Brésil : crise de sens politique 

 

Régressions sociales

La régression sociale, politique et économique que subit le Brésil, non seulement depuis l’élection du président néofasciste Bolsonaro, mais depuis le coup d’État de 2016 contre Dilma Rouseff s’avère sans précédent dans l’histoire postdictatoriale du pays. Une des mesures phares du gouvernement intérimaire de Michel Temer (mai 2016-décembre 2018) a été de faire approuver un amendement constitutionnel qui lui a permis de geler les dépenses du gouvernement dans les services publics, en termes réels, pour les vingt prochaines années. C’est également sous Temer que le projet de loi sur la réforme des retraites a été amorcé, réforme qui, en gros, répond aux exigences du capital financier par une attaque aux droits des travailleurs et des travailleuses et qui les oblige à travailler plus longtemps pour une retraite beaucoup moins importante. Deux ans après la réforme du Code du travail de Temer, qui a largement flexibilisé le marché du travail et coupé les avantages sociaux sous prétexte de création d’emplois, on ne constate aucun effet sur le marché du travail. C’est aussi Temer qui a entamé un plan ambitieux de privatisation des principales entreprises étatiques du pays, incluant le Pré-Sal (réserve de pétrole en haute mer), l’Eletrobras (énergie), le Lotex (jeux de hasard), la Casa da Moeda (fabrication de la monnaie), les aéroports, les ports, les services de poste, etc. On a compté au total 238 projets de privatisation. Enfin, Temer a également tenté d’ouvrir les vannes amazoniennes aux compagnies minières. Bien que son plan n’ait pas tout à fait fonctionné, la voie était ouverte à Bolsonaro qui, lui, connaît un grand succès dans le dossier, comme en témoignent les feux de forêt en Amazonie à la fin de l’été. La cerise sur le « gâteau » du gouvernement Temer a été l’approbation d’un amendement constitutionnel, le PEC 181, interdisant l’avortement dans les trois seuls cas où il était encore autorisé au Brésil : viol, grossesse à risque pour la mère et anencéphalie fœtale.

Quant au gouvernement Bolsonaro, il s’avère difficile de dresser une liste exhaustive de toutes les mesures de régression sociale implantées par ce gouvernement en place depuis seulement une année, mais on peut en identifier les principales. En éducation, on a observé ce printemps des coupes généralisées dans les budgets des universités publiques, lesquelles sont gratuites, donc accessibles aux plus démuni·e·s, et de meilleure qualité. Certaines d’entre elles ont vu leur budget de fonctionnement amputé de 30 %, mettant ainsi en péril toute leur structure d’enseignement. Bolsonaro a également mené une guerre idéologique spécifique contre les départements de sociologie et de philosophie sous prétexte que l’argent des contribuables doit servir à « lire, écrire et faire des calculs » et qu’il doit être investi dans des secteurs qui génèrent des retours immédiats comme le génie, la médecine et la médecine vétérinaire. Comme si ce n’était pas assez, il a également réduit de moitié le budget du CAPES, l’équivalent du Conseil de recherche en sciences humaines, et coupé 12 000 bourses de maîtrise et de doctorat cette année [1]. Le CAPES déclarait en septembre qu’il ne pourrait financer aucune nouvelle recherche en 2019. Reniant ses promesses, le gouvernement a également coupé 2,4 milliards de reais (environ 800 millions de dollars) à l’éducation primaire et secondaire [2].

En environnement, on a vu les feux de forêt an Amazonie augmenter de 83 % en moyenne depuis le début de l’année 2019 [3]. Allumés par des hommes ayant une quasi-bénédiction du gouvernement fédéral, ces feux, qui sont également utilisés comme technique de défrichage par brûlis, ont servi cette fois d’abord et avant tout à dégager de nouvelles terres pour l’élevage du bétail. Selon le chercheur Romulo Batista de Greenpeace, 65 % des terres brûlées en Amazonie sont transformées en terres d’élevage bovin. Le Brésil est présentement le plus grand exportateur de viande bovine au monde. Cette industrie est dominée par trois multinationales brésiliennes, JBS, Minerva et Marfrig, qui sont responsables de 60 % des exportations de viande brésilienne en 2016. Bolsonaro, qui a reçu un large appui du tout puissant secteur de l’agro-industrie (agrobusiness), avait déclaré lors de son élection que l’Amazonie ne représentait pour lui qu’un potentiel d’exploitation économique. Les populations autochtones riveraines, au mode de vie traditionnel, subissent directement cette attaque à leur territoire, comme en témoignent les assassinats de leaders autochtones à l’été et à l’automne 2019.

