par la Commission politique de Québec solidaire
Québec solidaire a tenu un conseil national virtuel les 21 et 22 novembre dernier. À l’ordre du jour, on retrouvait deux résolutions sur une démarche de consultation en vue de définir la plateforme électorale pour les prochaines élections. Le conseil national a invité largement les membres et les sympathisants.es à débattre de la situation politique pour identifier les priorités que la plateforme devrait reprendre. Pour l’occasion, la commission politique a produit une analyse de la conjoncture en vue de nourrir la réflexion au cours de la consultation.
Quelles priorités pour la prochaine plateforme électorale des solidaires ?
« La dynamique politique a complètement changé »1 (Cahier de résolutions, septembre 2020). La crise sanitaire, qui a forcé des milliards d’individus sur la planète à se confiner, a frappé durement le Québec, et ce, non seulement sur le plan de la santé publique, mais aussi au niveau économique. La triple crise sanitaire, économique et environnementale mondiale a mis au jour les failles des systèmes de santé, mais aussi les profondes inégalités qui existent et ont fait que les plus précaires de nos concitoyens et concitoyennes sont plus durement touchés.es: les jeunes, les personnes âgées, les femmes, les personnes en situation de handicap, les personnes qui gagnent moins de 15$ de l’heure, les personnes noires et racisées, et les peuples autochtones.
Si le taux de satisfaction à l’endroit du gouvernement Legault connaît des sommets peu atteints par un gouvernement en cours de mandat, il peine à cacher l’incertitude quant à l’évolution de la pandémie elle-même et la capacité du gouvernement à réagir en temps opportun. La question la plus pressante concerne la capacité de nos réseaux de soins de santé, de services sociaux, incluant les organismes communautaires, mis à mal par des décennies d’austérité néolibérale, à faire face aux prochaines vagues, sans mentionner notre système d’éducation qui est aussi profondément secoué. De plus, il faut mentionner les tensions de plus en plus polarisantes quant aux origines de la pandémie et quant à la réponse à y donner qui, par définition, crée un sentiment d’insécurité.
Pour concrétiser notre projet de société solidaire, le Québec a besoin d’un changement de cap pour ne pas subir une sortie de crise qui nous ramènera à « l’anormal ». C’est le sens à donner, croyons-nous, à la plateforme électorale pour 2022. Comment traduire, dans une plateforme électorale, l’objectif d’engager la marche vers le Québec que nous voulons ? Quelles sont les priorités essentielles ? C’est un important exercice de priorisation que nous devons réaliser ensemble cet hiver et au printemps 2021. En continuité avec les échanges sur l’Après, nous vous invitons à débattre de la conjoncture politique dans les instances du parti et plus largement, dans vos milieux de travail, d’études et de vie.
Concilier notre projet de société avec les exigences de la conjoncture
Malgré la tentation de réduire la crise à un phénomène qui nous échappe, il faut se rappeler que la pauvreté est produite par une économie centrée sur l’accumulation de richesses au bénéfice du capital et des grandes fortunes, tout comme le réchauffement de la planète est le résultat de l’action industrielle de notre civilisation productiviste. C’est ce contexte global qui explique et conditionne l’impact social de la pandémie. Nous devons donc opérer une transformation en profondeur de notre société afin de faire face aux multiples défis de notre siècle.
Les assises du programme général de Québec solidaire sont sans équivoque sur la vision de la société que nous voulons : un projet écologiste, démocratique, féministe, altermondialiste, inclusif, et pluriel, basé sur une économie solidaire, sur des services publics renforcés, sur une meilleure répartition de la richesse et sur la lutte à la pauvreté. Tout cela dans une perspective souverainiste et en marche vers une société post-capitaliste et post-coloniale. Dans cette foulée, des nouvelles relations avec les peuples autochtones seront établies afin de reconnaître leurs droits et leur souveraineté.
« Tout cela exige une transformation profonde du Québec. Pour notre parti, cela signifie de s’opposer au néolibéralisme, cette version moderne du capitalisme, qui domine nos sociétés et hypothèque leur avenir comme celui de la planète » (Déclaration de principes du programme de Québec solidaire).
En prenant acte de la conjoncture et de notre programme, la présente contribution a pour but d’identifier quelques enjeux qui pourront servir de repères pour l’élaboration de notre plateforme électorale.
Les CHSLD : le talon d’Achille d’un système de santé affaibli
Au Québec, les dégâts de la pandémie découlent surtout de la faillite de notre système de santé et services sociaux à limiter la contagion et à offrir des outils pour protéger notre population ; des conséquences de décennies de politiques néolibérales qui avaient pour objet d’affaiblir notre système public au bénéfice de la privatisation. Le résultat : nous avions, après le pic national de la première vague, l’un des pires bilans par habitant au monde.
