De l’état du monde et du déni des gens qui nous gouvernent

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Pierre Mouterde

Quelle étrange période que celle que nous vivons! Et sans doute faut-il désormais apprendre à aiguiser son regard pour tenter d’aller au-delà des apparences premières.

Car c’est justement cela le propre des élites économiques, politiques et médiatiques de notre temps : être dans le déni et s’enfermer dans une bulle cognitive à ce point étroite qu’elles ne voient plus ce qui pourtant crève les yeux, finissant — égarées, lassées et cyniques — par faire comme si de rien n’était, ou presque. À préférer au mieux naviguer entre 2 eaux, utilisant le gros de leurs pouvoirs pour donner l’illusion que malgré tout elles nous entraînent dans la bonne direction.

C’est que nous sommes confronté.es à des conditions historiques radicalement nouvelles qui ont toutes de quoi nous déconcerter profondément. Au-delà même de la multiplicité et des effets combinés des crises économiques, sociales, politiques, culturelles, sanitaires, écologiques et géopolitiques qui nous ont assailli.es ces dernières années — songez à la Covid ou aux guerres en Ukraine et à Gaza —, nous nous trouvons soudainement placés devant une série de défis qui, de par leur caractère mondialisé, ont pris une dimension littéralement anthropologique.

Ils nous obligent en effet, non seulement à nous arrêter aux problèmes les plus urgents du quotidien, mais aussi et surtout à les replacer et tenter de les régler depuis le temps long de l’histoire, et par conséquent à nous interroger tout autant sur le sens même de l’aventure humaine que sur les vertus de la vaste trajectoire du progrès que depuis l’époque moderne nous prétendons — nous gens d’Occident — incarner.

À quoi sert-il de continuer à parier sur l’augmentation infinie et sans discrimination du PIB du monde si, comme nous l’indiquent les expert.es et scientifiques du GIEC, nous sommes à cause de cela en train de frapper un mur, en termes de changements climatiques, mais aussi de raréfaction des ressources, de disparition des espèces animales, de destruction d’un environnement vital pour la vie, la vie avec un grand V? Et que vaut un accroissement de la puissance technologique humaine (pensez à certaines applications de l’IA non régulées), si au sein du désordre géopolitique d’aujourd’hui, elle se transforme en puissance destructrice ou barbare aux effets incalculables? Et plus encore, est-ce vraiment la panacée de défendre coûte que coûte un libre marché capitaliste dans lequel, au-delà même d’inégalités grandissantes, ne cessent de perdurer la faim pour les uns, et pour les autres le manque généralisé stimulé par une société de consommation jamais au rendez-vous des promesses qu’elle ne cesse de faire miroiter?

C’est bien là l’étrange : face à ces questions de fond ressurgissant depuis les pressantes exigences du présent, nos élites paraissent tétanisées, plus préoccupées de faire illusion ou de se maintenir hypocritement au pouvoir que d’aider les sociétés auxquelles elles appartiennent à se dresser à leur hauteur. Et dans la société civile d’en bas c’est à une véritable course de vitesse à laquelle on assiste; une course de vitesse entre l’exaspération ou le ressentiment des uns mobilisés désormais largement par les forces d’extrême droite, et les volontés démocratiques de changement des autres, mais portées par une gauche sur la défensive, fragmentée et à la recherche d’un second souffle.

Cette dernière saura-t-elle se ressaisir et retrouver le rôle qu’elle a su jouer par le passé, celui d’être le sel de la terre en rappelant les dimensions historiques et structurelles qui sont en jeu comme le rôle émancipateur que les peuples et mouvements sociaux peuvent y jouer? Au milieu des clameurs guerrières qui sourdent de toutes parts, au-delà du jeu sordide des États enfermés dans la seule logique des rapports de force à courte vue, n’est-ce pas aussi à cela qu’il faut désormais oser travailler? De toute urgence, comme une fenêtre ouverte sur d’autres possibles!