Région arabe : la pandémie, les carences et les grands cœurs

Mohamed Rami Abdelmoula, As Safir, 20 mai 2020

 

La pandémie a révélé – de nouveau – que les services de santé sont étroitement liés à d’autres secteurs : D’abord une éducation publique de qualité, et la capacité de retenir, dans leur pays, les spécialistes dont les médecins et les infirmiers. Le logement et les conditions minimales d’’hygiène. La couverture sociale qui permet à chacun d’espérer des soins de santé gratuits et de qualité. L’accès au travail…

Nombreux sont ceux qui parlent de l’«équité» du virus Covid-19, qui atteint tout le monde sans discrimination, mais ceux-là ignorent qu’il existe des régions plus vulnérables que d’autres face aux catastrophes et aux urgences, même si le nombre des personnes qui y ont été infectées reste relativement bas. A l’exception de certains pays, la région arabe, par exemple, souffre de plusieurs problèmes structurels, anciens et nouveaux, qui la menacent non seulement de pertes humaines importantes en cas de propagation de la pandémie, mais également de graves conséquences économiques et sociales. Covid-19 a dévoilé, en effet, à quel point les infrastructures sanitaires, dans la plupart de ces pays, étaient détériorées et leurs économies fragilisées. Il a révélé ainsi l’ampleur de la dévastation laissée par des décennies de corruption et de mauvais choix. Mais il a aussi mis en lumière de beaux côtés, tels que les initiatives de solidarité populaire et les alternatives créatives trouvées pour pallier le manque de ce qui est nécessaire dans la lutte contre l’épidémie.

I- Le Coronavirus a redoublé l’épuisement des sociétés arabes

Avant de parler des effets du Coronavirus et de ses répercussions, il est utile de rappeler quelques données éloquentes. Il ne faut pas oublier que près de la moitié des pays arabes vivent dans un état de guerre et/ou de faiblesse (voire d’absence) d’un État central ; ou de soulèvements sociopolitiques populaires, de blocus ou encore d’occupation: Syrie, Yémen, Libye, Somalie, Irak, Palestine, Algérie et Liban.

Les indices de développement humain (IDH) et le PIB par habitant varient d’un pays arabe à l’autre, mais plusieurs d’entre eux sont classés bien bas, et parfois très bas sur l’échelle du classement mondial. Si on exclut les États du Golfe (où les taux de chômage varient entre un nombre décimal et cinq pour cent), les autres États ont enregistré – selon les chiffres de la Banque mondiale pour l’année 2019 –des taux officiels de chômage compris entre 9 et 26%. Il y a aussi le grand problème de l’économie non structurée, dont les divers secteurs emploient plus de 40% de la population active (sans contrat de travail ni couverture sociale), sans compter les millions de personnes dont les emplois sont organisés, mais avec des salaires extrêmement bas. Il ne faut pas oublier non plus l’élément principal quand il s’agit de pandémie: la disponibilité et la qualité des services de santé.

Les pays arabes les plus nantis, et/ou les plus soucieux de leur secteur de santé,disposent de moins de trois lits d’hospitalisation pour mille habitants.Ce chiffre tombe à moins d’un seul lit pour un millier habitants dans des pays comme le Yémen. Quant au nombre de médecins, toujours pour mille habitants, il se situe entre 0,3 et 2,5. Toutes ces données sont indispensables pour comprendre la fragilité de la situation dans la plupart des pays arabes. Une fragilité que le Coronavirus va exacerber, et en multiplier les manifestations.

