États-Unis : comment la gauche a percé

Liza Featerstone, Jacobin, 14 novembre 2020 (Traduction par  Christian Dubucq pour Contretemps : https://www.contretemps.eu/elections-us-trump-biden-gauche-victoires-dsa/)

 

Ne laissez pas la morosité des élections nationales du mardi 3 novembre masquer les résultats remarquables des consultations locales dans tout le pays. Des dizaines de socialistes ont été élu·es dans les différentes assemblées législatives, tandis que des augmentations du salaire minimum, des mesures de contrôle des loyers et des impôts  ciblant les riches pour financer les écoles ont tous obtenu le soutien des électeurs/rices, même dans les zones largement acquises au parti républicain.

Pendant plusieurs jours, nous avons été très nombreux-ses à actualiser constamment la page indiquant les résultats de la Pennsylvanie, tout en déplorant l’absence de Bernie Sanders et la masse d’électeurs qu’il aurait pu atteindre, la médiocrité de Joe Biden, et le triste fait que tant de nos voisins et concitoyens ont voté pour Donald Trump, même après le chaos et la mort en masse  à cause  desquels « 2020 » est devenu une abréviation  pour « échafaud » Les implications des élections présidentielles et sénatoriales américaines seront sans doute analysées pendant des mois.

Les nombreuses victoires progressistes et socialistes du 3 novembre, dont certaines auraient été inimaginables il y a peu de temps, ne font pas la une des journaux. Alors que des démocrates conservateurs comme Amy McGrath (Kentucky) et Max Rose (Staten Island) ont été écrasés par des opposants de droite enragés qui les ont humiliés en faisant mieux qu’eux dans leur numéro d’imitation de Trump, la gauche, à l’échelle nationale, a montré la voie pour le futur.

Bien que la Floride ait voté pour Trump, cet État a également adopté une résolution visant à augmenter le salaire minimum progressivement jusqu’à atteindre au final 15 dollars de l’heure (en 2026, NDLR). Ce ne fut pas la seule décision progressiste prise par  des électeurs-trices dits « rouges » (au sens de républicains)… De nombreux  territoires ont fait adopter par référendums une augmentation du financement de leurs écoles publiques, même dans des États conservateurs comme l’Indiana.

L’Arizona a même voté une augmentation des impôts à l’échelle de l’État pour doter son système scolaire notoirement sous-financé d’un fonds de près d’un milliard de dollars, une mesure qui, comme le remarque Mme Berkshire, a bénéficié du soutien des deux partis. Portland, dans le Maine, a rejoint la Floride en votant pour une augmentation du salaire minimum, ainsi que pour le contrôle des loyers, contre la surveillance faciale et pour un Green New Deal local. Les Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA) ont, parmi d’autres organisations, fait campagne pour l’ensemble de ces quatre mesures de Portland.

Les locataires ont également remporté des avancées  à Boulder, dans le Colorado, où les électeurs-trices ont adopté la mesure « Pas d’expulsion sans représentation » (en référence au fameux slogan « Pas de taxation sans représentation » popularisé par les partisans de la révolution américaine contre le pouvoir de la couronne britannique, NDLR), qui vise à taxer les propriétaires et à utiliser l’argent pour fournir une assistance juridique aux locataires menacés d’expulsion, une autre initiative soutenue par DSA.

En fin de compte, le Colorado a connu une nuit féministe, rejetant le travail reproductif forcé pour les femmes – c’est-à-dire que les électeurs et électrices ont fait échouer une tentative de restreindre l’avortement de la part des forces réactionnaires « anti-choice »– et faisant adopter les congés parentaux et maladie. Le comté de Montgomery, dans le Maryland, avec l’aide de DSA, a empêché l’adoption d’une dérogation à l’impôt foncier.

L’Oregon a voté pour taxer les riches afin de financer une école maternelle gratuite pour tous les enfants. L’État a également dépénalisé un nombre surprenant de drogues, y compris de petites quantités d’héroïne, de cocaïne et de méthamphétamine, ce qui constitue un grand pas en avant pour le mouvement national contre l’incarcération de masse.

En parlant de drogues, le Dakota du Sud, le Montana, l’Arizona et le New Jersey ont légalisé le cannabis pour les adultes sans restriction de motif , tandis que le Mississippi a approuvé l’usage de la marijuana à des fins médicales. Washington, DC, a légalisé les psychédéliques. (Tout ce dont nous aurons besoin, surtout si Mitch McConnell conserve le contrôle du Sénat, mais je m’écarte du sujet) !

