FANNY PIGEAUD, Médiapart, 21 mars 2020
Fin janvier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait placé l’Afrique du Sud sur une liste de 13 pays africains dits « prioritaires », c’est-à-dire davantage susceptibles d’être infectés par le Covid-19, en raison de leurs liens directs avec la Chine ou d’un volume important de voyages vers la grande puissance asiatique. Mais c’est finalement d’Europe qu’est venu le coronavirus, avec un homme de 38 ans ayant séjourné en Italie. Son cas a été identifié le 5 mars par le National Institute for Communicable Disease (NICD), installé à Johannesburg.
Depuis, la liste des personnes contaminées s’allonge un peu plus chaque jour, et de plus en plus vite. Le 20 mars, le ministère de la santé a annoncé avoir dénombré 202 cas, soit 52 de plus que la veille, qui correspondaient à des personnes de divers âges, réparties dans plusieurs provinces. L’Afrique du Sud, 56 millions d’habitants, est ainsi le pays d’Afrique subsaharienne le plus touché, suivi par le Sénégal, lequel recense 47 cas, dont 5 guéris (sur le continent pris dans son ensemble, c’est l’Égypte qui était en tête de ce triste décompte, avec 256 malades reconnus et 7 morts).
Depuis le début du mois de mars, les 55 pays du continent, lequel semblait jusque-là épargné par rapport au reste du monde, découvrent, les uns après les autres, des personnes porteuses du virus sur leur territoire. Le 18 mars, c’est au Burkina Faso que l’épidémie a fait son premier mort subsaharien, Rose Marie Compaoré, 62 ans, deuxième vice-présidente de l’Assemblée nationale. Trois ministres de ce pays ont annoncé avoir été testés positifs.
Le 19 mars, l’OMS comptabilisait plus de 600 personnes infectées sur le continent, contre 147 une semaine plus tôt. Le même jour, le Tchad et le Niger ont recensé leurs premiers cas. Le lendemain, 20 mars, le Cap-Vert a annoncé qu’il était aussi concerné, portant à 37 le nombre de pays touchés. Mais ces chiffres évoluent constamment et ne reflètent pas l’exacte réalité : tout indique que le Covid-19 est en train, comme ailleurs, de se propager silencieusement et largement.
Experts et citoyens ont des sueurs froides en pensant à la suite. Car dans une majorité d’États, et même si quelques-uns ont l’expérience de la gestion de l’épidémie d’Ebola, les systèmes de santé sont en lambeaux, victimes, entre autres, des programmes d’austérité imposés par les institutions financières internationales dans les années 1980 et 1990. Pénurie de moyens et de personnels soignants : c’est le lot de la grande majorité des établissements hospitaliers. Au Cameroun, par exemple, il y a 1,1 médecin et 7,8 infirmières et sages-femmes pour 10 000 habitants, selon des chiffres de 2010. À ce problème s’ajoute celui des conditions sanitaires générales souvent précaires. Se laver les mains relève du défi quand on n’a pas l’eau courante ou quand les services d’eau fonctionnent de manière aléatoire.
Les gouvernements prennent peu à peu conscience du danger. « Le meilleur conseil pour l’Afrique est de se préparer au pire et de se préparer dès aujourd’hui », a lancé, le 18 mars, le directeur général de l’OMS, l’Éthiopien Tedros Ghebreyesus. Trois jours plus tôt, le président sud-africain Cyril Ramaphosa avait déclaré l’état de « catastrophe nationale » pour son pays. Depuis, c’est le branle-bas de combat général. Les voyages à destination et en provenance de zones à risques, dont l’Italie, la Chine et les États-Unis, ont aussitôt été interdits. Les Sud-Africains revenant de l’étranger sont systématiquement dépistés et placés si nécessaire en quarantaine. Les écoles ont fermé leurs portes.
« Le virus ne connaît pas de frontières géographiques ou territoriales, a infecté jeunes et vieux, et est en augmentation dans les pays développés comme dans les pays en développement », a prévenu Cyril Ramaphosa, qui a pris la direction d’un Conseil de commandement national. Le ministre de la santé, Zweli Mknize, a indiqué que l’état d’urgence pourrait être décrété si la situation se détériorait. « Une fois que cette infection se répandra dans les taxis, les trains, les zones d’habitation informelles, elle créera une nouvelle dynamique. Nous devrons créer des installations pour des mises en quarantaine si nécessaire », a-t-il expliqué. Affolés par cette perspective, une partie de ses concitoyens se sont empressés de faire des provisions.
