Lina Al Khatib, correspondante
En perspective de la Journée internationale pour les droits des femmes , un retour sur la dernière conférence de l’Université populaire (UPop) de Montréal est nécessaire. Animée par la sociologue Mélissa Blais et le politologue Francis Dupuis-Déri, cette rencontre visait à sensibiliser les habitués et les nouveaux d’UPOP aux dynamiques du masculinisme et à ses implications sur la société.
« Bonne journée internationale », dit-on chaque 8 mars. Cette année, Francis Dupuis-Déri et Mélissa Blais suggèrent d’aller au-delà des fleurs et des mots doux pour interroger la condition féminine actuelle. Dans la continuité des cours sur l’antiféminisme donnés à l’automne, leur conférence du 26 février dernier s’est penchée sur le masculinisme, comme mouvement social à déconstruire. Alors, vivons-nous réellement une crise de la masculinité ? Rassurez-vous, répondent les deux spécialistes : la masculinité a toujours été en crise.
Le masculinisme est intemporel
Francis Dupuis-Déri lance la conférence sur un ton mêlant ironie et dérision. Il tient d’abord à revenir sur les déclarations masculinistes récentes de plusieurs hommes influents. Au menu, Mark Zuckerberg qui pense qu’il faut « insuffler une nouvelle énergie masculine », Elon Musk qui affirme que « la masculinité est de retour » et Andrew Tate qui appelle au « retrait du vote des femmes ». Un tour d’horizon qui suscite à la fois la moquerie et l’inquiétude.
Dans la famille des mouvements antiféministes, on retrouve le masculinisme ! C’est ainsi que M. Dupuis-Déri le définit comme une sous-branche de l’antiféminisme. Sa principale thèse est que « la masculinité va mal, principalement à cause des femmes ». Les masculinistes considèrent que nous vivons dans une société matriarcale et exhortent à un retour d’une forme « conventionnelle et traditionnelle » du masculinisme.
Dupuis-Déri s’intéresse particulièrement au phénomène de la « crise de la masculinité », un sujet sur lequel il travaille depuis les années 1990. Son premier constat est que la masculinité et la féminité sont des identités politiques, et non psychologiques. Contrairement à ce que défendent les masculinistes, les caractères qui seraient physiologiquement et psychologiquement « propres » aux deux genres sont en réalité liés à l’environnement sociopolitique dans lequel ils évoluent. Lorsqu’une femme est qualifiée de « douce », cela traduit une attente sociale visant à renforcer son inclinaison à la soumission. De même, en décrivant un homme de « stoïque », on crée un cadre propice pour qu’il s’approprie les rapports de forces sociétaux.
Aux prémices de ses recherches sur cette crise, Francis Dupuis-Déri constate immédiatement que les sources disponibles relèvent principalement des archives historiques. La crise de la masculinité a été étudiée sous divers angles à travers les époques : dans l’Antiquité romaine, pendant la Révolution française, à l’apogée du fascisme, aux débuts de la démocratie américaine… Ainsi, la crise de la masculinité ne se rattache à aucun régime politique, système économique, préférence religieuse ou temporalité spécifique. Elle est omniprésente, imagée et infondée . Pourtant, le discours qui l’entoure demeure pernicieux et porteur de dangers.
Pour conclure son intervention, M. Dupuis-Déri nous met en garde contre la dialectique de la crise. « Ce n’est pas parce qu’un discours est faux qu’il n’a pas d’impact », dit-il. Il appelle à déceler le registre lexical de la crise, employé par les masculinistes. À l’instar d’une véritable crise, les masculinistes en définissent les éléments clés : une cause (les féministes), des victimes (les hommes) et des solutions prétendument salvatrices (programmes de remise en forme, retraites spécialisées pour hommes, etc.).
Le masculinisme est stratégique
Dans la seconde partie de la conférence, Mélissa Blais rebondit sur les propos sarcastiques de son collègue avant de s’atteler à des sujets plus lourds. Ayant travaillé tout autant sur la crise de la masculinité, elle nous propose de revenir sur certaines tactiques et stratégies de camouflage du masculinisme. Son approche permet de reconnaître et de classifier les comportements antiféministes intrinsèquement liés au masculinisme.
Les stratégies qu’elle décèle sont celles de la neutralisation, de la persuasion, du recrutement et des dommages. Les masculinistes sont en quête permanente de nouveaux adeptes et s’emploient à convaincre progressivement, ou comme le souligne Mélissa Blais, « tranquillement, pas vite ». Ils tentent de minimiser l’influence des féministes en s’opposant activement à leur combat et n’hésitent pas, au besoin, à recourir aux menaces et à la violence. Leurs tactiques, toujours au service de ces stratégies, couvrent un large spectre : de la rhétorique à la surveillance, du lobbying à la mise à l’écart, de l’infiltration à la parodie, de l’action juridique au soutien organisé. Selon le public visé, ils jonglent entre ces dernières avec précision.
Mme Blais s’attarde particulièrement sur l’aspect violent du masculinisme. En effet, en clamant que l’égalité doit désormais être conquise par les hommes, les masculinistes entretiennent l’idée d’une symétrie des violences entre les genres, notamment en contexte conjugal. Plus encore, ils considèrent même que les femmes sont plus dangereuses, car elles détiennent le monopole de la violence psychologique. Pour illustrer ceci, elle cite l’approche de psychologie évolutionniste d’Yvon Dallaire ainsi que la théorie de l’aliénation parentale de Richard Gardner. Autant d’exemples prétendument académiques qui justifient, légitiment et normalisent les violences faites aux femmes.
Pour conclure, Mélissa Blais rapporte les trois rhétoriques principales du masculinisme. Le masculiniste rationaliste s’appuie sur des discours pseudoscientifiques qu’il brandit fièrement dans l’espace public. Cependant, il se trouve rapidement en difficulté lorsque la question des « preuves tangibles » est soulevée. Le masculiniste caméléon se fond dans les discours dominants et adapte son langage pour diffuser, de manière insidieuse, des idées problématiques sans éveiller immédiatement les soupçons. Le masculiniste, adepte du « diviser pour mieux régner », cherche à discréditer le féminisme en opposant les courants entre eux. Il pointe du doigt les féministes radicales afin de les isoler du mouvement dans son ensemble, tout en laissant planer l’idée d’une « bonne féministe »… dont on attend toujours l’exemple.
Le masculinisme semble alors être partout et nulle part à la fois. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’inscrit avant tout dans une logique de déconstruction. Si vous voulez célébrer dignement la journée internationale des droits de la femme, prêtez-vous au jeu et interrogez les discours de vos proches, de vos hommes politiques et les vôtres.