Grande pénurie dans « l’attirail » de la guerre contre le Coronavirus

La plupart des pays arabes déplorent– de manière inégale –un manque en équipements de protection individuelle contre les infections (masques, bavettes, combinaisons spéciales et solutions hydro alcooliques pour stériliser et désinfecter). Ils manquent également de tests, de laboratoires d’échantillonnage et d’équipements médicaux « lourds », nécessaires pour la prise en charge des personnes infectées par le Covid-19, dont l’état requiert l’hospitalisation et la mise sous surveillance et réanimation. Ces pénuries s’expliquent par une politique, bien enracinée depuis longtemps, d’indifférence à l’égard du concept de « santé publique » en tant que droit, qui a été accentuée par l’adoption des « ajustements structurels » imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) aux budgets de la plupart des pays, ainsi que par les mesures « d’austérité » qui ont touché en particulier le secteur public de la santé. Le problème devient plus compliqué quand il s’agit de lits de soins intensifs et de respirateurs artificiels, car leur nombre ne dépasse guère quelques milliers dans les pays arabes les plus nantis, pour ne compter que quelques centaines dans la plupart des autres pays et seulement des dizaines dans les pays les plus pauvres ou ceux ravagés par les guerres. Dans certains pays, comme la Tunisie, le Maroc et le Liban (environ 500 lits chacun), on constate même que le nombre de ces lits dans le secteur privé est égal ou supérieur à celui dont dispose le secteur public.

Les pénuries s’expliquent par une politique d’indifférence à l’égard du concept de « santé publique » en tant que droit, qui a été accentuée par l’adoption des « ajustements structurels » imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) aux budgets de la plupart des pays, ainsi que par les mesures « d’austérité » qui ont touché en particulier le secteur public de la santé.

70 000 médecins égyptiens exercent en Arabie Saoudite uniquement. Sur les 220 000 médecins inscrits à l’Ordre des médecins en Égypte, 120 000 travaillent en dehors du pays ! L’an dernier ; 800 médecins tunisiens nouvellement diplômés ont émigré. Il en va de même pour l’Algérie, le Maroc, l’Irak, la Syrie, le Liban, etc.

La rareté de tous ces appareils et équipements a ouvert la porte, d’une part,à la course aux monopoles et à la flambée des prix ; et d’autre part, à la fraude et à la corruption. Les prix des masques de protection et des produits désinfectants, par exemple, ont augmenté de façon exponentielle (jusqu’à décupler dans certains pays) au Liban, en Égypte, au Maroc, en Tunisie, en Algérie, au Soudan et en Syrie, et la liste est longue. Cette situation a aiguisé l’appétit de certaines entreprises spécialisées (et même non spécialisées du tout) pour fabriquer ces équipements, en produire de grandes quantités et les commercialiser à des prix élevés, alors que nombre d’entre eux ne sont pas conformes aux normes. Plusieurs de ces sociétés se livrent aussi à une concurrence acharnée afin d’obtenir des transactions auprès des ministères de la Santé et des Pharmacies centrales, sans passer par les procédures habituelles des marchés publics.

Dans plus d’un pays, le manque de médecins, surtout dans le secteur de la santé publique, est absolument cuisant. Si bien qu’en Égypte, où le Coronavirus menace de devenir une véritable pandémie, le président Sissi a proposé de former « rapidement » les pharmaciens pour combler la pénurie de médecins! Alors qu’on sait que 70 000 médecins égyptiens exercent en Arabie Saoudite uniquement et que sur les 220 000 médecins inscrits au Conseil de l’Ordre des médecins en Égypte, 120 000 travaillent en dehors du pays ! Durant la seule année dernière, et même celle qui l’a précédée, 800 médecins tunisiens nouvellement diplômés ont émigré. Il en va de même pour l’Algérie, le Maroc, l’Irak, la Syrie, le Liban, etc.

Un confinement qui menace les moyens de subsistance des populations

On a souvent vu des articles et des études qui mettent en avant les avantages du confinement, et le fait de rester chez soi comme autant d’occasions de méditer, lire, regarder des films, manger sainement, profiter de la famille et repenser les concepts du temps et de l’époque. Tout cela est peut être vrai, mais pas pour tout le monde.

