Marche des femmes en Argentine. Crédits : Reuters.

Marche Mondiale des Femmes – Malgré les grands mouvements d’indépendance du XIXe siècle, la violence de l’impérialisme contre les peuples d’Amérique latine n’a jamais cessé, plus particulièrement contre les femmes.

L’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et la Marche mondiale des femmes ont publié un document en plusieurs langues pour rappeler cet état de faits.


Le document de la Marche Mondiale des Femmes et d’ALBA Mouvements traite de l’impérialisme et de son rôle dans les conflits armés de la région.

Le 24 avril dernier, dans le cadre de la Journée de solidarité féministe et d’action contre les entreprises transnationales, la Marche Mondiale des Femmes des Amériques et l’ALBA Mouvements ont publié un document sur les relations entre les grandes entreprises et les conflits armés sur le continent. Dans « Un regard féministe sur la guerre permanente contre les peuples : colonialisme, impérialisme et conflit des femmes au quotidien », MMM Amériques et ALBA reprennent les impacts historiques de la Doctrine Monroe, en tant que point de repère de la politique impérialiste états-unienne. Le texte propose « l’analyse de l’impact de cette doctrine sur la dépendance de l’Amérique latine et des Caraïbes à l’égard des États-Unis, et de la manière dont ses conséquences sont encore présentes aujourd’hui, avec un impact sur nos vies, sur la militarisation, l’exploitation des biens communs et l’expropriation que les entreprises transnationales apportent aux territoires d’Abya Yala, de Notre Amérique ».

200 ans après la mise en place de cette politique, le rôle destructeur des États-Unis dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, qui résistent à l’extractivisme, aux occupations militaires et aux blocus, à l’exploitation du travail et de la nature, est remarquable.

DESTAQUE: « Pour analyser les conjonctures géopolitiques, il n’est pas possible de partir de rien, en ne pensant qu’au présent. Notre continent fait l’objet d’un conflit impérialiste depuis que les hommes blancs européens ont mis les pieds sur notre pacha. Et la pression sur les territoires et les corps des Amériques n’a pas cessé même avec le triomphe des processus d’indépendance du XIXème siècle. »
Marcha Mundial das Mulheres – Américas

Nous partageons ci-dessous un extrait du texte, qui est disponible dans son intégralité en portugais, espagnol, anglais et français.

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(…) En période non guerrière, il n’est pas possible de dire que nous jouissons de la paix. En effet, la vision de la paix, construite par la société libérale comme l’absence de guerre, tente de dissimiler, sous des intérêts économiques, différents conflits, disputes et violences subis par les peuples sur leurs territoires. De plus, la simple existence et le maintien d’armées militaires en tant que défenseuses de la souveraineté et de l’ordre impliquent l’imminence de la guerre et du conflit dans la vie quotidienne des gens. C’est précisément cette conception de la « paix » qui est la cible des critiques des féministes. Une non-paix est imposée, c’est-à-dire des moments où il n’y a pas d’affrontements armés, mais où nous vivons sous la menace, dans des États qui ne garantissent pas les droits humains, qui hypothèquent notre avenir, qui vendent et exploitent nos biens communs à des entreprises transnationales soutenues par la puissance de guerre des États-Unis.

Notre analyse est que ce modèle s’organise en intensifiant le conflit capital-vie, dans lequel on continue d’utiliser les mêmes mécanismes d’accumulation depuis sa création : le contrôle du travail, des corps et des territoires en utilisant toujours beaucoup de violence. C’est pourquoi nous parlons d’une guerre permanente contre les peuples que ce soit à travers les conflits armés, la militarisation des territoires, le complexe policier, le contrôle des frontières, la criminalisation de la pauvreté, avec un fort caractère patriarcal, raciste et la persécution des corps dissidents.

Nous positionnons notre regard critique sur la construction du militarisme en tant que rouage de la structure sociale capitaliste, raciste et patriarcale. Les piliers du militarisme sont la discipline, la hiérarchie et l’établissement d’une supériorité masculine basée sur la force pour le maintien de la propriété, les intérêts des élites et une prétendue « sécurité ». Pour le militarisme, les conflits sociaux sont résolus par la confrontation, où le différent est considéré comme un ennemi à combattre et à éliminer, une menace pour la sécurité, le développement et la cohésion sociale. Dans ce modèle, ce sont les hommes des forces armées qui assureraient la sécurité en cas de menaces contre l’État capitaliste ou la propriété privée, qu’elles soient internes ou externes. Avec la domination des entreprises transnationales sur la militarisation, la politique de sécurité devient de plus en plus privée, contrôlant les territoires par le biais d’armées, de police et de milices, qui n’évoluent pas dans des directions opposées, mais sont les deux faces d’une même pièce.

La lutte pour le pouvoir et la situation de guerre permanente sont ancrées dans le corps des femmes, des enfants et des identités dissidentes, qui ont vu à quel point le viol et le féminicide sont des pratiques fréquentes qui servent non seulement à discipliner les femmes et les identités dissidentes, mais aussi comme des messages inquiétants au reste de la population.

(…) Les guerres sont organisées en fonction du profit des entreprises et en utilisant des ressources publiques pour les financer. Les États-Unis en sont un portrait exemplaire : le pays qui cherche à maintenir la domination impériale sur le monde est celui qui dépense le plus pour son budget militaire, dans des proportions croissantes ces dernières années. Pendant ce temps, sa population n’a pas accès aux droits fondamentaux, tels que la santé.

