MARTINE ORANGE, Médiapart, 24 septembre 2021
Pour les uns, la chancelière allemande a sauvé l’Union européenne dans une période de crise ininterrompue. Pour les autres, son « règne » se résume à un « Merkantilisme » faisant primer les intérêts allemands sur tout le reste. Elle laisse en héritage une Europe plus divisée et plus minée que jamais.
S’ils avaient pu, les Allemands auraient voté pour Angela Merkel une cinquième fois. À défaut, ils sont à la recherche du candidat le plus à même de poursuivre la même trajectoire, la même politique. Son ministre SPD des finances, Olaf Scholz, semble tenir la corde.
Si l’Allemagne a tant envie de perpétuer l’ère Merkel, c’est que pour elle, ces 16 ans de pouvoir – un des plus longs mandats politiques en Europe de ces dernières décennies – ont été comme un « âge d’or ». Pendant ses mandats débutant juste après l’entrée des pays de l’Europe de l’Est dans l’Union, le pays a retrouvé sa pleine puissance, a été accepté comme l’acteur dominant de l’Europe et a remodelé le continent selon ses vues sans rencontrer la moindre résistance, la moindre objection.
Mieux, l’Allemagne s’est affirmée comme un pôle de stabilité dans un monde en plein chamboulement. Quand les Américains se désespéraient des sautes d’humeur, des folies de Donald Trump, que les Britanniques s’interrogeaient pour savoir où Boris Johnson les emmenait, Angela Merkel était la dirigeante occidentale qui incarnait encore un monde connu, les valeurs libérales et humanistes. « On se souviendra d’elle pour son sérieux, son leadership stable, son talent pour le compromis politique », écrit déjà plein de regrets l’éditorialiste Ishaan Tharoor dans le Washington Post.
Qui parlera désormais au nom de l’Europe ?, s’inquiètent déjà de nombreux observateurs. Alors que, de la crise climatique à la pandémie de Covid-19, en passant par la possibilité d’une nouvelle guerre froide entre une Chine affirmant sa puissance et des États-Unis ébranlés, le monde est sens dessus dessous, l’Europe ne va-t-elle pas être cantonnée au rôle de grande muette, de spectatrice passive après le départ de la chancelière ?
Le « Merkantilisme » comme ligne de conduite
Mais a-t-elle vraiment eu ce rôle ? A-t-elle vraiment été le leader de l’Europe ? Certains célèbrent aujourd’hui la chancelière comme celle qui a su maintenir, en dépit de tout, l’Union européenne. Ces détracteurs dénoncent au contraire une dirigeante pusillanime, subissant les événements plus que les contrôlant, qui n’a eu comme ligne de conduite que le « Merkantilisme ». Une politique marquée par la défense des intérêts allemands au point d’en oublier la solidarité et les principes européens.
Dans tous les cas, le bilan européen d’Angela Merkel, à bien y regarder au moment de son départ, est loin d’être convaincant. Elle laisse en héritage une Union européenne essorée, non pas tant par la crise du Covid-19 que par des années d’austérité, d’absence de croissance, d’ambition et de perspective. Depuis l’instauration de l’euro, certains pays, à l’instar de l’Italie, ne sont allés que de récession en stagnation. Le chômage, et particulièrement celui des jeunes, dans l’Europe du Sud, atteint des niveaux stratosphériques, nourrissant un exode de toute une jeunesse formée.
Les déséquilibres patents dès les débuts de la construction européenne n’ont cessé de s’accentuer. Les pays périphériques, dont toute l’Europe du Sud, mais aussi la Finlande et la France, ne cessent de se désindustrialiser et de s’appauvrir au profit d’un centre formé par l’Allemagne et son hinterland formé autour des Pays-Bas, de l’Autriche et d’une partie des pays de l’Europe de l’Est intégrés à la chaîne de valeur allemande.
Toutes ces questions ont soigneusement été mises sous le tapis, Angela Merkel laissant à ses successeurs le soin de les régler d’une façon ou d’une autre. Quelle que soit l’urgence des problèmes. Car ce laminage économique vient nourrir un malaise social et politique profond en Europe. La décomposition politique et la montée des droites extrêmes dans nombre de pays européens en sont la marque, au fur et à mesure que s’ancre l’idée qu’il n’y a pas d’alternative, qu’il n’y a pas d’autre politique possible, comme Angela Merkel l’a maintes fois répété .
Il n’y avait rien d’inéluctable à ce que la crise financière de 2008, née des débauches des banques et du système financier international, se transforme en crise de la dette, de la zone euro. Rien, si ce n’est que la voie choisie par Angela Merkel y a mené tout droit.