Nathan Erderof, Révolution permanente, 8 octobre 2021
Une nouvelle formule, un même objectif : renforcer l’impérialisme français en Afrique
Initialement prévu du 8 au 10 juillet, le sommet Afrique-France a débuté ce vendredi 8 octobre. Traditionnelle grande messe de l’impérialisme français depuis 1973, le président de la République a cette année fait le pari d’une nouvelle formule pour l’évènement organisé à Montpelier et dans cette perspective multiplié les effets d’annonce autour de son « nouveau sommet », selon la terminologie officielle, souhaitant marquer par là un changement méthodologique et de perception des rapports entre les deux parties.
L’Elysée commente :« Montpellier, c’est une sorte de sommet renversé où ceux qui d’habitude ne sont pas invités dans ce type d’événements internationaux seront au cœur de l’événement » en louant le format « inédit » de l’évènement qui « mettra en relation les acteurs essentiels de la relation [entre l’Afrique et la France] dans les dix et vingt ans qui viennent ». Exit donc les présidents et dirigeants et africains, place est faite à la jeunesse et à la « société civile ». Vendredi, quelques 3000 participants dont plus d’un millier de jeunes du continent africain (dont près de 350 entrepreneurs) ont donc été conviés pour participer à des tables rondes et conférences.
Mais derrière le changement symbolique le contenu du rassemblement reste identique. Pour la France il s’agit bien d’appuyer une politique néocoloniale de domination monétaire, économique, diplomatique, militaire et culturelle et par là même d’asseoir les positions de l’impérialisme français en Afrique.
Draguer la jeunesse et l’opinion africaine : le double effet kiss-cool néolibéral de Macron
Pour se faire la cible est claire : pour Macron il s’agit de convaincre la « société civile africaine ». Face à d’une part la montée en puissance de la concurrence étrangère en Afrique sur le pré-carré français, notamment de la Chine et de la Russie, et d’autre part du sentiment de détestation des populations africaines vis à vis de l’impérialisme français, le président de la République veut jouer la carte de l’apaisement et ce dans la continuité directe de la politique africaine menée depuis le début du quinquennat.
La communication opérée ce vendredi autour de la restitution des 26 œuvres d’arts pillées au Bénin poursuit directement cet objectif. « A la fin octobre, on va rendre 26 trésors au Bénin » a ainsi déclaré Emmanuel Macron au sommet Afrique-France qui se tient à Montpellier, lors d’une table ronde sur les restitutions d’œuvres d’art pillées à l’Afrique. « On va le faire aussi avec la Côte d’Ivoire » a-t-il ajouté. La méthode n’est pas sans rappeler la politique de réconciliation mémorielle avec l’Algérie ou encore avec le Rwanda que le chef de l’Etat avait mis en place au lendemain de son élection dans l’espoir de consolider les relations diplomatiques, et afin de favoriser les affaires et la collaboration militaire avec l’ancienne colonie. A nouveau, cette fois, il s’agit de balayer et d’écarter les crimes de l’impérialisme français pour passer à autre chose, et en dernière instance pour raffermir les positions françaises en Afrique.
De la même façon le mode d’organisation « inédit » de ce sommet doit être analysé comme la tentative d’Emmanuel Macron de se constituer un courant néolibéral favorable dans l’opinion africaine. Le choix des invités comme des thèmes, les échanges devraient surtout porter sur des enjeux culturels (musées, cinéma, mode, musique) et sociétaux n’est en ce sens pas anodin. Il est la marque d’une véritable contre-offensive pour gagner l’opinion de ceux qui forgent l’opinion publique africaine et donc de ces jeunes, entrepreneurs, sportifs et célébrités du continent. Le collectif panafricain Cora critique en ce sens à juste titre la présence à Montpelier d’une « une société civile taillée sur mesure », « l’Afrique qui réussit », « pour donner l’illusion » que la France est « à l’écoute des populations africaines et de leurs intellectuels ».
En arrière-plan, le choix du philosophe camerounais Achille Mbembe, critique acerbe de la Françafrique et l’un des pères des études postcoloniales, pour préparer le sommet sert un même objectif et traduit la volonté d’Emmanuel Macron de se mettre en scène face à des contradicteurs. « D’une manière très intelligente et sans doute stratégique, Emmanuel Macron lui a demandé d’aller sonder les Africains sur les orientations à suivre pour forger de nouvelles relations entre la France et l’Afrique », analyse le journaliste Assane Diop, sur l’antenne de France 24. Pour le chef de l’Etat il s’agit d’une « prise de guerre » et d’une manœuvre de haute voltige pour redorer l’image de la France sur le continent africain sur fond de cooptation. Dans une tribune au vitriol l’écrivain camerounais Gaston Kelman commentait le 30 avril dernier : « En participant au sommet de Montpellier, les 9 et 10 juillet 2021, Achille Mbembe et d’autres intellectuels africains se font « la voix de leur maître ». Il n’appartient pas à la France de guérir le continent de son trauma postcolonial. ».