Comprendre ce lien entre le pouvoir accru des sociétés transnationales et l’expansion des guerres contre les peuples est essentiel pour organiser notre position. La guerre contre les peuples ne s’exprime pas seulement dans les conflits et les occupations. Mais dans la vie quotidienne d’un modèle marqué par le conflit capital-vie. Ce sont les entreprises transnationales qui accumulent le plus de pouvoir et de richesse en opposant le capital à la vie. L’offensive du pouvoir des entreprises avance sur le travail, les territoires et les corps des femmes en utilisant la militarisation comme instrument. En ce sens, il est essentiel de concentrer notre action contre le pouvoir des entreprises transnationales sur l’agenda anti-guerre. (…)

La doctrine Monroe, l’origine de l’impérialisme américain

Dans un contexte de réarrangement de l’hydre capitaliste né des processus d’indépendance dans les Amériques, la Doctrine Monroe voit le jour en 1823. Dans un premier temps, elle a mis sur papier la nécessité pour les États-Unis naissants d’éloigner du continent les puissances colonialistes susceptibles de mettre en péril leur propre souveraineté et leur droit à l’autodétermination. Mais elle est rapidement devenue la base sur laquelle les gouvernements américains ont construit leur volonté de domination et d’exploitation sur le reste du continent.

Résumée dans la phrase « L’Amérique aux Américains », la doctrine établit comme un danger pour l’intégrité même des États-Unis d’Amérique du Nord toute intention d’un pays européen d’étendre ses intérêts sur le continent, ainsi qu’un prétendu engagement à intervenir pour protéger les Amériques du colonialisme. Bientôt, les « Américains » dont il est question dans la doctrine Monroe seront définis comme tels. Pour cela, les pères de la nation nord-américaine ont eu recours à un vieux slogan qui encourageait les colons calvinistes anglais et écossais à traverser l’océan et à s’installer en Amérique du Nord : la destinée manifeste.

La « destinée manifeste » est l’idée qui exprime que, par un dessein de la Providence, il y a des peuples choisis qui ont le droit de s’approprier des territoires. Cette idéologie établit le droit et pratiquement l’obligation des hommes blancs hétérosexuels, qui prétendent être choisis par la grâce divine pour posséder des territoires et des corps et les exploiter à leur profit. Par la grâce divine, ils sont dotés de biens pour se reproduire, peupler et dominer les territoires que la providence a désignés à leur profit. Le renforcement de l’image de l’homme, blanc, hétérosexuel, pourvoyeur des élites en formation en tant que sujet universel devient le paradigme qui guide la construction de la société américaine.

(…) Les processus de colonisation vécus sur le continent étaient, en général, basés sur la mise en place de structures militaires et de production capitaliste comme moyen de domination du territoire et des populations originaires. C’est avec la guerre et la résistance autochtone que l’Amérique latine s’inscrit sur la carte du monde. Et c’est aussi à partir de ces conflits et de cette structure militaire coloniale que se sont organisées les différentes formes de résistance à l’émancipation, comme les mouvements des élites indépendantistes. (…) Diverses politiques ont été mises en place, qui associaient le racisme et le patriarcat, comme mécanisme de soumission des peuples autochtones et de contrôle de leur corps, en particulier de celui des femmes, par le biais de la stérilisation forcée, du blanchiment de la population, de la criminalisation de la pauvreté et de l’organisation sociale stimulés par les États et garantis par l’appareil policier et militaire.

Au cours du XIXème siècle, la doctrine Monroe a servi de justification à plus de 28 interventions armées, ainsi qu’à de nombreuses autres interventions économiques inégales. Cela a donné lieu à des processus tels que la néocolonisation de Porto Rico, l’annexion de la moitié du territoire mexicain aux États-Unis, l’intervention en Nouvelle-Grenade et l’usurpation du canal interocéanique, et les 36 années de guerre de la banane qui ont établi des dictatures dans toute l’Amérique centrale et les Caraïbes et consolidé la production et l’exportation transnationales de fruits tropicaux.

(…) Cette histoire de destruction, de guerre permanente, s’impose avec la même force à la diversité des peuples non blancs qui vivent à l’intérieur des frontières des États-Unis. À titre d’exemple, nous évoquons le douloureux souvenir de la Piste des larmes (1830), processus violent d’expulsion forcée d’environ 60 000 Amérindiens natifs, un processus de nettoyage ethnique que les westerns ne cessent de glorifier comme la conquête et la civilisation de l’Ouest. (…) Le racisme est ancré dans des mécanismes coloniaux propres à la formation de la société capitaliste latino-américaine, qui a toujours utilisé les forces policières et militaires pour assurer sa domination politique et économique et l’idéologie militariste pour produire une société contrôlée et disciplinée.

(…) La « paix », la « sécurité » et la « cohésion sociale » imposées par le militarisme ne reconnaissent pas les possibilités de relation et de coexistence entre la diversité que nous pouvons avoir en tant qu’humains, sans parler du respect des vies non humaines.

(…) Les femmes n’ont pas été des sujets passifs dans cette guerre permanente contre la vie. Nous, femmes, nous agissons en résistance, nous soutenons la vie quotidienne avec des réseaux de solidarité qui garantissent la vie, ainsi que notre diversité culturelle. Nous mettons nos corps au service de la protection des territoires et des biens communs, nous dénonçons les conséquences de cette guerre sur nos peuples et nous proposons également des moyens de nous organiser pour la production et la reproduction de la vie dans nos communautés. Construire collectivement des propositions pour une paix véritable, guidée par la justice et l’égalité. (…)