Rester à la maison sans crainte pour l’avenir (du moins l’avenir proche) est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. Une famille entière confinée pendant des mois, sans sortir, peut devenir un véritable enfer lorsque le « logis » ne comporte qu’une ou deux pièces pour plusieurs individus, et que le salon est à la fois chambre à coucher et salle à manger. De même que tout le monde n’a pas forcément une fortune, une épargne et des emplois stables, qui permettent de prendre son mal en patience et de considérer le confinement comme des vacances. Dans de nombreuses sociétés arabes, les travailleurs journaliers et les employés des secteurs de l’économie informelle, forment la majorité de ceux qui sont en âge de travailler, sans parler de ceux qui sont la plupart du temps au chômage. Même les employés et les travailleurs titularisés du secteur privé ont peur que les entreprises qui les emploient fassent faillite ou qu’elles suspendent leur activité pour de longues périodes. Ceux qui tiennent des petits commerces et sociétés de services, ainsi que les artisans, craignent également les conséquences de la récession économique et la baisse du pouvoir d’achat de leurs clients.

Une famille entière confinée pendant des mois, sans sortir, peut devenir un véritable enfer lorsque le « logis » ne comporte qu’une ou deux pièces pour plusieurs individus, et que le salon est à la fois chambre à coucher et salle à manger.

Et bien que la plupart des pays arabes aient pris certaines mesures pour atténuer les difficultés des groupes sociaux les plus touchés, la peur persiste et s’intensifie. C’est que les mesures gouvernementales sont souvent insuffisantes, car les sommes allouées sont faibles (entre 50 et 150 dollars dans la plupart des pays arabes), elles ne correspondent pas à la réalité des prix et du coût de la vie, ni n’incluent tous ceux qui y ont droit, faute d’actualisation des bases de données sur les habitants et leur situation familiale, professionnelle et matérielle. Les choses deviennent bien pires dans les pays où l’économie parallèle a une présence forte et même dominante. Car la peur de la pauvreté présente et de la faim à venir a poussé de nombreux vendeurs ambulants, artisans et commerçants dans plusieurs villes arabes à transgresser le confinement et à sortir pour gagner leur vie dans une sorte de cache-cache avec les autorités qui se transforme parfois en accrochages, arrestations, fermeture de magasins et confiscation d’outils de travail et même de moyens de transport. Ainsi, certaines catégories sociales se trouvent coincées entre diverses strates de peur: l’épidémie, la pauvreté et la violence du pouvoir. Plusieurs manifestations ont d’ailleurs, eu lieu au Liban qui souffre, en plus de l’épidémie, d’un effondrement économique; de même que la situation en Irak est menacée d’une nouvelle explosion des mouvements de protestation.

Les femmes sont-elles «le plus gros perdant »?

Selon de nombreuses statistiques publiées par divers pays, arabes et non arabes, les hommes sont les plus exposés à la contamination par le Covid-19. Il s’agit là du niveau sanitaire, mais il se peut qu’au niveau économique et social, le tribut payé par les femmes soit plus élevé. Ainsi sur le plan économique, les difficultés semblent avoir plus d’impacts sur la femme, qu’elle travaille ou qu’elle soit financièrement dépendante des hommes de la famille. Car si elle perd son emploi, elle perdra par la même son indépendance financière, qui ne sert pas seulement à subvenir à ses besoins matériels, mais lui assure également une sorte de position sociale et une protection contre l’avilissement. Si elle était sans emploi et que son «soutien de famille» a perdu la source de son revenu, ou que celui-ci a baissé, alors la vie sera encore plus dure, aussi bien pour elle que pour ses enfants. On pense ici aux« vendeuses de thé » au Soudan, celles de couscous en Mauritanie, aux vendeuses de pain, de sandwichs, de beignets et autres pâtisseries bon marché, ou toutes ces denrées des marchés populaires dans des dizaines de villes arabes. Le danger menace aussi les moyens de subsistance de millions d’ouvrières tunisiennes, marocaines et égyptiennes qui travaillent dans les entreprises de l’industrie légère et de transformation (textiles, industries alimentaires, conserverie, etc.) dont l’activité peut être suspendue pendant des mois et qui peuvent donc licencier des ouvrières ou mettre la clé sous le paillasson à cause du manque des commandes et de l’interruption des échanges exportations-importations.