Cette contre-performance s’explique par les dégâts du virus chez les aînés.es, surtout dans les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). Les conséquences sont dramatiques considérant les nombres de morts et les conditions de vie: déshydratation, conditions insalubres, isolement dû au confinement. La cause de ces dégâts ne peut se résumer à la santé précaire des personnes âgées. Elle s’explique par la succession de coupures drastiques qui a affaibli les réseaux de santé et alourdi l’isolement et le délaissement des aîné.e.s.
Il a fallu au gouvernement cette crise pour constater le manque de préposés aux bénéficiaires (PAB) et la précarité des conditions salariales et d’emploi des travailleuses et travailleurs essentiel.le.s. La charge de travail qu’on observe parmi les personnes salariées notamment chez les « anges gardien.nes » en témoigne tout autant. On ne peut arrêter les améliorations aux seuls PAB. Les problèmes dans les réseaux de la santé exigent un coup de barre.
L’enseignement virtuel ne doit pas être l’avenir de notre système d’éducation
La pandémie et l’interruption complète des activités éducatives de la petite enfance à l’université ont précipité la généralisation d’activités virtuelles. Si ces méthodes ont peuvent être bénéfiques le temps de la crise, elles freinent toutefois le développement d’une culture de la solidarité et de la socialisation et augmentent la charge de préparation des activités. Elles renforcent le décrochage, accentuent les inégalités des chances entre les élèves et offrent des avantages énormes aux écoles privées et aux entreprises de formation continue. Le Québec ne peut pas laisser son système scolaire public être affaibli par le numérique, aussi important qu’il puisse être dans les méthodes pédagogiques. Voilà un autre secteur qui nécessite un coup de barre, pour les élèves, étudiantes et étudiants, mais aussi pour le personnel enseignant, qui vit déjà des conditions de travail difficiles.
L’accentuation des inégalités et les dégâts sur les revenus et l’emploi
La fermeture des frontières puis le confinement ont enclenché une crise économique sans précédent. Les inégalités sont criantes : l’économie réelle, les activités de production surtout, mais aussi celles de consommation de produits et services, se sont réduites drastiquement, précipitant des centaines de milliers de personnes au chômage et contraignant des centaines de milliers d’autres à l’aide publique pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Parallèlement, après la chute du cours des actions, les bourses ont connu durant l’été une croissance exceptionnelle offrant des centaines de millions de dollars en valorisation de la fortune des plus riches, surtout les géants du web qui ont vu leurs profits gonfler pendant la crise. L’injection massive de fonds publics pour soutenir les ménages et les entreprises vise aussi à permettre aux investisseurs d’engranger des bénéfices avec la reprise de la consommation.
Nombreux sont celles et ceux qui connaissent maintenant un appauvrissement majeur, sans perspective d’emploi, alors que d’autres sont intégrés dans un système d’assurance-emploi qui fut affaibli et mis à mal depuis trente ans. La CAQ et ses alliés conservateurs n’ont pas hésité à pointer du doigt les travailleur.se.s précaires, et les qualifier de “profiteurs”, de “paresseux”, de “fraudeurs”. Ainsi, avec la pandémie qui se poursuit, les soutiens migrent de plus en plus vers les entreprises.
Les activités qui se poursuivent le font au ralenti et à effectifs réduits. Les différents classements des régions du Québec selon des stades de transmission du virus ont ramené en partie le contexte du printemps 2020. Déjà, la crise du logement avait fait les manchettes, aujourd’hui, avec la fin des soutiens financiers et les pressions des loyers et des hypothèques, la pression financière liée à l’habitation est un facteur qui s’accentue de mois en mois. Devant le double défi de création d’emplois et de protection du revenu, il faut actualiser adéquatement nos propositions historiques.
L’accroissement des déficits et la menace de nouvelles politiques d’austérité
Les déficits continuent de s’accumuler, au Nord comme au Sud, et la pression des institutions financières sur les États ne manquera pas de revenir très bientôt à l’ordre du jour. On doit craindre maintenant le retour des propositions d’austérité par les chantres des politiques néolibérales avec l’appel à l’équilibre budgétaire, ce qui aura un effet encore plus dévastateur sur la population.
Dans les années 1930, la formation d’un État-providence a soutenu la relance de la consommation, mais, aujourd’hui, avec les politiques néolibérales de désengagement de l’État, de déréglementation, de libre-échange et de réductions d’impôt accordées aux mieux nantis, les moyens des gouvernements sont considérablement réduits. C’est d’autant plus vrai au Québec, où notre gouvernement ne dispose pas encore de tous les pouvoirs sur les revenus fiscaux. De plus, aucun des autres partis à l’Assemblée nationale n’a la volonté ni le courage politique d’opérer un changement de cap pour redresser la fiscalité. La bataille pour la redistribution des richesses reste au cœur de la résistance aux politiques d’austérité et dans le financement d’une sortie de crise solidaire.