Portant de nouveaux coups à différentes incarnations de notre système pénal cruel et raciste, des villes ont élu (et dans certains cas réélu) des procureur-es de district progressistes qui ont fait campagne sur des programmes de réforme –  mettant fin à la mise en liberté sous caution, par exemple –Kim Foxx à Chicago, Kim Gardner à St Louis, Mark Gonzalez à Corpus Christi, Monique Worrell à Orlando, Eli Savit à Ann Arbor, José Garza à Austin et George Gascòn à Los Angeles. (Il semble que Julie Gunnigle, à Phoenix, puisse également gagner lorsque tous les votes seront comptés, mais ce scrutin est encore très serré)[1]. À propos du rejet de la Confédération, le Mississippi a voté à une écrasante majorité (73 %) pour l’adoption d’un nouveau drapeau d’État sans le symbole confédéré, en le remplaçant par un magnolia plus neutre et plus attrayant.

Au Congrès, la « Squad », propulsée à l’origine par les campagnes de l’organisation Justice Democrats, et composée de Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), Ayanna Pressley et Rashida Tlaib, a été entièrement réélue, ainsi que la championne de «Medicare For All» (la couverture santé universelle, NDLR), Pramila Jayapal et le promoteur (avec AOC, NDRL) du Green New Deal Ed Markey. Katie Porter, une démocrate libérale représentant un district californien historiquement conservateur, a été réélue avec une marge confortable. L’enseignant progressiste Jamaal Bowman, de New York, a battu un élu sortant installé depuis longtemps , et la militante Cori Bush est devenue la première femme noire, infirmière et mère célibataire à représenter le Missouri au Congrès.

En fait, ce fut une excellente nuit pour les Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA), qui avaient soutenu vingt-neuf candidats et onze referendums d’initiative populaire. Au total, au moins vingt candidats ont gagné et huit referendums d’initiative populaire ont été approuvés.

En plus des victoires d’AOC, de Tlaib, de Bowman et de Bush (à la Chambre des Représentant-es fédérale, NDLR),  DSA a remporté de belles  victoires dans les élections sénatoriales au niveau des États. À New York, l’organisation a remporté cinq scrutins au niveau de l’État, en obtenant la réélection de Julia Salazar au Sénat de l’État et en faisant élire Jabari Brisport pour la rejoindre, tandis que trois autres candidat-es soutenu-es par  DSA (Marcela Mitaynes, Phara Souffrant Forrest et Zohran Mamdani) rejoignent l’assemblée de l’État.

Deux autres membres de DSA, Emily Gallagher et Jessica Gonzalez-Rojas, toutes deux des militantes impressionnantes dont les campagnes n’étaient pas soutenues par l’organisation, ont également remporté des sièges à l’assemblée. Philadelphie a envoyé trois candidat-es soutenu-es par DSA au gouvernement de l’État : Nikil Saval au Sénat de l’État, et Rick Krajewski et Elizabeth Fiedler à la Chambre des  Représentant-es de l’état. Le Minnesota a également obtenu un sénateur d’État socialiste, Jen McEwen. Dans l’ouest du Montana, DSA a participé à la campagne qui a permis d’envoyer Danny Tenenbaum au gouvernement de l’État.

DSA a également remporté d’impressionnantes victoires locales, en aidant à envoyer Greg Casar au conseil municipal d’Austin, Jovanka Beckles à la commission des transports publics d’East Bay, Dean Preston au conseil des superviseurs de San Francisco (équivalent d’un conseil municipal et territorial, NDLR) et Janeese Lewis George au conseil municipal de Washington, D.C. À Los Angeles, Konstantine Anthony a remporté un siège au conseil municipal de Burbank, et Nithya Raman, candidate au conseil municipal de Los Angeles, semble également gagnante, bien que le résultat du scrutin ne soit pas encore officiellement proclamé.

Le quotidien Los Angeles Times a qualifié ses élections locales de « séisme politique progressiste », en se demandant : « N’est-ce que le début ? ». Il ne fait aucun doute que les soulèvements de cet été contre les violences policières ont influencé le résultat électoral ici, comme dans de nombreuses autres villes. Amplifiant le fort mandat de désincarcération de la campagne au poste de procureur de la ville, le comté de Los Angeles a adopté la Mesure J, qui réserve 10 % des fonds alloués par le comté  aux services sociaux, y compris les traitements de santé mentale et le logement, dans les zones où les habitant-es sont  touché-es par le racisme. Cette Mesure J interdit au gouvernement local de dépenser une partie de ces fonds pour les prisons ou la police.

La morale de toutes ces victoires ? S’organiser, ça paie ! On peut instaurer des majorités de gauche. De nombreux-es Américain-es veulent la justice raciale, une véritable redistribution des richesses et une vie meilleure pour la classe travailleuse.