Sénégal :  non à l’impunité de Macky Sall

Divers citoyens sénégalais lance un appel pour que cessent la répression que mène actuellement le régime du président Macky Sall, et l’impunité internationale dont il bénéficie. Face à l’ampleur de la répression, « de simples déclarations ne suffisent plus » ! Médiapart, 10 mars 2021

Depuis le 3 mars, et l’arrestation de la principale figure de l’opposition Ousmane Sonko, le Sénégal est le théâtre de manifestations populaires massives. Le président du parti PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), accusé par une employée d’un salon de massage de « viol et menaces de mort », avait vu son immunité parlementaire levée en fin février après le vote d’une commission ad-hoc principalement composée de députés de la majorité. Alors qu’il se rendait au tribunal pour répondre à la convocation du juge d’instruction, Sonko fut arrêté et placé en garde à vue pour « troubles à l’ordre public ». Ce fut la goutte de trop qui embrasa le pays.

Les manifestations vont cependant bien au-delà du cas d’Ousmane Sonko. La décision du juge de le placer sous contrôle judiciaire ne change aucunement l’état d’extrême tension dans lequel se trouve le pays. Dans la rue et sur les réseaux sociaux, l’on entend aussi bien « Libérez Sonko » que « Macky dégage » et « Libérez le Sénégal ». Chômage massif des jeunes, accroissement des inégalités, scandales de corruption, le tout accentué par une gestion répressive de la crise sanitaire : il s’agit bien d’un ras-le-bol généralisé d’une population qui désavoue la gestion du pays par sa classe politique dirigeante.

Un climat de terreur

Depuis plus d’un mois, pas un jour ne passe sans que les forces de l’ordre n’arrêtent des opposants au régime, aussi bien militants du PASTEF, membres du mouvement FRAPP (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine) que divers citoyens engagés. La torture, legs de l’administration coloniale maintenu par tous les régimes depuis l’indépendance, est également utilisée comme arme de renseignement. Le 4 mars, la directrice de la maison d’arrêt et de correction du Cap Manuel, Khadidiatou Ndiouck Faye, déclarait ainsi que les prisonniers politiques récalcitrants étaient parqués dans des cellules punitives. « Là-bas, dit-elle, la règle est que le détenu se suicide ».

De nombreuses organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International ont d’ailleurs appelé les autorités sénégalaises à « cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression, et faire la lumière sur la présence d’hommes armés de gourdins aux côtés des forces de sécurité ». En plus des restrictions d’accès aux réseaux sociaux, confirmées par l’observatoire numérique NetBlocks, elles ont en effet coupé le signal de plusieurs chaînes de télévisions et radios privées. Et, pour mater les immenses foules regroupées à travers le pays, de nombreux miliciens en civil, munis de gourdins et d’armes à feu, ont été mobilisés pour terroriser les manifestants. De nombreuses vidéos diffusées sur les réseaux sociaux font état de véritables chasses à l’homme. Dans certaines régions, l’État sénégalais a même fait appel à l’armée. Le bilan macabre est déjà d’au moins dix morts et des centaines de blessés graves.

Ce 5 mars, après une troisième journée de mobilisation, à laquelle avait notamment appelé le collectif Y’en a marre plusieurs jours auparavant, la déclaration face à la presse du ministre de l’Intérieur Antoine Felix Diome n’a fait que confirmer la détermination du régime du Président Macky Sall à ne reculer devant rien. M. Diome est allé jusqu’à qualifier les manifestants de « terroristes », manipulés par des « forces occultes ». Idrissa Seck, ancien opposant à Macky Sall arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2019, et qui a rallié le gouvernement en fin 2020, a renchéri en dénonçant des supposés « intérêts encagoulés, nationaux comme internationaux ».

Impunité internationale

Depuis son indépendance, le Sénégal a toujours trouvé des alliés à l’international, à commencer par la France. L’image d’un « modèle de démocratie », îlot de stabilité dans le tumulte sahélien, par son premier président Léopold Sédar Senghor, lui-même à la tête d’un régime au parti unique réprimant l’opposition, a la vie dure. Le pays s’est ouvert au multipartisme dans les années 1980 et a organisé deux alternances de parti au pouvoir, en 2000 et en 2012, mais, jadis opposants, les nouveaux hommes forts, Abdoulaye Wade (2000-2012) et Macky Sall (depuis 2012), s’inscrivirent tous deux dans la continuité de leurs prédécesseurs.

En cause, un système hyper-présidentialiste hérité d’une part de la 5ème République française de 1958, et d’autre part de la Constitution sénégalaise de 1963 qui supprima le poste de Premier ministre après l’éviction du chef de gouvernement d’alors, Mamadou Dia, concentrant ainsi les pouvoirs dans les mains de l’exécutif. Une pratique confirmée par Macky Sall lui-même, dans une intervention en wolof à la télévision nationale le 31 décembre 2020 : « Si jamais le Président sait que l’arrestation d’[une] personne [impliquée dans une affaire de corruption] entraînera la mort de personnes, est-ce qu’il va tout de même l’arrêter ? Peut-être y a-t-il un autre chemin à emprunter [pour régler le problème] ».

Face aux caméras du monde entier, la « vitrine démocratique » du Sénégal a aujourd’hui volé en éclats. Et il faut que cesse l’impunité internationale du régime de Macky Sall. En 2018, la cour de justice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) avait condamné l’État du Sénégal pour la violation des droits de Khalifa Sall, ancien maire de Dakar et prétendant à l’élection présidentielle de 2019, dans son procès pour détournement de fonds. Face à la crise politique que traverse le pays actuellement, les Nations Unies ont quant à elles appelé « tous les acteurs à la retenue et au calme ». Mais de simples déclarations ne suffisent plus face à l’ampleur de la répression. Comme l’exhorte Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal : « L’usage excessif de la force, et un usage contraire aux normes internationales des armes létales et le recours aux milices privées seraient inacceptables. […] Toute personne mise en cause, civile ou militaire, fera face à la justice. Au Sénégal ou devant des juridictions internationales ».