Alexis Legault 

Cet article s’intéresse d’abord aux impacts sociaux et écologiques de la croissance économique. Il se penche ensuite plus spécifiquement sur les conséquences des iniquités socioéconomiques pour finalement ouvrir sur le rôle d’une éducation à l’engagement écocitoyen.

Croissance économique

Tout d’abord, il faut clarifier le fait que la croissance économique d’un pays va souvent de pair avec une accélération de la destruction de la biodiversité sur son territoire : «En moyenne, l’augmentation de 1 % du produit intérieur brut (PIB) d’un pays mène à une augmentation du nombre d’espèces menacées de 0,19 à 0,32 %»1.

Si, d’un côté, il est possible que les pays des Suds puissent bénéficier du retour d’une partie des richesses que l’Occident a extraites de leurs territoires, de l’autre, la croissance économique des pays riches peut aujourd’hui être difficilement justifiée. Alors que la croyance populaire veut que le développement économique d’un pays soit forcément profitable, le constat que dressent Wilkinson et Pickett2est pourtant tout autre. Dans les pays les plus pauvres, la hausse du revenu national par individu résulte effectivement en une amélioration des conditions socioéconomiques et de santé. Cependant, pour tous les pays riches, ce qui inclut l’ensemble des pays occidentaux, l’influence de l’accroissement du revenu national par individu sur le niveau de vie devient négligeable.

La croyance en un perpétuel développement qui serait durable constitue l’une des dernières illusions derrière lesquelles se cachent les tenants du statu quo. Par essence, le développement durable implique le rejet des alternatives proposées au système socioéconomique en place, à savoir un capitalisme néolibéral qui carbure au productivisme et à l’accroissement de la consommation. Accepter le développement dit durable correspond à accepter la poursuite de l’effondrement de la biodiversité et l’accroissement des iniquités sociales.

Iniquités socioéconomiques

Si la croissance économique n’est en aucun cas la panacée pour favoriser le bien-être des populations occidentales, une variable exerce toutefois une bien plus grande influence sur les conditions de vie de ces dernières. Il s’agit des iniquités de revenus à l’intérieur des pays. En guise d’exemple, les États-Unis sont l’un des pays les plus riches de la planète, mais aussi l’un de ceux où la richesse est répartie de la manière la moins égalitaire. Résultat, même avec d’immenses richesses, le pays se retrouve avec des indicateurs de problèmes de santé et de problèmes sociaux dont les taux sont largement supérieurs à ceux de la vaste majorité des autres pays occidentaux.

Comme il a déjà été précisé, l’accroissement du PIB contribue au déclin de la biodiversité. Or, ce type de ravage écologique va aussi de pair avec l’augmentation des inégalités sociales. La disparition de la biodiversité végétale en est révélatrice. En proportion, on retrouve généralement moins d’espèces végétales menacées ou disparues dans les pays plus égalitaires que dans les pays comportant de fortes inégalités de revenus3.

D’un point de vue strictement anthropocentriste, il pourrait être tentant d’affirmer que la richesse de pays comme les États-Unis, malgré la destruction environnementale et les inégalités socioéconomiques engendrées, permet tout de même à plusieurs de rêver d’un avenir meilleur. Si on ne peut empêcher quiconque de rêver, cela devra vraisemblablement en rester à ce stade, car nul mythe n’est plus faux que celui de l’American Dream, à tout le moins dans les dernières décennies.

La règle à retenir est la suivante : plus les inégalités de revenus sont élevées dans un pays, plus la mobilité sociale y est faible. Les États-Unis, n’échappant pas à cette logique, se retrouvent à nouveau au bas du classement sur ce plan. À l’inverse, des pays comme la Suède, la Norvège et la Finlande, où les inégalités de revenus sont parmi les plus faibles en Occident, constituent les endroits où l’on constate le plus de mobilité sociale.
Gilbert Keith Chesterton4rappelait, dès les années 1920, que la politique devrait avoir comme finalité le bonheur humain, et qu’il est inutile de courir après toujours plus de richesse, d’efficacité ou de productivisme si cela ne contribue plus à l’objectif initialement fixé. Il soulignait aussi que l’on tend à confondre la fin et le moyen, comme si, écrit-il, l’on se demandait parfois si les chapeaux devraient contenir des têtes, si les pieds améliorent les souliers ou encore si le pain est meilleur lorsqu’on le mange. Le développement durable incite à la poursuite effrénée de la croissance, mais la croissance n’est qu’un moyen. Si ce moyen ne contribue pas ou ne contribue plus à l’atteinte de la fin désirée, à savoir le bien-être de la population humaine ou du vivant dans son ensemble, il n’a plus de raison d’être. Comment, alors, passer du discours à l’agir citoyen ?