Pluralisme et inclusion dans notre système de démocratie
La conjoncture politique et sociale de notre voisin américain traduit sans aucun doute une accentuation de la polarisation d’une société poussée par les manifestations d’un racisme systémique qui doit être éradiqué. L’organisation et la montée en puissance d’un mouvement antiraciste en réaction aux agressions en chaîne de personnes des communautés noires et autochtones par des policiers sont saluées par les forces progressistes de la planète, tout comme le mouvement MoiAussi à l’endroit des agressions sexuelles faites aux femmes.
Toutes ces résistances se produisent alors même que le contexte de pandémie aurait pu museler et contraindre ces mouvements. Ces mobilisations populaires, présentes également au Québec, et les résultats des élections américaines marqueront certainement la conjoncture politique, alors que nous discuterons de nos axes prioritaires.
Ces préoccupations recoupent aussi des dimensions internes de prise en compte des différentes origines et expériences sociales et politiques des membres du parti. Nous sommes une coalition qui regroupe différentes sensibilités que nous réunissons dans un projet de transformation sociale pour le Québec. Ce souci de nous adresser à tous les Québécois et Québécoises et de répondre à leurs préoccupations réelles doit guider ce que nous désirons projeter sur la scène publique. Nous devons mettre de l’avant des propositions pour élargir la démocratie, notamment le mode de scrutin, pour reconnaître les droits souverains des peuples autochtones, pour l’ouverture aux populations immigrantes et l’accueil qui leur est réservé, pour une éducation à la citoyenneté, pour des politiques publiques d’inclusion, d’orientation et pour des moyens financiers de l’État vers des mécanismes d’inclusion des populations trop souvent ostracisées. Le refus du nationalisme conservateur identitaire doit aussi être au cœur de notre démarche pour définir la direction de nos propositions électorales.
Le défi du siècle : la bataille climatique
Dans la présente conjoncture, on doit saluer les réseaux étudiants d’avoir maintenu une volonté de pousser sur ces enjeux dans l’actualité pendant la période de pandémie. On le sait, les décisions des gouvernements d’aujourd’hui sur le climat vont façonner les conditions de vie et de travail de demain. Du côté du gouvernement fédéral, l’idée de concilier l’économie à la lutte aux changements climatiques est d’abord celle de reconnaitre que l’économie canadienne est fondée sur l’énergie fossile et les intérêts extractivistes de Bay Street et de Calgary.
Au Québec, François Legault reprend sensiblement la même approche, puisque son « Plan de mise en œuvre 2021-2026 » sur l’environnement ne permettra même pas l’atteinte des cibles fixées par son propre gouvernement dans son « Plan pour une économie verte 2030 ». Il a même annoncé son ouverture à soutenir financièrement le projet d’exploitation du gaz de GNL Québec au Saguenay. Le projet de loi 66 ne ment pas, l’essentiel de l’avenir du Québec pour la CAQ n’est pas dans la transformation énergétique et écologique de notre économie.
Pour Québec solidaire, le défi est de ramener les questions climatiques et le respect de l’environnement comme parties intégrantes de la sortie de crise vers un véritable projet de transformation sociale. Il s’agit non seulement d’une question prioritaire de la dernière campagne électorale et de l’action du parti avant la pandémie, mais c’est aussi un élément majeur d’orientation de notre posture sur l’échiquier politique québécois dès maintenant.
Reconquérir nos souverainetés
La pandémie, tout comme la crise économique, conforte le rôle accru des États nationaux dans le déploiement des mesures d’urgence. Une telle crise assujettie au pouvoir en place en lui offrant une tribune exclusive, renforce au passage les réflexes conservateurs et la crainte de la différence. Au bout du compte, on ne doit pas se surprendre de la montée, au sein de la population, de visions autoritaires et intolérantes se nourrissant d’idées revanchardes et réactionnaires.
Notre campagne électorale pourrait être un exercice d’affirmation d’une autre vision de la souveraineté. Être “Maîtres chez nous” ne doit pas signifier l’utilisation d’un État provincial pour soutenir la création d’un capitalisme québécois. Il faut aller plus loin. Notre destin comme peuple ne peut se résumer à la seule notion de pays, même si cette notion va toujours demeurer au cœur de notre définition de la Souveraineté.
La Souveraineté représente aussi le pouvoir qu’on exerce collectivement sur tous les aspects de notre vie en société: souveraineté alimentaire, souveraineté culturelle, souveraineté sur notre santé et notre éducation, souveraineté énergétique, souveraineté économique et environnementale, souveraineté démocratique dans une société inclusive, décoloniale et solidaire ! La souveraineté des Solidaires est fondée sur le principe qu’un peuple qui en opprime un autre ne peut pas se libérer ! Elle est à l’enseigne de la solidarité internationale et du 21e siècle!