L’économie brésilienne a récemment subi sa plus grande contraction de l’histoire, reculant de 7 % entre 2015 et 2016, pour se refaire quelque peu entre 2017 et 2018 avec une croissance de 1,1 %. L’agro-industrie compte pour presque 22 % du PIB brésilien, ce qui lui donne le poids politique le plus important parmi les trois « fronts » les plus puissants du Congrès : évangélique, militaire et policier, et agro-industrie. Il y a présentement 73 militaires et policiers élus au pouvoir législatif (quatre fois plus qu’en 2014) et 91 député·e·s évangéliques au Congrès (sur 513 députés). En 2012, le Brésil comptait 7,6 millions de chômeurs contre 12,6 millions cette année (le taux de chômage actuel est de 11,8 %), sans compter que 28,7 millions de Brésiliens et de Brésiliennes sont en sous-emploi, c’est-à-dire qu’ils ne travaillent pas autant qu’ils le désireraient [4].

Enfin, on ne peut passer sous silence l’oppression et la criminalisation que subissent les mouvements sociaux, comme le Mouvement des sans-terre, les mouvements autochtones et les quilombolas (descendants d’esclaves). La Commission pastorale de la terre (CPT [5]) qui répertorie les assassinats en milieu rural depuis les années 1970 a dénombré 71 assassinats de militants et militantes de mouvements sociaux en 2017 et 28 en 2018. Dans cette dernière année, on a compté 2300 familles expulsées de leurs terres par des entreprises privées de sécurité et 11 200 familles évincées par les pouvoirs publics. L’un des conflits ruraux les plus importants concerne l’eau. En 2017, on recensait 197 conflits, alors qu’en 2018 on en recensait 276 impliquant 368 000 personnes. Dans 80 % des cas, les victimes étaient des pêcheurs et des riverains qui perdaient leur accès à l’eau au profit de compagnies minières.

Tous ces évènements se produisent dans un contexte de division sociale exacerbée et alimentée par un puissant discours politique d’extrême droite. On se rappellera, par exemple, en octobre 2018, de cette jeune femme de 19 ans qui s’est fait attraper en pleine rue par de jeunes hommes qui lui ont gravé au couteau une croix gammée sur le ventre, car elle portait un autocollant avec le drapeau LGBTQ et le #EleNao (lui non). Bolsonaro a déjà affirmé qu’il n’y a « aucun doute » que le nazisme était un mouvement de gauche, une tactique employée par les nazis eux-mêmes. Il défend, ainsi que plusieurs généraux élus, l’idée que la dictature militaire, responsable de la torture et de la mort de centaines de femmes et d’hommes brésiliens, devrait plutôt être considérée comme « la révolution démocratique de 1964 », et que le coup d’État militaire ne serait rien d’autre qu’une « transition de régime ». Lorsque Bolsonaro déclare que l’erreur des militaires est de ne pas avoir éliminé assez d’opposants, qu’ils auraient dû en tuer 30 000 de plus, à commencer par l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, il trace évidemment un point de rupture en attaquant directement le régime démocratique.

« Nous avons perdu la bataille idéologique »

Comment expliquer de tels évènements ? Comme le disait un dirigeant national du Mouvement des sans-terre (MST), « nous avons perdu la bataille idéologique », ou ce que Gramsci appelait le « sens commun », élément crucial dans la « guerre de position ». Selon l’interprétation de Kate Crehan [6], le sens commun gramscien signifie l’accumulation de « connaissances populaires » prises pour acquises et que l’on retrouve dans toute communauté humaine. Cette accumulation fournit un ensemble hétérogène de certitudes assumées qui structurent le paysage de fond dans lequel les personnes sont socialisées et tracent leurs parcours de vie. Le sens commun se caractérise aussi par deux autres éléments : il est multiple et fait de contradictions. Ainsi, chaque classe sociale a son sens commun et celui-ci est le fruit d’un monde fracturé. Dans chaque sens commun, on retrouve aussi, d’une part, du « bon sens », c’est-à-dire une vision éclairée du monde qui reflète également l’esprit créatif des personnes et, d’autre part, une vision étroite du monde qui se laisse bercer par le confort et le familier.

