Venezuela : triste victoire pour Nicolás Maduro

  

 

Au bruit des Klaxon et des chants de campagne, en voiture, à moto ou à pied, des centaines de Vénézuéliens affluent vers le palais présidentiel de Miraflores féliciter leur candidat, Nicolás Maduro. Plus à l’est, toujours dans le centre de Caracas, c’est un concert de casseroles qui se fait entendre en signe de réprobation.

Le Conseil national électoral (CNE) vient de donner les premiers résultats de l’élection présidentielle ce dimanche soir : le président en exercice remporte le scrutin avec 67,7 % des voix, sur 92,6 % des suffrages dépouillés. Son principal adversaire, l’ancien gouverneur de Lara, Henri Falcón, est très loin derrière avec 21,2 % des voix. Le pasteur évangéliste Javier Bertucci se hisse à 10,7 % des voix et l’ancien porte-parole du Partido Socialista Unido de Venezuela (PSUV), Reinaldo Quijada, obtient un petit 0,4 %.

Mais l’autre grande gagnante est l’abstention : 46,01 % « avec une projection à 48 % »selon le CNE. Une telle ampleur n’a jamais été vue au Venezuela. À titre de comparaison, lors des élections présidentielles de 2013, quand Nicolás Maduro a été élu de justesse, elle se situait seulement à 20 %.

Pour les opposants du Frente Amplio Libre ayant appelé à ne pas voter, ce résultat sonne comme une victoire : « Cette farce a été vaincue par le peuple par son absence dans les urnes », lançait le dirigeant de l’organisation Juan Pablo Guanipa, avant même que les résultats ne soient rendus publics. Mêmes cris de victoire du côté de Miraflores : « Jamais auparavant un candidat présidentiel n’avait gagné avec 68 % […]. Knockout. Il est “groggy », lançait Nicolás Maduro en référence à Henri Falcón devant la foule rassemblée, où nombre de ses supporteurs portaient de fausses moustaches en clin d’œil à leur président.

  • Le scrutin boudé

Ce 20 mai, les bureaux de vote étaient quasiment vides dans les quartiers de l’est de la capitale. À Chacao, place Bolivar, pas de files d’attente sur une centaine de mètres comme lors de précédents scrutins. Seules une vingtaine de personnes attendent leur tour. « Je n’irai pas voter pour ce simulacre d’élection, personne ici ne le fera. Quel que soit le scénario, Nicolás Maduro n’aurait jamais reconnu sa défaite », lance une dame âgée à la cantonade, alors qu’elle passe derrière les quelques personnes qui ont décidé d’exercer leur droit. Les adversaires de Nicolás Maduro n’ont pas digéré la convocation du scrutin par l’Assemblée nationale constituante, entièrement chaviste et dont ils ne reconnaissent pas la légitimité. Cette élection, qui se déroule traditionnellement en décembre, a été finalement avancée au 20 mai et a laissé peu de temps pour mener campagne. Elle n’a duré officiellement qu’un peu plus de trois semaines.

Au 23 de Enero, bastion chaviste où repose Hugo Chavez, l’affluence, tout de même plus importante que dans l’est de la ville, plus aisé, n’est pas non plus au rendez-vous. La responsable du bureau de vote de Luis-Enrique-Mármol nous informe que seuls 858 électeurs sur les 2 915 inscrits se sont déplacés à la mi-journée. Non loin de là, derrière son petit commerce en bois où il vend de la restauration rapide, Francisco Lamas Lara montre fièrement son doigt teinté d’encre bleue, preuve qu’il a voté : « Nicolás Maduro est le seul capable d’affronter cette opposition qui conspire contre la patrie et nous a mis dans la situation économique actuelle », dit-il.

  • Le « carnet de la patrie » dénoncé par les adversaires de Maduro

À quelques centaines de mètres du bureau de vote, se trouve un « punto rojo » (« point rouge »). C’est sous cette tente rouge que les Vénézuéliens enregistrent leur « carnet de la patrie » après avoir choisi leur candidat et donnent ainsi l’information au gouvernement qu’ils se sont bien déplacés voter ce dimanche. Une fois enregistrés, les bénéficiaires ont reçu un texto : « FÉLICITATIONS. Ta participation aux élections de ce dimanche 20M renforce la démocratie et la Constitution. » Nicolás Maduro a promis le 15 mai une « récompense » à « ceux qui exerçaient leur droit de vote ». Nous avons remarqué par trois fois des « punto rojos » sur les quatre bureaux visités. Ils sont autorisés s’ils se situent à plus de 200 mètres du lieu de vote. Ce n’était pas toujours le cas…