Vers l’éducation écocitoyenne

La bonne nouvelle est que l’agir citoyen écologique s’exprime déjà. Toutefois, de récentes remises en question de l’ordre économique établi par les puissants ont aussi donné lieu à une forte réponse des forces armées étatiques. Pour ne citer qu’un exemple, une violente répression policière a été constatée à l’endroit des Wet’suwet’en de la Colombie-Britannique, lesquels se sont fermement opposés au passage du gazoduc Coastal GasLink sur leur territoire traditionnel. Le quotidien The Guardian a d’ailleurs révélé que des documents internes indiquaient que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) était prête à utiliser une force dite «létale» pour déloger les opposant·e·s au passage du gazoduc5. Celles et ceux qui souhaitent exprimer une voix citoyenne et écologique dissidente au regard de la volonté des puissances économiques doivent alors être préparé·es à toute éventualité. Les collectifs environnementaux se doivent donc d’être informés sur le droit, les leviers d’action citoyenne, les voies démocratiques disponibles, les méthodes de mobilisation citoyenne et les enjeux éthiques qui seront soulevés en cours de lutte. Pour former largement à l’agir écocitoyen, la voie éducative se présente alors naturellement.

Devant le mythe du développement durable et sa tendance à l’obturation des brèches vers d’autres possibles, l’éducation écocitoyenne est une pioche offerte à celles et ceux qui souhaitent abattre les murs psychologiques patiemment érigés par les discours conservateurs et libéraux de générations d’individus bénéficiant d’un système inéquitable.

L’éducation écocitoyenne est essentiellement l’angle politique de l’éducation environnementale6. Cette spécificité freine d’ailleurs son entrée dans les écoles, plusieurs personnes enseignantes n’osant pas s’écarter du rôle de neutralité qui leur est imposé7. Mais qu’est-ce que la neutralité éducative sinon le choix de ne pas former à la citoyenneté et à la réflexion critique? Comment prétendre former des citoyennes et des citoyens si les enjeux socioécologiques sont perçus comme trop politiques pour être abordés en classe? Si l’école ne parvient pas à assumer pleinement ce rôle, d’autres doivent aujourd’hui contribuer à cette éducation citoyenne critique et écologique.

Puisqu’elle permet de former à l’agir citoyen et favorise la mobilisation, l’éducation écocitoyenne apparaît aujourd’hui comme un levier incontournable alors que l’écoanxiété suscite souvent une posture de résignation devant la crise socioécologique. Qu’il s’agisse de s’opposer à un projet écocide ou de prôner des mesures de justice socioécologique, ces expériences contribuent simultanément à façonner la société, à développer des savoirs écocitoyens et à renforcer le pouvoir d’agir des populations. Le développement de l’esprit critique auquel ouvre l’éducation écocitoyenne peut aussi se dresser comme un rempart devant les récentes vagues de désinformation sur les réalités sociopolitiques, climatiques et écologiques. À une ère de polarisation politique et d’essentielles remises en question sur la place qu’occupe l’humain dans un écosystème qui s’effondre, le développement de compétences réflexives, critiques et éthiques auquel nous convie l’éducation écocitoyenne semble plus que jamais nécessaire.

Cet article fait partie du dernier numéro de Caminando, du Comité pour les droits humains en amérique latine.

  1. Beaudoin, Simon (2023). Changements climatiques et perte de biodiversité à l’échelle planétaire, Compte rendu critique de l’article de Habibullah, M. S., Din, B. H., Tan, S. — H., Zahid, H. (2022). Impact of climate change on biodiversity loss : Global evidence, Le Climatoscope — Les comptes rendus ClimActualité, no. 2, p. 1-3, page 2 []
  2. Wilkinson, R. G. et Pickett, K. E. (2009). « Income inequality and social dysfunction », Annual review of sociology, no. 35, p. 493-511 []
  3. Mikkelson, G. M., Billé, R. et Kleitz, G. (2013). L’égalité économique, un facteur indispensable pour préserver la biodiversité, dans Genevey, R. Pachauri R., K. et Tubiana, L. (dir.), Regards sur la Terre : Réduire les inégalités : un enjeu de développement durable. Paris : Armand Colin []
  4. Chesterton, Gilbert Keith (2016). The outline of sanity. Read Books Ltd []
  5. Dhillon, J. et Parrish, W. (2019). Canada police prepared to shoot Indigenous activists, documents show, The Guardian []
  6. Sauvé, L. (2017). «Une diversité de courants en éducation relative à l’environnement», dans Barthes, A. et Lange, J. M. (dir.), Dictionnaire critique. Des enjeux et concepts des «éducations à». Paris : L’Harmattan. []
  7. Jeziorski, A., Legardez, A. et Bader, B. (2015). Les postures de futurs enseignant.es québécois et français au regard de l’éducation au développement durable, dans Lange, J. M. (dir.), Colloque international Les «éducations à» : Un (des) levier(s) de transformation du système éducatif? Mont Saint Aignan : Université de Rouen et ÉSPÉ de l’Académie de Rouen. []