Si la population israélienne est massivement vaccinée, ce n’est pas le cas des Palestiniens des territoires occupés. Le gouvernement Nétanyahou se refuse à leur fournir des doses, créant un cas d’école pour ceux qui dénoncent un
La campagne de vaccination contre le coronavirus a commencé lundi 8 mars 2021 pour 120 000 Palestiniens des territoires occupés travaillant en Israël. Organisée par la Coordination of Government Activities in the Territories (COGAT), l’organisme de l’armée qui gère l’occupation, elle a pour cadre les checkpoints qu’ils doivent passer quotidiennement. Pour être vaccinés, ils doivent présenter leur carte d’identité et leur permis de travail. Mais cette campagne ne concerne qu’une petite minorité de Palestiniens qui contribuent directement à faire tourner la machine économique israélienne, comme s’il y avait les bons esclaves et les autres.
Outre une incroyable mesquinerie, ce choix indique que la mise à l’écart des Palestiniens est désormais systématique pour Israël, quel que soit le sujet. Vous avez dit apartheid ? Au 7 mars toujours, 4,9 millions d’Israéliens avaient reçu une dose de vaccin Pzifer et 3,7 leurs deux doses, et des dizaines de milliers d’autres sont vaccinés tous les jours. Rappelons qu’un peu moins de 9 millions d’habitants vivent en Israël, dont 650 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et environ 2 millions de Palestiniens de l’intérieur, tous ciblés par la vaccination. Jérusalem-Est, les territoires occupés et Gaza comptent environ 5 millions de personnes, pour qui il n’y a aucune perspective significative de recevoir un vaccin, à l’exception donc de ceux qui travaillent en Israël et des résidents de Jérusalem-Est.
NÉTANYAHOU N’A PAS LE TRIOMPHE MODESTE
« Israël est le premier pays au monde à sortir du coronavirus », a triomphé le premier ministre Benyamin Nétanyahou dans une interview à Fox News le 6 mars. Rien n’est moins sûr pour l’instant, car les chiffres de contamination restent toujours élevés, compte tenu de la virulence du variant anglais dominant en Israël. Dans la perspective des élections législatives du 23 mars prochain, les quatrièmes en deux ans et dont l’issue est incertaine selon les sondages, le premier ministre se donne le beau rôle. La presse mondiale salue sans nuances le succès de sa campagne de vaccination (« Israël pays modèle », titre par exemple Paris-Match), oubliant, notamment en France, que les Palestiniens en ont été exclus.
Plus important encore que les élections pour une partie de l’opinion israélienne, Nétanyahou se fait fort de tenir sa promesse d’il y a un an : permettre que le seder 2021, le grand repas de Pessah, la Pâque juive, puisse se tenir sans restriction le 27 mars, quatre jours après le scrutin. Le sujet est hautement sensible, d’autant que le Pr Nachman Ash, « tsar » de la lutte contre la Covid-19 en Israël, a mis en garde contre les regroupements familiaux ce soir-là, laissant craindre la perspective d’un lock out qui serait fort impopulaire. En attendant, le pays poursuit son déconfinement avec la réouverture dimanche 7 mars des bars, restaurants, hôtels ainsi que de l’aéroport Ben Gourion, avec une jauge limitée à 3 000 passagers par jour.
Si la partie n’est donc pas tout à fait gagnée pour Nétanyahou, il fait tout comme. Il va même jusqu’à se payer la tête de sa vieille ennemie l’Union européenne, en organisant un sommet à Jérusalem consacré à la gestion de la crise sanitaire avec le chancelier autrichien Sébastien Kurz et la première ministre du Danemark Mette Frederiksen. Le premier ministre va également recevoir dans quelques semaines le patron du laboratoire Pzifer, qui compte ouvrir une usine de fabrication de vaccins en Israël, donnant ainsi un coup de pouce à sa diplomatie vaccinale. Quelques milliers de doses ont été d’ailleurs été offertes par Israël au Honduras, au Guatemala, à la Hongrie et à la République tchèque, des alliés sûrs de Benyamin Nétanyahou.
VIOLATION DU DROIT INTERNATIONAL
Les Palestiniens, eux, n’ont obtenu que 7 000 doses, dont 5 000 réservées aux soignants. Selon certaines sources, 200 doses auraient également été fournis au début de l’année par Israël au président Mahmoud Abbas et à ses collaborateurs… Si Israël « sort » de la Covid-19, cela n’est pas le cas de la Palestine occupée.
Outre les interrogations sanitaires qui préoccupent de nombreux médecins, c’est une nouvelle fois le comportement du gouvernement totalement contraire au droit international qui est en cause. La quatrième Convention de Genève qui sert de cadre depuis 1949 au droit humanitaire stipule clairement que « la puissance occupante » doit prendre « les mesures prophylactiques et préventives nécessaires pour combattre la propagation des maladies contagieuses et des épidémies ». Et selon les accords d’Oslo signés en 1990, si l’Autorité palestinienne (AP) est responsable de la santé dans les territoires occupés, les deux parties « doivent travailler ensemble pour lutter contre les épidémies ». Mais le gouvernement israélien prétend pour sa part que la vaccination est de la responsabilité de l’AP, et fait la sourde oreille.
