Gustave massiah, Intercoll, 7 janvier 2021
Les enjeux du Forum Social Mondial 2021[1][1] sont considérables. Dans une situation mondiale profondément contradictoire, il doit permettre de : redéfinir une proposition altermondialiste correspondant à la nouvelle situation ; comprendre les contradictions nouvelles du système mondial ; partir des mouvements pour résister, définir les alternatives, construire un nouveau projet d’émancipation.
Prendre en compte une situation mondiale contradictoire
Le choc de la pandémie et du climat a accentué les ébranlements de la crise financière et politique de 2008 qui s’était traduite par une évolution austéritaire, combinant austérité et autoritarisme, du néolibéralisme. Les contradictions économiques et financières, sociales, écologiques, démocratiques, idéologiques et géopolitiques atteignent un niveau inconnu historiquement.
La situation est profondément contradictoire au niveau mondial et dans de nombreux pays, comme l’a encore illustré la situation chaotique des Etats-Unis. L’austéritarisme risque d’évoluer vers néolibéralisme dictatorial, avec des idéologies identitaires et sécuritaires, porté par des couches sociales que la peur du déclassement et l’insécurité font basculer vers les droites extrêmes en laissant des marges de manoeuvre à des milices fascistes. Les nationalismes virulents sont à l’offensive, les régimes dictatoriaux se multiplient et plus d’un milliard de personnes vivent dans des régions en guerre. A l’inverse, des mouvements profonds démontrent des volontés de changement radical : le mouvement des femmes remet en question des rapports millénaires ; le mouvement de l’urgence climatique fait exploser les certitudes sur la conception du développement fondé sur la croissance productiviste ; le mouvement contre le racisme et les discriminations, à l’exemple de mouvements comme Black Lives Matters, les afro-féministes brésiliennes, les peuples autochtones, met en avant la décolonisation inachevée.
Redéfinir une proposition altermondialiste
Nous sommes dans une période de rupture marquée par la perte de résilience, par la perte des capacités de résistance et d’adaptation, du système mondial. A des questions éminemment mondiales, le climat, la pandémie, les migrations, les guerres, la production, les réponses ont été nationales et étatiques, et du point de vue idéologique, les nationalismes sont à l’offensive. Le FSM 2021 prendra sa part dans ces recompositions et dans le renforcement des mobilisations internationales altermondialistes.
Les réseaux internationaux et continentaux de mouvements ont cherché à répondre à cette situation et à se renouveler. Des forums sociaux thématiques (économie sociale et solidaire, migrations, éducation, communs, …), régionaux (Amazonie, Maghreb, Afrique de l’Ouest, …) et nationaux (Irak, Népal, Palestine, …) se recomposent.
Le premier objectif du FSM 2021 est de partir des réseaux internationaux de mouvements qui se recomposent pour réinventer une dimension internationale et mondiale, pour participer à la définition de la prochaine phase de l’altermondialisme par rapport à la crise de la mondialisation.
Comprendre les contradictions nouvelles de la situation
Il s’agit de prendre en compte le nouveau système de contradictions qui définit les solutions possibles, les dangers et les opportunités.
Les contradictions économiques et sociales, et notamment les contradictions au sein du capital entre les GAFAM et les extractivistes, le précariat et la peur du déclassement accentuée par la pandémie, l’explosion des inégalités et des discriminations, la prise de conscience des nouveaux droits, la légitimité de l’action publique et des services publics.
Les contradictions écologiques, et notamment le climat et la biodiversité, la prise de conscience de l’urgence climatique, la signification des délais et du temps fini, le sens de l’effondrement dans les crises de civilisation.
Les contradictions politiques et notamment la défiance par rapport au politique, le refus de la corruption et de la fusion entre classe politique et classe financière, la défiance par rapport à la délégation et la démocratie représentative dans les formes démocratiques, la place spécifique et stratégique du genre, le racisme et les discriminations, le refus de l’insécurité et des violences policières.
Les contradictions idéologiques et notamment la bataille contre l’hégémonie culturelle du néolibéralisme et du capitalisme, les libertés individuelles et collectives, les identités multiples, l’insécurité et l’instrumentalisation du terrorisme, les nationalismes, la redéfinition de l’universalisme.
Les contradictions géopolitiques et notamment la multipolarité, la montée de l’Asie, les institutions internationales, la deuxième phase de la décolonisation après l’indépendance des États, les guerres, le nucléaire.
La fin du néolibéralisme et notamment les possibles dépassements du capitalisme, les possibles modes de production inégalitaires, les nouvelles classes sociales, l’évolution des États, les transitions et les alternatives au capitalisme dans les transitions.
Partir des mouvements pour résister, définir les alternatives, construire un nouveau projet d’émancipation
La stratégie altermondialiste sera définie par les mouvements sociaux et citoyens à partir de la définition de leur stratégie. Une stratégie internationale commune se dégagera quand chacun des mouvements définira sa stratégie et la dimension internationale de cette stratégie.
Donnons un exemple de ce que signifie une stratégie pour un mouvement, prenons l’exemple du mouvement paysan. La Via Campesina, qui est le mouvement le plus nombreux aujourd’hui, s’est construit à partir de sa stratégie : l’agriculture paysanne contre l’agro-industrie, la sécurité alimentaire, l’agriculture biologique et le refus des OGM. Il a aussi défini ses alliances avec le mouvement syndical, avec les mouvements de femmes, avec les écologistes, avec les peuples autochtones.
Les principaux mouvements sociaux qui composent aujourd’hui le mouvement altermondialiste sont : le mouvement syndical des ouvriers et salariés ; le mouvement paysan ; le mouvement des femmes ; le mouvement écologiste et notamment le mouvement pour l’urgence climatique ; le mouvement des peuples autochtones ; le mouvement contre le racisme et les discriminations ; le mouvement des habitants.
Il faut y joindre les mouvements qui luttent pour les droits sur une base thématique : les mouvements pour la santé ; les mouvements pour l’éducation ; les mouvements pour l’économie sociale et solidaire ; les mouvements pour les communs ; le mouvement des médias libres ; les mouvements pour le municipalisme et le droit à la ville ; le mouvement science et démocratie ; le mouvement contre le nucléaire ; le mouvement contre les guerres.
Des Forums avaient aussi été organisés qui définissaient des alliances stratégiques : les forums des élus locaux, des parlementaires, des scientifiques, des magistrats, des avocats,
Signalons aussi les marches continentales et mondiales : la marche Jai Jagat qui était partie de New Delhi vers Genève et qui a été interrompue momentanément par la COVID en Arménie ; les marches des migrants ; les caravanes terre et eau en Afrique de l’Ouest, la marche des zapatistes vers les cinq continents.
[1][1] Introduction de la séance du 7 janvier 2021 organisée par le CRID et ATTAC pour la préparation du FSM de janvier 2021