Pourquoi Gramsci ?

La conférence La Grande Transition commence aujourd’hui à Montréal jusqu’au 20 mai. Parmi les 120 sessions au programme, quelques chercheurs-militants qui sont également des militants-chercheurs ont décidé de revisiter ce qu’on légué des générations militantes antérieures. C’est de là qu’est organisé un atelier vendredi après-midi 18 mai, « Sur l’État, l’hégémonie et la transition, avec Gramsci et Poulantzas ».

Le programme complet de la Grande Transion : https://thegreattransition.net/fr/accueil/

 

La pensée critique s’inscrivant dans la tradition du matérialisme historique esquissée par Marx s’exprime par des recherches et des explorations sans cesse renouvelées. Il n’y a pas, contrairement au mythe véhiculé par les socialistes du vingtième siècle, de « marxisme », du moins si considère celui-ci comme un ensemble de dogmes codifiés, pour ne pas dire de « recettes ». Déjà des intellectualités exceptionnelles avaient compris cela, de Lénine en passant par Rosa Luxemburg et C.L.R. James, pour n’en mentionner que quelques-uns.

Aujourd’hui, on peut se dire privilégiés que le problème n’est plus tellement de se retrouver encarcannés dans des théories dogmatiques. La pensée critique est à juste titre un labeur qui ne doit pas avoir peur d’explorer des sentiers non-balisés. Les théories féministes, l’écologie politique, la perspective altermondialiste ont pris leur place, ainsi que des « relectures » studieuses et rigoureuses de l’héritage des anciennes générations. Les travaux sur cet héritage permettent d’y trouver des « outils », qui peuvent propulser les recherches en cours sans arrogance et sans penser réinventer la roue.

Dans ce vaste trésor, deux auteurs occupent une place particulière, l’un au début et l’autre à la fin du siècle passé.

Dans les années suivant la Première Guerre mondiale, l’Europe était grosse de révolutions, d’où l’irruption inattendue des soviets en Russie. Au départ confiants que le monde pouvait effectivement, « changer de base » (comme le dit la chanson), les socialistes de l’époque ont cependant déchanté devant la série de défaites terribles qu’ils ont encaissées dans l’ombre de la contre-révolution en URSS et de la montée du fascisme. C’est dans cette tragédie aux allures shakespeariennes qu’est apparu Antonio Gramsci, un philosophe communiste italien qui ne craignait pas dire que la gauche avait été responsable, en grande partie, de ce grand échec. Il fallait donc, dit-il, tout revoir, et c’est ce qu’on a tenté de déchiffrer depuis quelques années dans ses œuvres, notamment ses Cahiers de prison, écrits dans des circonstances épouvantables. Ce travail était tellement subversif que la gauche « officielle » l’a occulté pendant longtemps. Celle-ci ne pouvait pas tolérer que Gramsci démontait le mécanisme d’une théorisation atrophiée et honteuse qu’on a connu sous le label du « marxisme-léninisme ». Son insistance à faire sortir la pensée critique vers des territoires peu explorés (les paysans, les intellectuels, la culture) remettait en question la vision étriquée du « parti d’avant-garde » dépositaire de la vérité définitive. Quand les générations de 1968, pour employer cette expression, l’ont redécouvert, cela a été un grand choc.

C’est justement à ce moment qu’a émergé un jeune intellectuel grec, réfugié à Paris à la suite du coup d’état militaire de 1966, Nicos Poulantzas. Au tournant des années 1970, Nicos était un autre témoin d’une grande défaite, alors que la gauche semblait sur le bord de faire basculer le pouvoir dans certaines parties du monde. C’était en phase également avec les mouvements de libération qui poussaient un peu partout dans le sud où l’ « heure des brasiers » illustrait la grave crise du capitalisme et de l’impérialisme. Encore là, la gauche s’est laissée emporter. Elle a navigué entre deux mythes, celui de la « prise du pouvoir » qui allait « briser l’État » et réinventer la société, d’une part ; et l’autre, en apparence à l’inverse, celle qui misait sur un processus légal et parlementaire, comme si le dispositif du pouvoir allait se laisser tranquillement délogé par des élections ! Ni d’un côté ni de l’autre, les tendances de gauche, réformistes ou radicales, n’ont pu éclaircir une voie de transition gagnante. Et alors devant ces dilemmes, le jeune Poulantzas s’est mis au boulot pour écrire des œuvres magistrales sur l’État, le socialisme et la transformation. Mort prématurément, il a laissé des explorations qui restent totalement d’actualité, au moment où encore une fois, après trente années de capitalisme mondialisé triomphant, la question de la transition est reposée.

On trouve donc dans ces deux recherches des matériaux pour débattre et explorer davantage.

  • Comment justement transformer ce dispositif du pouvoir ancré sur les profondeurs de l’État, mais aussi dans les « appareils d’État », qui pénètrent la société, la modèlent et l’enferment ?
  • Si la « bataille des idées » est au moins aussi importante que la bataille « tout court », comment réellement défier la culture dominante qui génère le sentiment d’impuissance et la terrible idéologie du tout-le-monde-contre-tout-le-monde ?
  • Sachant que le mythe du parti omni puissant et omni présent est dégonflé, quels sont les mécanismes, les intersections, les méthodologies les plus appropriés pour faciliter le processus d’auto-émancipation des couches populaires ?

 

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