Rester longtemps à la maison en compagnie du mari ne signifie pas forcément, pour les femmes, plus de proximité et d’amour. Cela peut même se transformer en purgatoire. En effet, de nombreux pays arabes (et ils ne font pas exception dans le monde) ont enregistré une augmentation significative du nombre de femmes victimes de violence depuis la mi-mars dernier. En Tunisie, par exemple, des organisations féministes, comme« l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement », confirment que le nombre de femmes qui ont signalé avoir subi des violences a quintuplé par rapport à la même période de 2019. Au Maroc, ce phénomène a incité les organisations féministes à lancer la campagne «Aidez votre pays et restez chez vous sans violence», afin de faire pression sur les autorités et tenter d’influencer l’opinion publique. Ces mêmes organisations ont aussi multiplié les cellules d’écoute pour les femmes victimes de violences. Au Liban, le nombre d’appels reçus sur la hotline réservée aux plaintes des femmes violentées a doublé – par rapport à la même période l’année dernière. Il en va de même en Jordanie, où « Jordanian Women’s Union » a mis en garde contre l’aggravation des cas de violence à l’égard des femmes depuis les premiers jours de l’imposition du confinement sanitaire.

Les oubliés

La situation des pauvres, lorsqu’ils sont dans leur pays et leur ville d’origine en compagnie de leur famille, reste bien meilleure que celle de plusieurs autres catégories de personnes, ignorées par leur pays dans les «bons moments» et carrément oubliées en temps d’épidémie.

Ainsi des milliers d’étudiants arabes, par exemple, se retrouvent coincés dans les pays étrangers où ils poursuivent des études, sans espoir d’être secourus financièrement par leur pays d’origine, ni rapatriés.

La plupart des pays arabes qui abritent sur leur territoire des camps de réfugiés (Palestiniens, Syriens, Irakiens et d’autres nationalités) les ont abandonnés à leur sort et laissés à la merci des organisations internationales et non gouvernementales.

De même qu’est apparu dans certains pays, dont la Tunisie, la Mauritanie et le Maroc, le problème des ressortissants, immigrés travaillant dans des pays voisins, et qui souhaitent rentrer chez eux par les frontières terrestres. Seulement les postes frontaliers leur ont été fermés au nez à cause des mesures de confinement sanitaire. Des centaines de Tunisiens se sont entassés,durant des semaines à la frontière entre la Libye et leur pays, dans l’attente d’un accord des autorités leur permettant de rentrer. Ils ont fini par perdre patience et forcer le passage au poste frontalier Ras-Jédir. A la frontière mauritano-sénégalaise, de nombreux Mauritaniens désireux de regagner leur pays se trouvent bloqués, certains d’entre eux ont réussi tout de même à s’infiltrer.

La plupart des pays arabes qui abritent sur leur territoire des camps de réfugiés (Palestiniens, Syriens, Irakiens et d’autres nationalités) les ont abandonnés à leur sort et laissés à la merci des organisations internationales et non gouvernementales. Dans certains pays, la propagation de la pandémie et la déclaration du confinement sanitaire ont porté un coup dur aux immigrés pauvres et/ou sans papiers. Le problème concerne particulièrement les Africains subsahariens qui se trouvent dans les pays du Maghreb et les Asiatiques dans les pays du Golfe. Grand nombre d’entre eux ne sont plus en mesure de subvenir à leurs besoins et ils ne peuvent pas s’adresser aux autorités officielles de crainte de tomber sous le coup de la loi, ou bien parce que les lois sont, elles mêmes, discriminatoires à l’égard des immigrés. La majorité d’entre eux partagent un logement avec un grand nombre d’individus, ce qui rend bien difficile tout respect des règles du confinement et de prévention contre la contamination.

