Luttes anticoloniales : hier et aujourd’hui !

Crédit - Photo : Le Marron inconnu, Port-au-Prince, Kristina Just.

Lilli Berton Fouchet

L’anticolonialisme est au cœur de l’actualité de nos jours, notamment avec le projet dintervention militaire en Haïti, l’apartheid israélien et la situation à Gaza, la remise  en question de la Françafrique, l’invasion en Irak ou encore la guerre de la Russie en Ukraine. C’est comme si le colonialisme n’avait jamais vraiment été démantelé. S’il revêt une nouvelle forme par rapport à ce qu’il fut auparavant, il se perpétue, mais sous d’autres configurations.

Le Centre tricontinental (CETRI) basé à Bruxelles a organisé le 21 novembre 2023 une discussion avec Sabine Manigat et Ndongo Samba Sylla sur le colonialisme auquel nous faisons face actuellement. L’activité s’est tenue à la faveur de la publication du dernier numéro Alternatives Sud consacrée aux Anticolonialisme(s).

Sabine Manigat est une féministe, sociologue et politologue, professeure et chercheuse à l’Université Quisqueya de Port-au-Prince à Haïti. Ndongo Samba Sally est économiste du développement, directeur de la région Afrique de l’International Development Economics Associates (IDEAs). Il a dirigé la publication de Imperialism and the Political Economy of Global South’s Debt 1.

Les panélistes ont orienté l’échange sur cette double actualité de la persistance du colonialisme, sans se limiter à une perspective géopolitique. Ils ont aussi exploré la modernité occidentale de la domination impériale des pays occidentaux et du colonialisme, en mettant l’accent sur la dynamique des mouvements sociaux et le rôle de la société civile.

La discussion se développe autour de trois lignes de tensions stratégiques identifiées dans le débat : parle-t-on d’un ou des anticolonialismes ? Delà découle ensuite deux interrogations : est-ce une nouvelle articulation de la souveraineté étatique et économique ? Et comment font face les états face à de nouvelles formes de colonisation ?

Conséquences de poids de l’impérialisme américain en Haïti

Sabine Manigat s’interroge sur l’intervention de l’impérialisme et sur les luttes anti-impérialistes en Haïti. Elle explique la réalité du poids de l’impérialisme, où les États-Unis ont eu une lourde emprise dans cette partie du monde et qui a eu un impact majeur de la situation actuelle du pays.

L’État haïtien a été le laboratoire des outrances de domination étatique et d’oppression sur un pays disloqué. Il a été dénationalisé et directement téléguidé par des intérêts qui ont poussé le gouvernement haïtien à ne plus se prononcer et à rester muet quant à l’avenir du pays et de son futur proche. La communauté internationale a mis la main sur la communauté haïtienne et sur les institutions et des organisations comme l’ONU ne sont pas venues en aide au pays.

Elle souligne la nécessité de reconstruire la souveraineté de l’état haïtien et de rétablir la sécurité et une gestion du pays, afin de légitimer la société civile par les mouvements sociaux, comme ce fut le cas avec les manifestations en 1990 par exemple. Haïti dans son histoire a expérimenté et a échoué sur certains chemins, mais a son récit à écrire.

Afrique de l’Ouest : une décolonisation inachevée

Pour compléter la pensée de Sabine Manigat, Ndongo Samba Sylla met en évidence les défis persistants de la décolonisation inachevée de l’Afrique « francophone ». La Françafrique est un système néocolonial, dans lequel la France maintient une emprise significative sur ses anciennes colonies, notamment à travers le franc CFA.

Les accords mis en place par de Gaulle pour une communauté franco-africaine en 1958 n’ont pas laissé l’autonomie et la liberté aux pays de se construire une identité qui lui est vraiment propre. Surtout, ils  les empêchent de disposer des moyens et des ressources nécessaires pour se développer. Il constate la présence de mouvements indépendantistes qui tentent de se libérer d’un modèle monolithique.

Ainsi, la conscience de tourner la page du néocolonialisme français se développe de plus en plus  et ils tentent de se libérer d’un modèle monolithique. Ce mouvement s’explique parce que le comportement de la France a toujours été considéré comme exceptionnaliste vis-à-vis de ses anciennes colonies, alors que les autres puissances ne se sont pas permises la même approche vis-à-vis des leurs.

Ndongo Samba Sylla énonce certains exemples — liberté d’humilier les africain.es et les dirigeants ; emprise sur le processus de sélection des directions ; des interventions dans la sécurité et les politiques internes des états : les pays africains francophones sont les champions du monde des coups d’État (les pays du Sahel, Mali, Burkina Faso, Niger, etc.) et des autorités militaires qui se retrouvent au pouvoir ; le CFA est un instrument d’appauvrissement, les pays l’utilisant sont les plus pauvres au monde…

Les mouvements sociaux, au cœur de la lutte anticoloniale

Il est important de mentionner que les mouvements sociaux sont au cœur du monde réel de notre temps. Alors, il importe dans cette réflexion de privilégier des analyses qui s’y intéressent à la dynamique des luttes des peuples, suivant une approche intersectionnelle, au lieu de se centrer sur l’appareil de personnalités et les institutions en place.

En soulevant la question de la domination des pays et de l’oppression des peuples politiquement et économiquement, ce webinaire permet une démarche théorique et critique qui ne s’arrête pas au niveau d’un regard culturaliste. Aussi, cela nous amène à penser aux voies de sorties que peut engager la société civile, ayant le pouvoir d’amorcer un virage pour déconstruire l’idéologie dominante libérale qui s’affiche comme démocratique, particulièrement avec le système électoral.

Pour une libération par et pour les peuples et dans l’élan d’un monde multipolaire et hétéroclite. En s’appuyant sur des études concrètes, tels que celles sur Haïti et sur l’Afrique subsaharienne, les intervenant.es détaillent les luttes anticoloniales et leurs implications, en ce qui concerne la souveraineté économique, les mouvements sociaux, et les dynamiques de pouvoir entre les acteurs nationaux et internationaux.

Webinaire organisé par le CETRI le 21 novembre dans le cadre de la sortie d’Anticolonialisme(s), le dernier numéro d’Alternatives Sud, à revoir !

Avec les panélistes :

  • Sabine Manigat, féministe, sociologue et politologue, professeure et chercheuse à l’Université Quisqueya, Port-au-Prince, Haïti.
  • Ndongo Samba Sylla, économiste du développement, directeur de la région Afrique de l’International Development Economics Associates (IDEAs), a dirigé Imperialism and the Political Economy of Global South’s Debt (Emerald 2023).
  • Frédéric Thomas, Docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI, coordinateur du numéro d’Alternatives Sud, Anticolonialisme(s) .

Pour en savoir plus : https://www.cetri.be/Luttes-anticoloniales-hier-et-6286

  1. Samba SyllaNdongo 2023, Imperialism and the Political Economy of Global South’s Debt, Research in Political Economy Vol: 38, Emerald Publishing Limited[]