Corvin Russell, extrait d’un texte publié par Socialist Project, 28 février 2020
L’État
canadien est aujourd’hui en proie à une crise historique qu’il a lui-même créé,
alors qu’il se dresse face à la nation Wet’suwet’en à travers leur territoire (appelé le Yintah). Le
gazoduc CGL acheminerait le gaz fracturé du nord-ouest de la
Colombie-Britannique vers un terminal de gaz naturel liquéfié de LNG Canada sur
la côte de la Colombie-Britannique à Kitimat qui sera construit par un
consortium international de combustibles fossiles.
Le défi à l’intégrité du Canada
dans cette crise réside dans les contradictions intrinsèques de l’État colonial
canadien que la résistance de Wet’suwet’en a rendu très visibles. Au cœur
de l’économie politique extractiviste du Canada se trouve le «titre de la
Couronne», qui établit la compétence de l’État sur les terres autochtones. La
légitimité supposée du titre de la Couronne repose sur deux principes incompatibles. Le
premier est la « doctrine de la découverte»», par lequel les
colonisateurs européens se sont arrogé le droit de revendiquer comme leurs
propres terres là où il n’y avait pas d’habitants chrétiens. Le second est
la Proclamation royale de 1763, qui oblige la Couronne à négocier des traités
avec les peuples autochtones. Dans le mélange se trouve un ensemble
croissant de lois canadiennes et internationales qui reconnaissent la
continuité et la priorité des droits autochtones et des titres fonciers lorsque
ceux-ci n’ont pas été réellement cédés de manière consensuelle dans le traité.
Les Wet’suwet’en n’ont signé aucun traité avec le Canada. Leur titre foncier n’a jamais été annulé, et c’est un fait qui ne disparaîtra pas, mais un fait avec lequel le Canada ne peut se réconcilier correctement sans changer fondamentalement les lois et la gouvernance des ressources et des terres.
En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA)3, dans le cadre de ses recommandations détaillées, appelait à une refonte de la politique gouvernementale sur les droits fonciers et la juridiction des peuples autochtones. En particulier, elle préconisait une approche qui reconnaît le titre autochtone sans imposer de procédures coûteuses et contraignantes pour les peuples autochtones. Elle plaidait également pour un redressement provisoire fondé sur le titre sans que cela ne dépende de la preuve du titre devant le tribunal. Et la commission appelait à des alternatives politiques qui permettraient aux peuples autochtones de conserver leur titre de propriété et de garantir que toute extinction négociée du titre impliquerait un consentement éclairé tout en offrants des avantages supplémentaires.
En 1997, la décision Delgamuukw de la Cour suprême, en particulier en ce qui concerne la nation Wet’suwet’en, a reconnu que les peuples autochtones avaient conservé leur titre sauf s’ils étaient expressément éteints.
En 2007, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones a été adoptée aux Nations Unies. Son principe de base est le consentement libre, préalable et éclairé pour le développement sur les terres autochtones. Au cours des années suivantes, un gouvernement fédéral a signé le traité et plusieurs gouvernements provinciaux ont fait de même. Pourtant, aucun de ces éléments n’a donné effet au principe fondamental de la déclaration. La Colombie-Britannique affirme que celle-ci équivaut au «devoir de consultation» en vertu duquel les peuples autochtones n’ont pas de «veto» sur le développement de leurs terres.
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation (CVR) a publié son rapport final. Parmi ses appels figurait la reconnaissance du titre autochtone par défaut et le renversement du fardeau de la preuve sur ceux qui chercheraient à limiter le titre.
Malgré cette histoire, aucun gouvernement n’a reconnu le titre autochtone et la politique du Canada sur les terres autochtones n’a pas été modifiée.
Entretemps, pour les peuples autochtones qui participent aux négociations, le processus est une affaire de plusieurs années, le gouvernement fournissant de l’argent pour payer les négociateurs et les consultants du côté autochtone qui ont un intérêt direct à poursuivre le processus. Malgré cela, les accords définitifs sont tous conformes à un modèle – extinction du titre, fin du statut distinct d ‘«Indien» pour les individus et les communautés, municipalisation des communautés et subordination aux régimes provinciaux plutôt que d’être reconnu comme un troisième ordre de gouvernement, et le maintien d’une petite fraction de leur territoire (5%) en tant que territoire municipal, avec un intérêt économique conservé dans une petite tranche supplémentaire de leur territoire d’origine.