Pendant la campagne électorale, plus Bolsonaro devenait ouvertement violent et autoritaire, plus il montait dans les sondages ; juste avant les élections, 53 % des Brésiliens considéraient la police comme les « gardiens de Dieu dont la tâche est d’imposer l’ordre ». L’excellente journaliste brésilienne Eliane Brum, qui couvre la politique du pays depuis 30 ans, appelle cette situation un « phénomène d’autovérité [7] ». En disant tout et n’importe quoi, indépendamment de la violence impliquée, Bolsonaro est perçu comme étant « sincère », « honnête », qui « n’a pas la langue de bois », alors que les autres politiciens sont perçus comme « corrompus » et « malhonnêtes ». L’appui qu’il a reçu des femmes en constitue la démonstration. En dépit du fait que les femmes ont créé un mouvement influent avec les plus grandes manifestations de femmes de l’histoire du Brésil, 46 % des femmes ont voté pour Bolsonaro (contre 40 % pour Haddad). Un autre exemple est la proportion de la population LGBTQ qui a voté pour lui. Selon un sondage Datafolha du 25 octobre 2018, cette proportion est de 29 % [8]. Autrement dit, à l’intérieur de groupes sociaux, on retrouve, d’une part, un sens commun composé de visions étroites du monde, d’opinions rassurantes et familières reproduites dans un cercle social restreint et hermétique à la critique ; d’autre part, y coexiste également un « bon sens » présent chez les personnes de ces mêmes groupes qui s’opposent à la xénophobie et à la misogynie de Bolsonaro.

La notion gramscienne de sens commun nous aide également à comprendre que la « guerre de position », soit la guerre des idées dans la construction de l’hégémonie à laquelle participent des récits politiques antagonistes, se retrouvait au centre de la situation brésilienne. « Nous avons perdu la bataille idéologique » signifie qu’un nouveau récit politique a pénétré et conquis suffisamment d’électeurs et d’électrices pour faire élire un néofasciste. Les mouvements sociaux des quinze dernières années ont fait l’erreur stratégique de ne pas avoir consacré suffisamment de ressources à l’éducation populaire à la Paulo Freire ou ce que les mouvements appellent le « travail de base ». Alors que le gouvernement au pouvoir était originairement issu et appuyé par les luttes populaires, les mouvements sociaux, dont bon nombre de militantes et de militants influents avaient intégré le gouvernement, ont vécu une période de « démobilisation des masses ». Pendant les treize années du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir, il leur était difficile d’exercer une réelle critique et de contester ouvertement un gouvernement issu de leurs rangs. De plus, les politiques d’assistance sociale (Bolsa Familia, Fome Zero, etc.) se sont avérées un grand succès, car elles ont sorti 26,3 millions de personnes de la pauvreté [9]. En résumé, les mouvements sociaux étaient pris entre l’arbre et l’écorce et, pendant ce temps, ils ont délaissé le travail de conscientisation politique par l’éducation populaire, un travail où, historiquement, ils ont pourtant excellé, notamment dans les années 1980-1990. Je suis depuis plusieurs années les analyses internes des mouvements sociaux brésiliens. Ils font le constat que lorsque le nouveau récit politique d’extrême droite arrive sur la scène publique, la population n’est pas assez outillée politiquement pour le contrer. À cela s’ajoute le fait que la droite s’est organisée et que, depuis juin 2013, la gauche a perdu le monopole des rues. Enfin, autre échec, les mouvements sociaux et la gauche en général n’ont pas su mobiliser et utiliser les médias sociaux avec autant de finesse. La campagne de Bolsonaro a été gagnée en grande partie sur WhatsApp. Les mouvements sociaux sont très conscients que l’éducation populaire doit aussi se réinventer à l’ère du numérique. Le sens commun qui accepte l’augmentation de la violence institutionnelle pour contrer la violence, la montée du racisme et de la xénophobie, le recul des droits des travailleurs et des travailleuses et la dictature comme étant finalement « pas si mal » est devenu dominant chez une large partie de la population. La gauche a perdu une importante bataille dans la guerre de position.