« L’apartheid vaccinal en Israël » : Amira Hass, la correspondante de Haaretz à Ramallah, le raconte très précisément dans un reportage publié par le quotidien libéral israélien le 1er mars 2021. Elle décrit une Cisjordanie où ses amis et voisins palestiniens se réjouissent qu’elle soit vaccinée alors qu’eux-mêmes ne le sont pas. « Le gouvernement continue de prétendre qu’il n’est pas responsable de leur santé, écrit-elle. Et pourtant, Israël décide de nombreuses choses pour les Palestiniens : la quantité d’eau qu’ils consomment, les limites à leur liberté de déplacement, le rythme de leur développement économique, les universités où ils sont autorisés à étudier, la superficie des terres qu’ils peuvent cultiver ». La journaliste évoque avec une ironie amère « des soldats qui pénètrent chaque nuit dans des maisons palestiniennes, arrêtent des gens, les battent et les neutralisent, s’approchent de leurs visages et leur crient dessus ; des enquêteurs du Shin Beth qui respirent le même air vicié que les personnes qu’ils torturent puis rentrent tranquillement chez eux pour jouer avec leurs enfants dans le parc de leur quartier ». Elle dénonce des « mensonges d’Israël », car « il n’y a pas de séparation hermétique entre les deux populations ». Jusqu’à présent, 2 127 personnes sont mortes de la Covid-19 en Cisjordanie et à Gaza et 5 834 en Israël1.
LA RUSSIE DONNE DES VACCINS VIA LES ÉMIRATS
Pour tenter de contenir l’épidémie, alors qu’entre 80 et 100 % des lits de réanimation sont occupés en Cisjordanie et à Gaza, l’AP essaye de récupérer des vaccins via l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui s’inquiète de la non-vaccination des Palestiniens. Un accord avec le laboratoire AstraZeneca devrait également permettre la livraison de 400 000 doses entre mars et juillet, de quoi vacciner 200 000 personnes. En attendant, la situation épidémiologique devenant « très inquiétante », selon la ministre de la santé Mai Al-Kaila, le premier ministre palestinien Mohamed Shtayyeh a annoncé fin février un durcissement des mesures de confinement en Cisjordanie, avec notamment la fermeture des crèches et des écoles et un couvre-feu avancé à 19 h, contre 21 h auparavant. Alors qu’en Israël, samedi 6 mars, la foule profitait d’un temps printanier pour se ruer sur les plages et les sentiers des parcs nationaux…
Sur le plan international, seule la Russie a fait livrer le 17 février, via les Émirats arabes unis et le poste-frontière de Rafah avec l’Égypte, 20 000 doses de vaccins Spoutnik V destinés aux soignants de Gaza. Le Palestinien Mohamed Dahlan, conseiller spécial du prince héritier d’Abou Dhabi Mohamed Ben Zayed Al-Nahyane (MBZ), s’est personnellement occupé de jouer les intermédiaires pour cette livraison. Dans un contexte politique trouble en Palestine, avec des élections législatives et une présidentielle prévues fin mai et en juillet, le geste revendiqué de l’homme de MBZ, nouvel allié d’Israël, n’est évidemment pas passé inaperçu, éclipsant le don humanitaire de Vladimir Poutine.
L’INDIGNATION DE DÉMOCRATES AMÉRICAINS
Et pour une petite partie de l’opinion publique américaine, ébranlée depuis la publication début 2021 d’un rapport de l’ONG B’tselem décrivant un régime « d’apartheid », la non-vaccination des Palestiniens illustre une fois de plus la nature politique de l’État d’Israël. « En tant que puissance occupante, Israël est responsable de la santé de toutes les personnes sous son contrôle », a twitté le sénateur démocrate Bernie Sanders. Jamaal Bowman, représentant démocrate de New York, a pour sa part écrit au consul général d’Israël pour s’indigner que les colons en Cisjordanie soient vaccinés alors que les Palestiniens ne l’étaient pas. Il a demandé qu’Israël « s’appuie sur le succès de son expertise dans la distribution du vaccin en élargissant son accès à toutes les personnes vivant dans les frontières israéliennes et dans les territoires occupés ».
Mais le gouvernement de Nétanyahou persiste dans son refus, d’autant que sa logique d’exclusion ne provoque guère de remous dans la société israélienne, en dehors de quelques ONG des droits humains et des colonnes de Haaretz. Elle est pourtant également à l’œuvre d’une autre manière, avec l’exclusion de la vie sociale des personnes qui n’ont pas encore été vaccinées ou qui refusent de l’être, et ne disposent donc pas du passeport vaccinal. Certes, le gouvernement vient de procéder à un rétropédalage symbolique, en permettant l’accès aux lieux culturels avec un simple test négatif et non le passeport sanitaire. De même, dans la mesure où les salles des restaurants et des bars seront réservées aux personnes vaccinées, les terrasses seront ouvertes sans restriction. Mais des entreprises sont en train de mettre la pression sur certains de leurs salariés : le vaccin ou la porte. L’apartheid, ce n’est pas seulement un régime, c’est un ensemble de détails. Si indifférents au sort des Palestiniens, les Israéliens devraient pourtant s’inquiéter de l’effet boomerang…