Pierre Dubuc, extraits d’un texte publié dans L’Aut’Journal, 19 mai 2020
Un État a la politique de sa géographie, aurait déclaré Napoléon. Les tensions internationales, sur fond de crise du coronavirus, confirment cette maxime pour le Canada. Deux nouveaux événements témoignent de la position difficile du Canada, coincé entre les États-Unis et la Chine.
D’abord, la décision du gouvernement Trudeau de se joindre à l’Australie, la France, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et les États-Unis pour demander l’admission de Taïwan à l’Organisation mondiale de la Santé avec un statut d’observateur. Le Canada a beau préciser dans son communiqué que Taïwan est invité à titre d’« observateur non étatique », cette déclaration a suscité l’ire de la Chine, qui considère Taïwan comme partie intégrante de son territoire.
Puis, selon le Globe and Mail du 18 mai, de fortes pressions sont exercées sur Ottawa pour qu’il bloque la prise de contrôle par une multinationale chinoise d’une minière aurifère canadienne au Nunavut. Dans les deux cas, il faut s’attendre à des représailles chinoises.
La filière chinoise au cœur du repositionnement géopolitique
En 2010, le Conseil international du Canada (CIC), un think tank parrainé par l’élite économique du Canada, recommandait au gouvernement canadien une stratégie politique de repositionnement géopolitique. Le CIC remettait en question le libre-échange avec les États-Unis comme fondement de la politique économique du Canada et prônait une plus grande ouverture vers les marchés asiatiques.
Après avoir souligné que le Canada n’avait conclu aucun accord de libre-échange avec un pays d’Asie, le CIC recommandait que le Canada s’intéresse plus particulièrement au développement de ses relations avec la Chine et l’Inde.
La filière chinoise, bien présente au sein du Parti Libéral du Canada, s’est alors activée. L’intérêt pour la Chine n’était pas nouveau. Depuis les années 1939, les « Mish Kids » – comme on surnommait les missionnaires méthodistes et presbytériens dont les congrégations étaient présentes en Chine – jouaient un rôle de premier plan au sein du ministère des Affaires étrangères à Ottawa. Ils comprenaient des personnalités comme le futur premier ministre libéral Lester B. Pearson, fils d’un pasteur méthodiste, et le futur gouverneur général, l’ardent méthodiste Vincent Massey.
Mais le commerce avec l’Empire du Milieu s’est véritablement développé à partir de la création du Canada-China Trade Council en 1978, à l’initiative de l’homme d’affaires Paul Desmarais de Power Corporation.
Entre 2003 et 2016, la Chine a investi 60 milliards de dollars dans le secteur énergétique au Canada et 9 milliards dans les mines et l’industrie chimique. Mais, plus récemment, certains de ces investissements ont posé problème.
En juillet 2015, le gouvernement Harper s’est opposé à l’acquisition de ITF Technologies par O-Net Communications, une entreprise de Hong Kong. Mais, en 2017, le gouvernement Trudeau l’a autorisée, y voyant une monnaie d’échange dans l’espoir de conclure un traité de libre-échange avec la Chine.
Mais le projet a avorté. De plus, pour mettre un terme à tout espoir qu’un traité de libre-échange entre le Canada et la Chine voit le jour, Washington a introduit dans le nouveau traité de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (AEUMC), une clause obligeant un des pays signataires qui passerait un accord de libre-échange avec « un pays n’ayant pas une économie de marché » – des termes considérés comme une référence à la Chine – à soumettre le traité à ses partenaires de l’AEUMC, tout en les autorisant à se retirer de l’accord avec un préavis de six mois. En pratique, la clause accorde un droit de veto à Washington.
Déjà, en mai 2018, le gouvernement fédéral avait bloqué la prise de contrôle d’Aecon Group par l’entreprise chinoise CCCC International Holding, une transaction évaluée à 1,5 milliard de dollars, pour des raisons liées à la sécurité nationale. Depuis 2012, 14 projets d’investissements chinois ont été soumis à une procédure d’acceptation. La majorité de ces projets ont été bloqués par le gouvernement canadien, réduits quant à la taille de l’investissement ou retirés par l’investisseur chinois.
En décembre 2018 est survenue l’affaire Huawei, qui a pris une tournure dramatique avec l’arrestation de Mme Meng Wanzhoo, la fille de son fondateur, à la demande des États-Unis qui réclament son extradition. Washington mène une campagne tous azimuts pour obliger ses partenaires commerciaux et politiques, et en particulier les membres du groupe de pays anglo-saxons du « Five Eyes » d’échange de renseignements secrets, à mettre fin à leurs liens avec la multinationale chinoise Huawei, qui est le deuxième équipementier mondial.
Le Passage du Nord-Ouest change la donne
Aujourd’hui, nous apprend le Globe and Mail du 18 mai, des pressions s’exercent sur Ottawa pour qu’il reconnaisse que la vente de la minière TMAC Resources Inc. à la chinoise Shandong Gold Mining Co. Ltd – un des plus grands producteurs d’or au monde – pose problème.
La transaction est une des premières à être examinée par le gouvernement Trudeau dans le cadre de sa nouvelle politique d’« examen approfondi », mise en place pour les transactions impliquant des investisseurs étrangers détenus par des États, un euphémisme pour ne pas nommer directement la Chine. La nouvelle politique a pour but que les investisseurs étrangers ne profitent pas de la chute de la valeur des actifs d’entreprises à cause de la COVID-19.
De plus, selon le Globe, des spécialistes des questions de sécurité nationale proposent que l’or soit considéré comme un matériau stratégique au même titre que les terres rares qui viennent de faire l’objet d’une entente Canada-États-Unis. Cette entente a pour but de redessiner l’approvisionnement global de ces matériaux en vue de réduire la dépendance des deux pays à l’égard de la Chine, qui est devenue plus agressive dans le contrôle de ces matériaux essentiels pour les produits militaires et de haute technologie.
La mine TMAC se situe à Hope Bay au Nunavut à 160 kilomètres du cercle arctique en territoire inuit. Une autre entreprise chinoise, MMG Ltd, possède des mines de zinc et de cuivre au Nunavut. Ces sites miniers pourraient valoir des milliards de dollars si le gouvernement va de l’avant avec le projet de construction d’une route et d’un port en eaux profondes pour exporter le zinc et le cuivre par le Passage du Nord-Ouest, rendu aujourd’hui navigable avec le réchauffement de la planète. Selon le Globe and Mail, le port en eaux profondes en Arctique en mesure de recevoir les minerais d’or, de zinc et de cuivre des mines détenues par les entreprises chinoises s’inscrit parfaitement dans la Route de la Soie, le projet pharaonique de Beijing. Ce projet titanesque de voies de communication terrestres, ferroviaires et maritimes à travers le monde a pour objectif une redistribution des zones d’influence en faveur de la Chine.