Cette semaine, plusieurs autres États ont décidé de clore les portes des écoles et universités. L’enseignement est ainsi suspendu au Congo, en Côte-d’Ivoire, au Kenya, au Mali, au Nigeria, en Namibie, au Mali, au Rwanda, au Sénégal, en Tanzanie, etc. Beaucoup de pays ont aussi fermé leurs frontières aériennes et terrestres. Certains prennent les devants : alors qu’il n’avait aucun cas de Covid-19, le Niger a pris, le 17 mars, une série de mesures, dont la fermeture de ses aéroports internationaux. L’aviation civile malgache a de son côté annoncé que « tous les vols reliant Madagascar au reste du monde, sans exception, seront suspendus à compter du 20 mars » et pour un mois. Le virus n’avait pas encore été détecté sur la Grande Île. Il l’a été trois jours plus tard sur trois personnes revenues de l’étranger.
Au Cameroun, pays pilier de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), les autorités ont en revanche tardé à réagir. Il s’est écoulé une douzaine de jours entre l’enregistrement du premier cas et la décision, prise le 17 mars par les autorités, de fermer les établissements scolaires et universitaires, les bars et restaurants, les tribunaux, les frontières terrestres, aériennes et maritimes, de limiter les déplacements urbains et interurbains, etc. « Il s’agit de mesures certes difficiles mais nécessaires pour garantir la protection de tous et de chacun, et limiter la propagation de cette pandémie », a dit le premier ministre, Joseph Dion Ngute.
Mais toute la question est de savoir si elles seront appliquées, alors que l’État de droit est faible, que le niveau de corruption est élevé et que le pays est en guerre dans deux de ses régions. « Les gens ici ont vaqué à leurs occupations comme si de rien n’était », constatait au lendemain de l’annonce gouvernementale un cadre d’une entreprise de Douala, la capitale économique. « Beaucoup d’entre nous ont encore du mal à prendre au sérieux cette épidémie, reconnaît, inquiet, un habitant de Yaoundé, la capitale politique. Beaucoup de préjugés et de fake news circulent. »
Faute d’une sensibilisation efficace, certains citoyens restent persuadés que la maladie ne touche pas les Africains et que le climat tropical n’est pas propice à sa propagation. Une croyance due en partie au fait que le pays n’a recensé de cas de contamination que début mars et que les premiers ont été décelés chez des personnes venues d’Europe. De hauts responsables ont aussi envoyé de mauvais signaux, comme le président de l’Assemblée nationale : le 16 mars, deux jours après être revenu d’un séjour hospitalier en France, Cavaye Yéguié Djibril, 80 ans, a retrouvé ses collègues députés au Parlement (qu’il préside depuis 1992). Le ministre de la santé, Manaouda Malachie, avait pourtant demandé aux passagers de l’avion qu’il a emprunté de s’isoler pendant 14 jours.
Le 20 mars, Manaouda Malachie a annoncé que 7 nouveaux malades avaient été identifiés à Yaoundé, ce qui faisait en tout 22 personnes affectées, dont deux guéries. « Nous constatons que beaucoup continuent de ne pas observer les mesures d’hygiène requises et les règles édictées […]. Je vous rappelle qu’en agissant ainsi vous mettez votre vie et celle des autres en danger », a-t-il déploré sur Twitter. Le soir même, il annonçait un total de 27 cas.
Quand les premiers cas graves se présenteront, le réveil sera brutal pour une partie de la population. Officiellement, il y a seulement quelques dizaines de lits à Douala et à Yaoundé pour prendre en charge des personnes en détresse respiratoire et le nombre de respirateurs fonctionnels sera sans aucun doute insuffisant. Aimé Bonny, cardiologue en France et enseignant à la faculté de médecine de Douala, craint que le Cameroun et ses 25 millions d’habitants ne s’acheminent vers une situation ingérable : « On va connaître un drame bientôt, vu les comportements locaux et la structuration sanitaire défaillante, estime-t-il. Où va-t-on trouver la logistique, c’est-à-dire les masques, solutions hydroalcooliques, équipements pour les hôpitaux, etc., s’il y a un “rush” des contaminations ? »
Tout en tentant de s’organiser sur le plan sanitaire, des États cherchent aussi à atténuer les effets de la pandémie sur leurs économies, qui s’annoncent désastreux. Le gouvernement sud-africain prévoit des mesures fiscales pour soutenir la sienne, déjà fragile, tandis que le Ghana a baissé ses taux d’intérêts et que la Banque centrale du Nigeria a décidé d’injecter 2,5 milliards d’euros dans l’économie. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies a prévenu que l’Afrique pourrait perdre la moitié de son produit intérieur brut (PIB), à cause de la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et de la baisse des prix des matières premières.