Sur les fonds du règlement final, les avocats (qui ont un intérêt direct dans le processus) en prennent une énorme partie. Dans le processus d’approbation, le gouvernement, plutôt que de jouer un rôle neutre, intervient activement en finançant les plaidants de la cessation, avec des fonds de renseignement et de relations publiques. Si le vote dit non, ce n’est jamais définitif – ils poussent à des remises en cause jusqu’à ce qu’ils obtiennent un oui, mais aucune reprise n’est autorisée sur un oui. Au niveau local, cela peut impliquer des campagnes d’intimidation brutales envers ceux qui sont en désaccord avec un oui. Pourtant, ces accords sont si peu attrayants que le Canada a réussi à obtenir un oui de très peu de collectivités.
La seule option que le Canada envisage officiellement pour les nations autochtones qui souhaitent conserver le titre est le litige. Les affaires de titre nécessitent des années de collecte de preuves, des dizaines de millions de dollars et une décennie ou plus devant les tribunaux – parce que la stratégie du gouvernement est de faire appel de tout ce qu’il peut, y compris les questions de procédure. Il y a 200 bandes en Colombie-Britannique seulement. Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont déclaré à une communauté en préparation pour une affaire de titre que les tribunaux peuvent gérer au plus deux affaires de titre simultanées en raison de leur taille et de leur complexité. Cela signifie qu’il faudrait jusqu’à 1000 ans aux tribunaux pour traiter toutes les affaires de titres en Colombie-Britannique. Pendant ce temps, Les bandes ne disposent pas de budgets de litige pour lutter contre Ottawa, sauf dans des circonstances limitées où le gouvernement est contraint. Et contrairement aux processus d’extinction, aucune aide n’est disponible pour les affaires de titre. La stratégie du gouvernement est une stratégie d’attrition, dont une partie consiste littéralement à «attendre que les preuves meurent», c’est-à-dire les anciens et leurs connaissances souvent distinctes de l’utilisation et de l’occupation des terres. Une autre partie consiste à refuser délibérément aux communautés autochtones des services adéquats et à créer des conditions de pauvreté conçues comme une pompe à pression épuiser les communautés.
Le Canada et les provinces ne sont pas des acteurs de bonne foi. Tous les mots sur la réconciliation et la reconnaissance sont faux, pour la consommation publique non autochtone. Ce n’est pas une politique qui envisage sérieusement que les peuples autochtones conservent leur titre. Aucun gouvernement, conservateur, libéral ou néo-démocrate n’a changé la donne sur cet aspect essentiel des relations entre le Canada et les Autochtones, qui sous-tend et motive toutes les autres politiques et actions coloniales. Permettre aux peuples autochtones la possibilité d’un «non» sur le développement est jusqu’à présent un anathème pour les gouvernements qu’ils ne pouvaient même pas envisager la suggestion d’autres itinéraires de pipelines. Le consentement n’est pas un consentement lorsque «oui» est la seule réponse autorisée.
La reconnaissance du titre et des droits autochtones
Pourtant, malgré toutes les tentatives du Canada et sa rhétorique orwellienne sur les droits autochtones, les peuples autochtones sont toujours là. Aujourd’hui, grâce à Internet et aux médias sociaux, les peuples et les nations autochtones sont mis en réseau au Canada et en Amérique du Nord. Des décennies de construction de mouvements et d’éducation et d’organisation à la base ont jeté les bases de la résistance. Les intellectuels et les journalistes autochtones peuvent désormais diffuser leur message via les médias sociaux et indépendants, même si les médias grand public continuent de refléter les mêmes perspectives que celles de l’État. Les jeunes générations qui se font les dents sur l’activisme en matière de changement climatique comprennent également la solidarité de manière plus fluide et sont très conscientes des droits des autochtones et du caractère colonial de l’État des colons.
Cela a entraîné un soulèvement qui est le cauchemar de l’État de sécurité du Canada et des élites politiques et économiques. Il ne peut y avoir de «réconciliation» tant que le Canada ne rompt pas avec la domination coloniale et le vol comme politique de base envers les peuples autochtones en reconnaissant le titre autochtone et en mettant pleinement en œuvre la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtone, y compris le principe essentiel du consentement libre, préalable et éclairé.