II- Initiatives de solidarité sous plusieurs formes

Depuis les premiers jours de la propagation du virus dans les pays arabes, et surtout après la succession d’annonces concernant les décisions de confinement sanitaire, dont la rigueur et la sévérité varient d’un pays à l’autre, les gens ont saisi à quel point la situation était fragile et grave. Ils ont compris (certains d’entre eux, du moins) que la solidarité était inéluctable pour traverser cette étape avec le moindre mal. Les initiatives caritatives et de volontariat se sont succédé si rapidement qu’il serait impossible de les recenser ou de les évaluer. Certaines formes de cette solidarité sont anciennes et existent bien avant le coronavirus, comme l’entraide familiale, clanique, tribale, et même régionale et communautaire. D’autres formes sont «classiques» dans le sens où elles sont prises à l’initiative d’associations et d’organisations caritatives et de secours, locales ou internationales, qui travaillent de manière permanente depuis des années et ont l’expérience et les moyens d’intervenir rapidement et efficacement. Les initiatives les plus courantes sont celles qui concernent la collecte et la distribution des aides en nature comme la nourriture, les équipements de protection et le matériel de désinfection et de nettoyage. Il y a aussi de nouvelles initiatives nées avec la propagation de l’épidémie du coronavirus et que nous avons choisi de mettre en lumière.

Volontariat des jeunes dans la vie quotidienne

En Tunisie, par exemple, les jeunes ont joué, et continuent de jouer, un rôle important dans la sensibilisation à la nécessité de prévenir contre le coronavirus et de réduire ses impacts sociaux et économiques. En plus des campagnes d’explication de la maladie et des moyens de s’en protéger, plusieurs d’entre eux, comptant sur leurs propres efforts ou en coordination avec des structures gouvernementales et des acteurs de la société civile, ont mené des opérations pour désinfecter des rues et des bâtiments, organiser les files d’attente des citoyens devant et à l’intérieur des administrations,des grandes surfaces commerciales et des stations de transport en commun pour faire respecter les exigences de la distanciation physique.

Pour les jeunes des «Comités de résistance» au Soudan, la lutte contre le coronavirus et ses effets sociaux est considérée comme une nouvelle bataille.Ils ont donc organisé des campagnes de sensibilisation et tenté de s’opposer aux détenteurs du monopole des produits de stérilisation et de désinfection, en coordonnant leur action avec l’initiative du « Comité central des pharmaciens » et en distribuant gratuitement aux citoyens des centaines de milliers de packs. Ils ont également contribué au recensement du nombre des familles qui ont le plus besoin d’aide alimentaire.

Depuis les premiers jours de la propagation du virus dans les pays arabes, les gens ont saisi à quel point la situation était fragile et grave. Ils ont compris que la solidarité était inéluctable pour traverser cette étape avec le moindre mal.

Des milliers d’initiatives (surtout de groupes de jeunes), de secours aux plus démunis et des « inventions » pour débrouiller les manques techniques ont vu le jour.

En Somalie, des étudiants de l’Université de Mogadiscio ont participé à l’organisation d’une campagne «Une once de prévention vaut mieux qu’un quintal de traitement », devenue très active dans les zones les plus pauvres et les plus exposées à la propagation de la maladie, comme les grands groupements d’habitation et les camps des migrants à la périphérie de la capitale. Ces étudiants ne se contentent pas d’aller dans des zones dangereuses, de s’adresser aux habitants et de les sensibiliser à la maladie, mais ils distribuent aussi des articles de base pour la protection individuelle et collective tels que savons, kits de stérilisation et produits de nettoyage domestique.

Il en est de même dans de nombreux villages égyptiens pauvres et abandonnés à leur sort durant cette crise, et où les jeunes jouent un rôle vital, car ils entreprennent – avec des moyens modestes et sans le soutien du gouvernement dans la plupart des cas –de désinfecter les rues et d’expliquer à la population l’épidémie, ses dangers et les moyens de s’en protéger. Ils contribuent aussi à organiser la vie quotidienne et à trouver des solutions pour l’approvisionnement en produits alimentaires et autres, à des prix raisonnables.

Les initiatives des jeunes dans la Bande de Gaza se distinguent par la persévérance et la créativité. Etant donné leur conscience aiguë de la situation du secteur, assiégé pendant quatorze ans, et ayant été soumis à une succession de guerres israéliennes destructrices, ils ont vite saisi que cette situation serait catastrophique, si d’abord la propagation de l’épidémie n’était pas anticipée et ensuite si les conditions de vie des habitants n’étaient pas soutenues, car la pauvreté touche 70% de la population de Gaza.

