Venezuela : « Trump joue un jeu très dangereux »

 

Entretien avec Federico Finchelstein et Alejandro Velasco, Mathieu Magnaudeix, Médiapart, 26 janvier 2019

 

Paris – Donald Trump a été le premier dirigeant à « reconnaître » Juan Guaidó, l’adversaire de Nicolás Maduro, comme « président par intérim » du Venezuela. Que cherchent les États-Unis ? Faut-il craindre une intervention américaine ? Entretien croisé avec Federico Finchelstein et Alejandro Velasco, historiens à la New School de New York et à la New York University.

Donald Trump a reconnu le 23 janvier le président de l’Assemblée nationale Juan Guaidó comme « président par intérim » du Venezuela. Il a été le premier dirigeant à le faire, suivi par une dizaine de pays d’Amérique latine, mais aussi le Canada. Le Kremlin a dénoncé une « tentative d’usurpation du pouvoir » . L’Union européenne a appelé à des élections « libres et justes » , sans reconnaître pour autant Guaidó. À ce stade, l’armée, par la voix du ministre de la défense, le général Vladimir Padrino, a annoncé son soutien à Maduro.

Pourquoi les États-Unis de Trump, président isolationniste entouré de faucons, mènent-ils la contestation contre Nicolás Maduro ? Doit-on craindre une intervention, dans la longue tradition des ingérences américaines sur le continent ? Entretiens croisés avec Alejandro Velasco , chercheur vénézuélien à la New York University, et Federico Finchelstein , spécialiste des relations entre l’Amérique du Sud et les États-Unis, professeur à la New School for Social Research de New York.

Mediapart : Comment expliquer la décision soudaine de Donald Trump de reconnaître comme président Juan Guaidó, le président de l’Assemblée nationale ?

Alejandro Velasco : Maduro est une cible facile. C’est davantage Noriega qu’ Allende ! Le « fruit » de son régime est mûr. Il manque de légitimité. Il pensait avoir neutralisé l’opposition, elle était au contraire coordonnée et bénéficie de soutiens internationaux. Les États-Unis entendent affirmer une hégémonie nouvelle dans la région, dans un contexte favorable pour eux puisque le continent est désormais dirigé par des gouvernements très à droite.

Il y a vingt ans, le Venezuela avait été le premier pays à remettre en cause l’agenda néolibéral sur le continent. Il y a cette envie de donner le coup de grâce. La volonté d’isoler la Chine et la Russie et la Turquie, de plus en plus impliquées au Venezuela, joue aussi un rôle certain. Par ailleurs, les États-Unis essaient de se positionner pour tirer des bénéfices d’un éventuel changement de pouvoir à Caracas, en termes de ressources, de marchés. Cela tombe bien : Bolsonaro, Macri et Duque [les présidents brésilien, argentin et colombien – ndlr] veulent renforcer leurs liens économiques avec les États-Unis.

Il y a aussi des raisons internes. Trump se moque complètement du Venezuela, mais la droite américaine y est très attentive, en particulier le sénateur de Floride Marco Rubio, soutien actif de Guaidó, à qui Trump a quasiment sous-traité sa politique en Amérique latine. Ou encore le conseiller néoconservateur à la sécurité nationale, John Bolton , un des architectes de la guerre en Irak, adepte des « changements de régime » , qui prône une intervention en Iran.

Dans un contexte politique très polarisé, c’est aussi un moyen d’obtenir un certain soutien bipartisan. Une partie des démocrates, et non des moindres, notamment les élus de Floride, suivent la ligne de l’administration Trump.[D’autres démocrates, comme les jeunes élues Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar ou le sénateur Bernie Sanders, ont mis en garde contre toute intervention américaine – ndlr.]

Federico Finchelstein : Cela vient s’inscrire dans une longue tradition d’ingérences dans la région et quand les États-Unis se mêlent de politique intérieure en Amérique latine, ce n’est jamais un bon signe. Surtout dans un contexte où Bolsonaro et le président colombien Duque cherchent à se mettre dans la roue de l’administration Trump.

De toute évidence, le régime vénézuélien est désormais plus proche de la dictature que de la démocratie autoritaire de Chavez. Maduro a presque détruit la démocratie. Mais je ne suis pas sûr que Trump et Bolsonaro soient les personnalités les plus adaptées pour gérer cette crise. Eux-mêmes sont très autoritaires et ne prônent pas des valeurs démocratiques. Des leaders à tendance autoritaire qui attaquent d’autres pays au nom de la démocratie, on a vu ça avec l’Irak et la Libye, et on a vu le résultat…

 

« Toutes les options sont sur la table » , nous dit aujourd’hui l’administration Trump. Il est question d’un embargo pétrolier, de nouveaux gels des avoirs. Quel est le plan des États-Unis ? Faut-il craindre une escalade militaire ? « Nous devons tirer les leçons du passé et pas soutenir des changements de régime ou des coups d’État, comme nous l’avons fait au Chili, au Guatemala, au Brésil ou en République dominicaine » , a averti Bernie Sanders.