Ce sont ces pratiques qu’ont dénoncées les deux adversaires de Nicolás Maduro dimanche soir. Henri Falcón n’a pas reconnu les résultats et, comme Javier Bertucci, il appelle à l’organisation d’un nouveau scrutin. « Nous ne reconnaissons pas ce processus électoral et nous le qualifions d’illégitime », a déclaré le candidat peu avant que le CNE ne divulgue les premiers résultats. Il dénonce « le non-respect des accords » qui ont été scellés avec le camp présidentiel pour la bonne tenue du scrutin. Parmi les points négociés : la présence d’observateurs internationaux. L’ONU n’a pu se déplacer. Impossible d’organiser une délégation en si peu de temps.

Il y avait bien des personnalités venues du monde entier. Au lycée Andrés-Bello, le plus grand centre de vote de Caracas, Christian Rodriguez, responsable Amérique latine de La France insoumise, discute avec le Malien Oumar Mariko du parti Sadi et le Tunisien Hamma Hammami du Front populaire. Habillé du gilet du CNE, il se prête facilement aux questions des journalistes. Ce jour de vote « est une fête démocratique au Venezuela. Il y a une envie du peuple vénézuélien de décider », dit-il. Le punto rojo situé seulement à une centaine de mètres de là ? « Qu’est-ce que c’est ? », répond-il, estimant ensuite que l’aide à la population est quelque chose de positif. « Il n’y a pas de mauvaises intentions. Ce n’est pas pour acheter le vote. »

  • Le scénario du pire

Au vu du déroulement du scrutin, et malgré son score important, Nicolás Maduro n’est pas parvenu à convaincre certains pays étrangers de la bonne santé de la démocratie vénézuélienne. Peu à peu, des pays confirment qu’ils ne reconnaissent pas le scrutin. À l’heure où nous écrivons, le Costa Rica, le Panama et le Chili se sont déjà positionnés dans ce sens. Les États-Unis, l’Union européenne et le Groupe de Lima, une alliance de pays d’Amérique, avaient déjà rejeté ce scrutin.

Nicolás Maduro, à Caracas, le 20 mai.

Les sanctions de l’Union européenne et des États-Unis qui pèsent sur un pays déjà traversé par une crise catastrophique pourraient s’intensifier. Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, a déclaré étudier des « mesures opportunes » à prendre avec l’Union européenne. Dans les rues de Caracas, les Vénézuéliens craignent que les États-Unis ne mettent des menaces en suspens à l’œuvre, comme un embargo sur leur principale richesse : le pétrole. Nicolás Maduro peut compter sur des appuis de poids. La Chine, à travers le porte-parole des affaires étrangères, Liu Kang, demande à « respecter la décision du Venezuela », tandis que la Russie dénonce l’ingérence de pays étrangers, « les gouvernements qui ont ouvertement appelé à boycotter le scrutin », comme l’a déclaré Alexander Shchetinin, directeur du département Amérique latine du ministère des affaires étrangères. Le Venezuela est désormais un enjeu mondial.

Au plan national, l’appel au dialogue de Nicolás Maduro aura bien du mal à convaincre les oppositions au vu des précédentes rencontres en République dominicaine qui se sont soldées par un retentissant échec en février dernier. Les oppositions, dont une grande partie se sont réunies au sein du Frente Amplio Libre allant des chavistes dits critiques à une droite plus radicale et libérale, pourraient se rapprocher d’Henri Falcón.Aucun de ces deux camps ne reconnaît la légitimité du gouvernement. Reste à voir s’il y aura de nouveau une dispute pour le leadership. Désormais, Henri Falcón peut prétendre à jouer ce rôle, ce qui ne sera pas du goût de certains de ses « alliés ». Les membres du Frente Amplio ont déclaré qu’ils « lutter[aie]nt pour la démocratie »dès le 21 mai.

Les manifestations antigouvernementales de l’an passé avaient provoqué la mort d’au minimum 125 personnes. Le 15 mai, Luis Florido, député de Voluntad Popular (aile radicale du Frente Amplio), qui prenait déjà de l’avance sur l’agenda, nous soutenait, évasif, que d’autres événements que des manifestations pouvaient être organisés. Les Vénézuéliens se préparent à ce que l’année 2018 soit pire que la précédente. Difficile à imaginer.

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