens resterait inchangée, mais qu’il devenait de plus en plus difficile de « retenir » les aspirants au départ, le gouvernement grec a d’ores et déjà annoncé un renforcement des effectifs de garde-frontières et garde-côtes.
Encore une fois, les migrants qui fuient la misère pour trouver un avenir meilleur sont pris en otage par les tensions géopolitiques conséquence d’un impérialisme pourrissant. Le gouvernement turc qui sous-traite le contrôle des frontières de l’Union Européenne, s’en sert aujourd’hui pour appuyer ses intérêts diplomatiques et demander aux impérialistes occidentaux d’intervenir, au mépris du droit à l’auto-détermination des peuples de la région, et du respect et de la dignité pour lesquels des millions de personnes quittent leur pays, traversant les mers et les frontières au péril de leur vie. Pour se débarrasser de la sauvagerie causé par les guerres et le pillage impérialiste, les peuples du Moyen-Orient et d’ailleurs n’ont d’autre choix que d’en finir avec l’ingérence étrangère et la spoliation de leurs richesses nationales par les capitalistes locaux.