Partout les jeunes médecins et infirmiers étaient aux premiers rangs des volontaires dans les hôpitaux, et parmi les travailleurs dans les services et circuits consacrés à l’accueil, l’examen et le traitement des personnes atteintes du Covid-19. Par exemple, les jeunes parmi les médecins de l’Université libanaise publique (seule université gratuite au Liban appelée « Université des pauvres », mais où le niveau de la faculté de médecine est excellent) et ses infirmiers ont été les premiers à mettre en place, à l’hôpital universitaire gratuit Rafic Hariri, une cellule d’accueil et de conseil pour les personnes soupçonnées d’être infectées par Covid-19. Ils ont même été jusqu’à traiter ces malades, dans un pays où le secteur médical privé vampirise tout, alors que la plus grande majorité des citoyens n’a pas les moyens d’y accéder.

Initiatives de solidarité pour des groupes spécifiques

Au Soudan, les mesures de confinement et de couvre-feu ont eu pour effet de priver – totalement ou en partie – des dizaines de milliers de femmes de leur source de revenu qui consiste à vendre du thé dans les rues. C’est pourquoi l’initiative « Reste chez toi, tes sous tu les auras à ta porte» a vu le jour. Il s’agit d’une collecte d’argent pour compenser un peu les pertes de ces « dames du thé » comme on les appelle au Soudan. Quelqu’un leur a même donné l’argent qu’il réservait à son mariage ! Dans certaines régions du Liban, la campagne « Nous sommes à tes côtés » a été menée pour soutenir les chauffeurs de taxi, qui font partie des groupes gravement touchés par le confinement. Par ailleurs, en vue de distribuer les aides officielles ou des dons, des équipes de jeunes se sont constituées pour procéder au recensement des familles dans le besoin à Tripoli, la ville la plus pauvre du pays, qui ne dispose ni d’informations, ni de statistiques effectives.

Par ailleurs, certaines personnes n’ont pas besoin de dons, mais ont du mal à sortir faire leurs courses et même à obtenir leurs médicaments. Dans la ville marocaine de Tétouan, (ainsi que dans de nombreuses villes égyptiennes), plusieurs jeunes se sont portés volontaires pour faire les provisions des personnes âgées, des handicapés et des malades dont le système immunitaire est faible. Ces volontaires ont mis leurs numéros de téléphone à la disposition de tous ceux qui ont besoin d’aide.

En Égypte, plusieurs restaurants se sont mobilisés pour fournir des repas gratuits au personnel des hôpitaux voisins et soutenir ainsi «l’Armée blanche» dans sa bataille contre Covid-19. Ces repas peuvent aussi être offerts aux passants qui n’ont rien à manger. Les mêmes actions se sont multipliées en Tunisie également, où des associations et initiatives privées, en coordination avec des restaurateurs, ont pu fournir des milliers de repas par jour aux travailleurs des secteurs de la santé, de la collecte des déchets, ainsi qu’aux étudiants étrangers et aux travailleurs immigrés, notamment ceux originaires d’Afrique subsaharienne.

Initiatives de professionnels et étudiants des secteurs de la santé

Dans plusieurs pays arabes, des médecins et même des infirmiers et des étudiants dans des spécialités médicales et paramédicales ont eu l’idée d’utiliser les plateformes des médias sociaux et des technologies de communication vidéo pour fournir des informations sur le Coronavirus et les véritables méthodes scientifiques pour s’en prémunir, ainsi que pour guider les personnes supposées atteintes. Plusieurs pages Facebook ont ainsi vu le jour en Irak, par exemple, sur lesquelles sont publiés des numéros de téléphone de médecins bénévoles pour ceux qui ont besoin de conseils médicaux urgents et gratuits dans diverses spécialités. Au Maroc, des médecins ont lancé l’initiative « Chifa » (Guérir), qui diffuse des vidéos de sensibilisation et d’actualité, et organise des entretiens en direct avec des spécialistes.

