Dans quel contexte politique intervient la victoire de Fernandez ? Comment le péronisme a-t-il retrouvé le chemin du pouvoir ? L’élection argentine, qui était une élection générale, est intervenue dans un contexte de grave crise économique et sociale installée depuis plusieurs années dans le pays. Tous les indicateurs économiques et sociaux ont plongé vers le bas depuis l’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri en 2015, même si la crise dure depuis plus longtemps. La troisième puissance latino-américaine est à nouveau traversée par une pauvreté structurelle, de fortes inégalités sociales, ainsi que par une détérioration et une réduction des services publics, en particulier dans les villes. Déclassement et paupérisation ont frappé de manière croissante les classes populaires et les classes moyennes tout au long du mandat du président de droite. Le péronisme a remporté une victoire qui n’était pas évidente il y a quelques mois à peine. C’est sa réunification, à travers le « couple » formé par Alberto Fernandez, le nouveau président, et Cristina Kirchner, la vice-présidente, qui a déjà fait deux mandats à la tête du pays, qui a permis de donner une traduction politique et électorale à la contestation sociale et de conduire à cette victoire. Derrière ces deux personnalités, c’est pratiquement l’ensemble des secteurs du péronisme – mouvements, organisations syndicales, partis politiques, associations… allant de sa gauche à sa droite – qui s’unit. Le pôle de gauche, incarné par le kirchnerisme, a trouvé avec Alberto Fernandez une alliance qui lui a permis de rassembler jusqu’aux franges plus libérales et modérées de ce mouvement. Et de conserver en son sein l’hégémonie politique et programmatique. C’est cette réunification qui a permis la victoire face à un Mauricio Macri sur la défensive, fragilisé par sa politique économique et sociale et sa gestion du pouvoir. Ce dernier apparaît cependant, avec sa coalition « Cambiemos », comme le véritable adversaire du péronisme. L’élection a montré une hyperpolarisation politique entre deux camps en Argentine : les péronistes et la droite non-péroniste de Macri, qui a réalisé une « remontada » électorale significative en fin de campagne. D’ailleurs, en dehors de ces deux acteurs, il n’existe quasiment plus de forces politiques en Argentine. Quels sont les principaux défis auxquels Fernandez va devoir faire face durant son mandat ? Il y aura deux grands défis. Le premier, c’est l’agenda économique qui est au cœur de la situation en Argentine. Il s’agit de savoir comment ce nouveau gouvernement va réussir à inverser les dynamiques en cours. On pense notamment à la dette abyssale du pays contractée auprès du FMI et des marchés financiers et à la spirale inflationniste due à la dollarisation de fait de l’économie. Dans des conditions objectivement difficiles, coincé entre la « sur-dépendance » de l’économie argentine aux marchés internationaux, l’endettement de l’État, la polarisation politique et les attentes sociales internes, le gouvernement de Alberto Fernandez devra trouver des ressources qui lui permettront de mieux redistribuer les richesses créées dans le pays. Et ce, le plus rapidement possible. Son projet est de favoriser la diversification de l’économie argentine tout en continuant de s’appuyer, en attendant, sur les richesses produites par le secteur de l’agroalimentaire et des matières premières. La voie est étroite et la question d’une mise à contribution fiscale plus forte de la rente agricole se posera rapidement. Cette question risque de créer des tensions entre le gouvernement et ces secteurs, mais aussi au sein de la coalition péroniste. Le deuxième défi, qui découle du premier, va être de ne pas décevoir dans ce contexte. Alberto Fernandez a eu un discours très prudent lors de sa victoire, à l’opposé d’un discours triomphaliste, au cours duquel il a réaffirmé sa ligne « une Argentine plus égalitaire ». Il n’a eu de cesse d’expliquer aux Argentins la situation difficile dans laquelle il récupère le pays et à quel point les marges de manœuvre dont il dispose sont limitées. Il doit faire attention à ne pas décevoir la population qui a voté pour lui et qui a de fortes attentes en matière de récupération de ses droits économiques et sociaux. Comment envisager les relations avec le Brésil de Bolsonaro ? Plus largement, dans quel contexte régional s’inscrit cette élection ? L’élection argentine constitue un nouvel épisode du scénario latino-américain, marqué depuis maintenant quelques années par des oscillations très fortes, vers la gauche