Dans un effet de double kiss-cool néolibéral, Macron souhaite donc séduire la jeunesse dorée et l’opinion publique africaine. Entre cooptation et tentative d’apaisement, l’objectif est de faire de la société civile un rempart pour les entrepreneurs et investisseurs français face à une concurrence étrangère qui se développe contre l’impérialisme français.
Un changement de méthode sur fond de difficultés pour l’impérialisme français en Afrique
De fait si ce sommet est organisé sous un format inédit, c’est parce qu’il se déroule sur fond de tensions fortes entre la France et certaines de ses anciennes colonies dans un contexte de déclin structurel de l’impérialisme français. Ces dernières semaines, la crise diplomatique entre la France et l’Algérie est montée d’un cran suite aux déclarations d’Emmanuel Macron sur la « rente mémorielle » dont aurait bénéficié le régime algérien et à la forte réduction de l’attribution des visas pour les ressortissants du Maghreb. Dans le même temps plusieurs déclarations ont accru les frictions entre Paris et Bamako. A tel point que l’ambassadeur français a été convoqué par la junte militaire après qu’Emmanuel Macron ait qualifié de « honte » les propos du premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga qui a reproché à la France un « abandon en plein vol » avec sa décision de retrait de la force Barkhane.
En arrière-plan c’est l’ensemble des positions de l’impérialisme français qui semblent fragilisées. Humiliée par la crise des sous-marins australiens, la France se trouve sur un autre plan forcée de réorganiser son intervention au Sahel alors que le gouvernement malien menace de faire appel à des mercenaires russes alors que la France essaye d’impliquer davantage ses partenaires européens. Plus largement la France est très inquiète pour ses intérêts au Sahel donc mais en Afrique en général et doit faire face à une influence grandissante d’acteurs internationaux comme la Chine, la Russie ou encore la Turquie mais aussi à l’opposition de puissances régionales comme l’Algérie dernièrement. Enfin sur le terrain social, la défiance des peuples africains vis-à-vis de l’impérialisme français est profonde et ne manque pas ces derniers mois de s’exprimer dans la rue et parfois de façon historique comme au Sénégal en mars dernier ou au Tchad où des drapeaux français sont régulièrement brulés dans les manifestations depuis la mort d’Idriss Deby.
Les enjeux de ce se sommet sont donc importants pour la France, il s’agit de renforcer les positions africaines. C’est une perspective cruciale pour l’impérialisme français qui dépend fortement de son entreprise économique, politique et militaire sur une part importante du continent africain pour continuer à faire partie du groupe des grandes puissances mondiales. L’organisation d’un contre-sommet Afrique-France à Montpellier du 6 au 10 octobre entend précisément dévoiler cette réalité. Comme le note Survie : « Ces rendez-vous montreront en effet que la politique de la France vis-à-vis de l’Afrique n’a pas plus changé de cap durant le quinquennat d’Emmanuel Macron que durant celui de ses prédécesseurs, qui revendiquaient pourtant aussi une « rupture » avec la Françafrique, trop vite résumée au « Foccartisme ». Les piliers institutionnels de cette politique restent inébranlés : des liens militaires, monétaires, diplomatiques et financiers « privilégiés » unissent encore la France et des régimes autocratiques et corrompus, on l’a encore vu récemment au Tchad. Cette étroite relation sert aussi des intérêts privés, ceux de grands groupes comme Bolloré, Orange, Castel ou Total dont les positions sur le continent se sont renforcées alors que l’immense majorité des populations locales luttent au quotidien pour leur survie. Ce sommet, censé « réinventer la relation franco-africaine » selon le gouvernement, s’inscrit dans une vaste offensive de communication destinée à occulter cette continuité. ». Les annonces affectées du gouvernement ne constituent en ce sens pas une rupture avec des décennies de politique étrangère, mais permettent à la France de plus en plus confrontée à des difficultés en Afrique de mener une offensive de séduction à destination de la jeunesse africaine, dans un contexte de concurrence internationale accrue.
A nouveau face aux effets d’annonce de Macron et à la tentative de cooptation d’une partie de la jeunesse et de l’opinion publique nous devons exprimer une position anti-impérialiste claire. Contre le pillage impérialiste du continent et les ingérences dans les États africains, nous devons revendiquer le retrait de toutes les troupes françaises du continent et exiger l’annulation totale et sans conditions de la dette qui pèse sur tous les pays africains.
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