Il y a aussi le soutien psychologique, très important, surtout avec le confinement qui dure et la perturbation de la vie sociale. Il peut être utile aux citoyens comme aux médecins eux-mêmes. C’est ainsi qu’en Égypte, par exemple, des psychologues ont lancé l’initiative «Soutien psychologique au personnel médical». Les pharmaciens et préparateurs pharmaceutiques ont également pris part à ces multiples actions volontaires, comme au Soudan où « Le Comité central des pharmaciens » ne s’est pas contenté de préparer gratuitement de grandes quantités de produits désinfectants (en collaboration avec le Conseil de l’Ordre des médecins et la jeunesse de la révolution soudanaise), mais il a réussi à contourner des difficultés comme le manque de certaines matières essentielles, ou leur prix élevé, en les remplaçant par des composantes moins onéreuses, mais tout aussi efficaces et ayant les mêmes caractéristiques.

-Les initiatives des ingénieurs, techniciens et spécialistes en technologie

Nombreux sont les diplômés et les étudiants des écoles d’ingénieurs, des instituts technologiques et autres qui ont retroussé leurs manches pour tenter de trouver des alternatives aux moyens de protection contre le virus et aux autres équipements médicaux. Au Maroc des ingénieurs ont lancé l’initiative « Ingénierie vs Covid-19 Africa » en coordination avec des professionnels de la santé et des enseignants des universités de Casablanca et Tanger. Ils ont ainsi développé des prototypes de masques qui protègent tout le visage et des composants de respirateurs en recourant seulement au marché local, notamment à partir de pièces de masques et d’autres équipements de plongée. En Tunisie, les élèves des écoles d’ingénieurs se sont lancé le défi de fabriquer des modèles de respirateurs artificiels avec des moyens locaux aussi, tout en garantissant la qualité et la précision. Les étudiants de l’ »École Nationale d’Ingénieurs de Sousse » ont pu effectivement développer un modèle qui a été approuvé par le ministère de la Santé. Les habitants de la Bande de Gaza assiégée, ont de leur côté démontré, une fois de plus, leur force de détermination et leur capacité à trouver des solutions, en se mobilisant, en s’entraidant et en multipliant initiatives et inventions. Certains d’entre eux ont développé des algorithmes et des applications pour suivre les individus atteints par la maladie et recenser le nombre de personnes qui ont été en contact avec eux. D’autres se sont employés à fabriquer de respirateurs malgré la rareté des équipements et composantes nécessaires. D’autres encore ont essayé de trouver des solutions au problème de la pénurie des tests, des échantillonnages et des laboratoires en utilisant des logiciels avancés capables de diagnostiquer les cas d’infection avec une précision d’environ 80%.

● Toutes ces initiatives (ce n’est là qu’un tout petit aperçu) sont louables et nécessaires, mais peut-on compter indéfiniment sur ces actions? De nombreux experts affirment que les impacts économiques de l’épidémie ne sont pas encore apparus et que les jours les plus difficiles sont à venir. Ce qui signifie que plusieurs parmi ceux qui font des gestes de volontariat et de solidarité aujourd’hui, pourraient ne plus être en mesure de continuer à le faire, voire de se trouver, pour certains du moins, dans le besoin d’assistance et de solidarité à leur tour. Que feraient les États à ce moment-là? Imposeraient-ils des taxes exceptionnelles aux classes les plus riches? Cesseraient-ils de payer leurs dettes aux institutions financières internationales ? Engageraient-ils une campagne pour récupérer l’argent du peuple auprès des corrompus et des fraudeurs du fisc?

● La pandémie de Coronavirus a révélé – de nouveau, s’il fallait – que les services de santé sont étroitement liés à d’autres secteurs. D’abord une éducation publique de qualité, et la capacité de retenir, dans leur pays, les spécialistes dont les médecins et les infirmiers, alors que sévit actuellement une énorme hémorragie migratoire des diplômés, à cause de salaires médiocres et même du chômage. Ensuite il y a le logement et les conditions minimales et descentes qu’il nécessite, dont celles relatives à l’hygiène et à l’espace de vie. Puis aussi la couverture sociale qui permet à chacun d’espérer des soins de santé gratuits et de qualité. Le travail enfin qui permet à chacun de disposer de ce qui est nécessaire à sa vie, à sa nutrition, etc. Il s’agit là de « choix » politiques, économiques et sociaux qui ont été longtemps ignorés et que la pandémie vient d’en révéler les conséquences.