ou vers la droite, sur fond de « dégagisme ». Les scénarios politiques sont très volatiles dans la région, l’épisode argentin fait partie de ce « moment » latino-américain, où on voit un nouveau rapport de force instable et évolutif se dessiner. Des gouvernements de droite néolibéraux et proaméricains, qui peinent face à une crise économique et sociale et à l’insaisissable Donald Trump, côtoient aujourd’hui sur le sous-continent des gouvernements résilients ou de retour issus de la vague des gauches progressistes des années 2000, dans des conditions beaucoup plus difficiles qu’auparavant. La réélection cette année d’Evo Morales a été l’objet de fortes tensions en Bolivie. De la même manière, au Chili, en Équateur et en Haïti, les rues s’embrasent sur des questions sociales qui deviennent politiques en fragilisant les gouvernements en place. Enfin, en Uruguay, le gouvernement sortant de centre gauche se retrouve en mauvaise posture pour le second tour. Tout cela dans un contexte où les alliances latino-américaines se cristallisent autour de la crise vénézuélienne. L’élection argentine intervient dans ce contexte à partir duquel on peut imaginer quelques pistes d’évolutions des équilibres géopolitiques régionaux. D’une part, la configuration des alliances autour de la question vénézuélienne va de nouveau évoluer, puisque Alberto Fernandez a d’ores et déjà déclaré que son pays ne prendrait plus part au groupe de Lima – qui réunit tous les pays qui ne reconnaissent pas Nicolas Maduro comme président du Venezuela et qui sont alliés aux États-Unis pour demander un changement de régime à Caracas. Alberto Fernandez rejoint donc le Mexique et l’Uruguay. Tout indique que des canaux de discussions vont se développer, de manière assez inédite, entre Buenos Aires et Mexico dans le futur. D’ores et déjà, les entourages des présidents mexicain et argentin se côtoient activement et étudient la manière dont les deux pays peuvent travailler ensemble sur l’avenir de la région : Venezuela, Cuba, mais également intégration régionale. Il s’agira aussi d’initier le retour d’un multilatéralisme minimalement fonctionnel dans la région pour faire face à ces multiples tensions et crises, et aux diverses embardées de Donald Trump. En tant que « président élu » – c’est son statut jusqu’à sa prise de fonction prévue le 10 décembre -, Alberto Fernandez a choisi de réserver son premier voyage extérieur non pas au Brésil, mais précisément au Mexique pour rencontrer Andres Manuel Lopez Obrador (« AMLO »). C’est un geste politique très fort, inédit, tandis que Jair Bolsonaro ne l’a pas félicité pour sa victoire – autre geste politique fort, d’hostilité cette fois, et tout à fait inhabituel entre les deux pays. Au contraire, le président du Brésil a dit que les Argentins avaient fait « le mauvais choix » et s’est offusqué que son nouvel homologue argentin remercie l’ancien président brésilien Lula – « injustement emprisonné » a-t-il précisé – pour son message de soutien et de félicitations envoyé depuis sa cellule. Beaucoup de choses sont en jeu désormais au niveau régional avec cette élection. Le Mercosur – et son accord avec l’UE – vont chanceler. Jair Bolsonaro a menacé de s’éloigner du bloc si Alberto Fernandez était élu. Nous y sommes. Et le nouveau président de l’Argentine a déjà prévenu pour sa part que l’accord avec l’UE ne le satisfaisait pas en ce qu’il était trop asymétrique et minait les perspectives d’industrialisation de son pays. L’élection de Alberto Fernandez ne se traduira pas par une politique visant des ruptures franches ou des initiatives trop offensives ou tonitruantes sur le terrain régional. Le nouveau président privilégiera certainement un travail de diplomatie quotidienne équilibrée qui essaiera de contribuer à ce que les pays progressistes dans la région puissent avant toute chose se maintenir et survivre dans un contexte régional, mondial et économique déprimé. Mais les actions d’autres gouvernements, comme celui du Brésil, influeront sur ses propres choix. De tout cela, Mexico et Buenos Aires parleront beaucoup à l’avenir. Parallèlement à la rencontre des deux dirigeants prévue à Mexico, Buenos Aires accueillera une réunion du « Groupe de Puebla » en novembre. Ce groupe informel, fondé dans la ville mexicaine en 2019, rassemble nombre de dirigeants politiques des gauches latino-américaines qui tentent de reconstruire leur agenda commun face aux nouvelles configurations régionales.
Ronald Cameron et Mario Gil Guzman, à partir d'informations de la délégation
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