Crise de sens politique

Pour bien le comprendre, le projet politique de Bolsonaro doit être inscrit à la fois dans un processus plus large au niveau national et dans la tendance mondiale actuelle. La crise financière de 2008 ne frappe le Brésil qu’en 2013. Mais quand elle arrive, elle est violente. En 2014, on observe une baisse significative du prix des matières premières, la vache à lait de l’économie brésilienne, suivie d’une hausse du prix de l’énergie en 2015. Dépendant de l’économie d’exportation, le gouvernement brésilien se voit incapable de maintenir le « compromis de classes » caractéristique des gouvernements pétistes [10]. Le projet néodéveloppementaliste, qui consiste à implanter des politiques de redistribution tout en maintenant les privilèges de l’industrie et de la finance nationales, arrive à sa fin avec la débandade de l’économie. Autrement dit, sans croissance économique forte, impossible de satisfaire l’élite économique et de maintenir les programmes sociaux. Les effets d’une telle situation se font de plus en plus sentir dans la population, pendant que la droite se réorganise sur le plan politique, mais aussi sur le plan populaire avec la création de groupes comme le Movimento Brasil Livre (MBL, Mouvement Brésil libre). En face, la gauche est déstructurée et n’apporte pas de réponse rapide. Ce n’est qu’en septembre 2015 qu’est créé le Frente Brasil Popular (Front populaire du Brésil), une coalition de mouvements sociaux, syndicats, associations et partis de gauche, ainsi que le Povo Sem Medo (le Peuple sans peur), une coalition de mouvements sociaux de gauche qui se considèrent plus radicaux et qui n’acceptent pas les partis politiques. On retrouve dans la première coalition le MST, la Centrale unique des travailleurs (CUT) et le Parti socialisme et liberté (PSOL) ; la deuxième est surtout menée par le Movimento de Trabalhadores Sem Teto (MTST) (Mouvement des travailleurs sans-toit). Malgré les nombreuses manifestations et actions politiques, ces deux coalitions ne parviennent pas à remobiliser les masses. Le pays est foncièrement divisé et le récit politique antipétiste, rapidement devenu « antigauchiste », prend du galon auprès de la population. La droite en a assez et décide de renouer avec le capital international. Elle saisit le « momentum » et organise le coup d’État de 2016. Mais ce n’était pas suffisant. Il fallait également se débarrasser de l’éléphant dans la pièce, l’ancien président Lula. Avec la montée en puissance du pouvoir politique du judiciaire, sous le couvert d’une lutte à la corruption, elle parvient à incarcérer l’ancien président sans aucune preuve crédible. Comme dit Noam Chomsky ou Aldofo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix, Lula est aujourd’hui le plus important prisonnier politique de la planète. Devançant ses adversaires par plus de 20 % dans les intentions de vote, Lula était de loin le favori aux élections d’octobre 2018. S’il revenait au pouvoir, toutes les années d’organisation de la droite tomberaient à l’eau. En prison, le politicien le plus talentueux de l’histoire du Brésil est tout de même parvenu à catapulter un quasi-inconnu sur la scène nationale, Fernando Haddad, presque au sommet du pays. Parallèlement, aucun leader de la droite n’a su se hisser à la hauteur, ce qui a eu pour effet de maintenir la déstructuration de la droite reliée à un parti. Cette situation de jeux et de manipulations politiques, teintée de corruption et de conflits d’intérêts, a eu pour effet de discréditer aux yeux de plusieurs la solidité des institutions démocratiques du pays, notamment la Cour suprême dont les juges se positionnaient publiquement en faveur ou contre certains politiciens et politiciennes. Dans la foulée, nous avons assisté à l’implosion du centre droit, les deux partis les plus traditionnels de la politique brésilienne, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) et le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), incapables de se réorganiser pour les élections. Cette cacophonie juridique et sociale a fini par créer une crise de sens politique – antigauchisme, absence de direction forte, absence de partis politiques solides et de mouvements de droite comme de gauche suffisamment organisés – permettant à un messie de venir « sauver le pays ». Profitant de la situation, la fameuse stratégie du « outsider anti-establishment » a été employée avec succès, et ce, même si cela faisait 27 ans que Bolsonaro était député fédéral et qu’il n’avait réussi à faire approuver que deux projets de loi durant sa carrière. La seule institution non critiquée par la population dans tout ce drame a été… l’armée. Pas étonnant que Bolsonaro ait réussi à faire élire autant de généraux et de colonels qui composent son entourage immédiat. Pas étonnant non plus que le discours de combattre la violence criminelle (plus de 60 000 homicides par année) par la violence institutionnelle (plus de pouvoir à l’armée et à la police) séduit une bonne partie de la population.

