Photo de l'année du World Press Photo 2024 : une femme palestinienne enlace le corps de sa nièce - Mohammed Salem - Reuters

Charline Caro, collaboratrice

L’exposition annuelle du World Press Photo se déroule au Marché Bonsecours jusqu’au 14 octobre. Le concours international prime chaque année une centaine de photos de presse parmi les 61 000 soumissions de 2024. Un moyen de retracer l’actualité sociale, politique et environnementale du monde à travers ses images les plus marquantes, et de s’interroger sur la portée et la responsabilité du photojournalisme.

En cette rentrée automnale, le Marché Bonsecours ne dort pas. Tous les jours de la semaine, en journée comme en soirée, une foule visiteuse arpente le parcours de l’exposition pour découvrir les photos lauréates du World Press photo (WPP) 2024. Parmi les actualités de cette édition, on retrouve inévitablement la guerre à Gaza et en Ukraine, mais également les migrations au Mexique, les tremblements de terre en Turquie ou les feux de forêt au Canada. Des évènements tragiques qui reflètent les nombreuses crises que traverse notre société. L’exposition n’est ainsi pas toujours une partie de plaisir pour ceux et celles qui s’attardent devant les photos : «Je suis bouleversée, j’ai juste envie de pleurer» nous confie Brigitte, une habituée de l’évènement.

Le parcours de cette année est «particulièrement lourd», admet la directrice de l’évènement Marika Cukrowski dans une entrevue à Radio-Canada. En témoigne la photo de Mohammed Salem, prix de l’année, montrant une femme palestinienne enlacer le corps de sa nièce décédée sous les bombardements israéliens. Ou celle d’Adam Altan, prix pour l’Europe, représentant un homme turc tenant la main de sa fille écrasée sous l’éboulement d’un immeuble.

Pour les visiteur-euses rencontré.es, les photos les plus explicites ont pu être «choquantes». Pour autant, on estime unanimement que ces images doivent être montrées malgré l’horreur qui peut y figurer. Pour Marie-France et Claudine, deux sœurs venues visiter l’exposition, il n’y a pas de limite à ce que peut révéler le photojournalisme. «Il faut tout voir si on veut brasser le public».

Ainsi, selon cette perspective, la mise en avant de la misère est justifiée par le fait que c’est une «vérité dont il est primordial de se soucier», selon les termes employés par la directrice de l’exposition. Le photojournalisme a en effet une grande capacité à éveiller les consciences sur des enjeux ignorés, grâce à la puissance d’images qui évoquent souvent mieux les réalités du terrain que le flot de commentaires médiatiques.

Mais la question éthique existe tout de même lorsqu’il est question d’images aussi explicites. Qu’est-ce qui justifie de diffuser la photo d’un cadavre? Jusqu’où faut-il mettre en scène la misère humaine? Ces questions ont toujours animé le monde du photojournalisme, confronté à un équilibre fragile entre la nécessité d’informer et la réalité trop brutale de certaines scènes.

En 1981, Mike Wells recevait le prix WPP de l’année pour son cliché montrant la main d’un enfant ougandais affamé dans celle d’un humanitaire occidental. La photo ayant été soumise au concours sans son consentement, le photographe s’est retrouvé vainqueur malgré lui. Il a déclaré par la suite être très embarrassé, car il ne lui paraissait «pas très intelligent de gagner des prix avec des photos de gens en train de crever de faim».

Le World Press Photo est ainsi confronté à un équilibre complexe. Il lui faut trouver la limite entre l’information et le sensationnalisme, entre la dénonciation et le voyeurisme. Mais l’image en elle seule ne suffit pas à déterminer l’intention, il faut également s’attarder au contexte de diffusion. Au Marché Bonsecours, toutes les photos sont accompagnées de textes expliquant la situation plus globale. Après avoir attiré l’attention du public visiteur sur une scène tragique, la diffusion doit être capable de lui faire comprendre la situation dans son ensemble, au-delà du cliché.


L’exposition montréalaise du World Press Photo se tient présentement au Marché Bonsecours, et ce jusqu’au 14 octobre.

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