Alejandro Velasco : De toute évidence, on retrouve les procédés interventionnistes classiques des administrations américaines. Mike Pompeo [le secrétaire d’État américain – ndlr] , John Bolton et Marco Rubio jouent un jeu très dangereux. Après que Maduro a donné soixante-douze heures aux diplomates américains pour quitter le pays, Pompeo a dit qu’ils ne partiraient pas. C’est du jamais-vu ! En retour, un proche de Maduro, Diosdado Cabello, alaissé entendre que le Venezuela pourrait couper l’électricité ou le gaz des diplomates américains. Ce genre de déclarations peut être interprété par Pompeo, Bolton et Rubio comme un acte de guerre contre les citoyens américains. Ce ne serait pas la première fois que les États-Unis invoquent la sûreté de leurs ressortissants pour justifier une intervention américaine, même limitée.

Federico Finchelstein : Les États-Unis veulent-ils jouer un rôle actif dans le changement de régime à Caracas ? Bolton et Trump pensent sans doute qu’il est possible d’intervenir au Venezuela de façon rapide, légère, mais ce genre d’idées prouve leur ignorance. La situation au Venezuela est très complexe et il n’y a pas de solution immédiate. On ne peut pas dire que les interventions américaines passées dans la région aient été des succès. À vrai dire, je ne suis même pas sûr que l’administration américaine ait un plan. En tout cas, suivre le leadership de Trump pour refonder la démocratie est dangereux. Franchement, c’est comme donner à un terroriste les commandes d’un avion de ligne. Tout ce qu’il fait abîme la tradition démocratique américaine et encourage des leaders antidémocratiques partout dans le monde. Il faut que les parties prenantes puissent participer au dialogue, à un futur processus démocratique. Le Venezuela a besoin de négociations et d’élections libres, pas d’ultimatums.

La politique étrangère de Donald Trump est chaotique. Il y a un mois, le patron du Pentagone a annoncé sa démission après que Donald Trump a confirmé son intention de retirer des troupes américaines d’Afghanistan et de Syrie . Au Venezuela, il laisse entrevoir depuis l’été 2017 la possibilité d’une intervention. Où est la logique ?

Alejandro Velasco : C’est de la pure realpolitik . Maduro est en grande difficulté politique. Vu les distances, il y a peu de risques que la Russie, la Chine ou la Turquie interviennent. Le paysage régional est favorable. C’est l’occasion pour l’administration d’affirmer son hégémonie, dans un contexte régional désormais favorable pour elle.

Federico Finchelstein : Il y a ce débat parmi les experts des relations internationales pour savoir si Trump est isolationniste ou non, quelle est sa doctrine. À vrai dire, ce genre de discussion avec des dirigeants erratiques comme lui est un peu vain. Il fait ce qui correspond à ses intérêts immédiats. Les politiques de Trump sont globalement en échec, il peut avoir un intérêt à se présenter comme le leader d’une coalition internationale au Venezuela. Ce qui, au passage, risque de renforcer Maduro, qui tient une occasion de s’ériger en défenseur du pays face aux États-Unis. Encore une fois, ce dont le Venezuela a besoin, c’est du rétablissement de la démocratie à travers des élections libres.

Comment qualifier ce qui se passe actuellement au Venezuela. Est-ce un coup d’État ?

Alejandro Velasco : En tout cas, la légitimité constitutionnelle invoquée par Guaidó s’effondre assez vite. Les articles qu’il invoque pour justifier sa proclamation comme président l’obligent aussi à convoquer des élections sous trente jours, ce qu’il ne va pas faire. Ce qui est en jeu en ce moment au Venezuela, c’est une pure guerre pour le pouvoir entre des factions rivales qui bénéficient de soutiens puissants à l’étranger.

Federico Finchelstein : Ce n’est pas clair pour l’instant, car tout cela se déroule sous nos yeux. Ce qu’on peut dire, c’est qu’une situation déjà complexe est en train de devenir d’autant plus toxique à cause de la politique de l’administration Trump et de ses acolytes comme Bolsonaro.

À rebours des autres pays de la région, le Mexique et l’Uruguay appellent à des négociations . Quels sont vos espoirs et vos craintes ?

Alejandro Velasco : Si des négociations ont lieu, un des enjeux sera le départ du pouvoir de Maduro. On n’en est plus à un scénario de partage du pouvoir. Mais encore faut-il que ces discussions aient lieu. Or les États-Unis ne semblent pas intéressés par un transfert pacifique du pouvoir. C’est inquiétant.

Federico Finchelstein : Andrés Malamud, un spécialiste des relations internationales en poste à l’université de Lisbonne, a bien résumé la situation. En référence aux printemps arabes, il a dit qu’il souhaitait pour le Venezuela une transition démocratique pacifique à la tunisienne, qu’il voyait se profiler une situation à l’égyptienne – des élections suivies d’un coup d’État -, et qu’il redoutait une guerre civile comme en Libye. Toutes ces options sont aujourd’hui envisageables.

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