Pour terminer, en reprenant une analyse d’Alfredo Saad-Filho [11], le néolibéralisme a éliminé des millions d’emplois qualifiés au niveau mondial, notamment dans les pays développés, où on a vu des métiers disparaître ou exportés à l’extérieur. Ailleurs dans le monde, les occasions d’emploi dans le secteur public ont drastiquement diminué en raison des privatisations et des coupes dans les agences publiques. La stabilité d’emploi se fait aussi de plus en plus rare dans presque tous les secteurs de l’économie, pendant que les salaires et les conditions de travail se détériorent. La fameuse classe moyenne se voit moins riche et de plus en plus endettée, anxieuse et vulnérable. Les effets d’une telle situation sont notamment la désorganisation et la division des travailleurs et des travailleuses. Ces processus nous aident à comprendre le déclin des partis politiques et des organisations traditionnels au profit de nouvelles figures, notamment d’extrême droite, ce que Saad-Filho appelle la montée du « néolibéralisme autoritaire ». Le paradoxe du néolibéralisme autoritaire est qu’il fait la promotion de la personnalisation du politique à travers des leaders « spectacle » qui opèrent en l’absence d’institutions intermédiaires (partis politiques, syndicats, mouvements sociaux et, ultimement, de la loi) tout en réaffirmant un fort compromis entre le néolibéralisme et leur pouvoir personnel. Ils implantent et font la promotion de programmes politiques qui s’adressent prioritairement à leur base électorale. Dans le cas de Bolsonaro, cela se traduit par la lutte à la corruption (même tactique employée en 1954, 1960, 1989 et 2013), un conservatisme moral (soutenu par les évangéliques et la lutte pour la sécurité publique) et un ultra-néolibéralisme (son ministre de l’Économie, Paulo Guedes, est un fervent disciple de l’école de Chicago). Un autre exemple des contradictions du sens commun.

Dans ce contexte, les mouvements sociaux comme le Mouvement des sans-terre se sont donné comme priorité la guerre de position, c’est-à-dire la reprise de l’éducation populaire ou ce que le MST appelle la formation politique, tout en cherchant des moyens de l’adapter à l’ère du numérique. Une autre priorité est de penser l’organisation de la vie par-delà l’électoralisme, penser une nouvelle stratégie de construction du pouvoir politique. Il faut également se réapproprier une symbolique capturée par la droite, comme le drapeau national. Pour ce faire, le renforcement des coalitions présentes est essentiel, notamment la Frente Brasil Popular, ainsi que la visibilité politique et culturelle des propositions des mouvements sociaux à travers des évènements publics (festivals, foires d’alimentation, travail collectif de masse, etc.). Enfin, la campagne nationale et internationale pour la libération de Lula [12] est fondamentale. Si Lula sort de prison, la configuration des forces politiques peut basculer. Tout cela dans l’optique de ce qu’ils appellent la « résistance active », soit la protection des acquis sociaux, tout en attaquant sur certains fronts où ils jugent pouvoir avancer comme l’éducation et les terres en Amazonie.


Dan Furukawa Marques est professeur adjoint en sociologie à l’Université Laval. D’origine brésilienne, M. Marques vit au Canada depuis 1999.