Une cinquantaine de personnes ont participé à l'événement, dont une trentaine en ligne. Crédit photo @Liên-Hoa Vertu Tran

Célia Sales

L’Amérique latine est une région convoitée : ses richesses minières, la fertilité de ses sols, et la main-d’œuvre bon marché sont des atouts incontestables pour les firmes transnationales, ne manquant pas de les exploiter jusqu’à l’épuisement. C’est ce qui ressort du panel sur les luttes paysannes d’ici et d’ailleurs en Amérique.

À l’initiative du Centre international de solidarité ouvrière (CISO), du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL), de Développement et Paix – Caritas Canada, de Solidarité Laurentides Amérique centrale (SLAM) et de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), le panel a réuni plusieurs personnes du Honduras, du Guatemala, du Mexique, d’Haïti et du Québec dans le cadre des Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI)1.

Les pays d’Amérique latine basent leurs économies principalement sur le commerce de fruits, de maïs, de haricots, mais aussi de café ou de sucre. Implantées dans un système économique à coordination néolibérale, les économies des pays latino-américains sont soumises aux fluctuations intenses de l’offre et de la demande de ces produits. Au Mexique, Cirio Ruiz Gonzalez rappelle que le café fait la loi. Si la production baisse, les exportations baissent ce qui accentue la crise.

D’ailleurs, il est hors de question pour les entreprises transnationales de laisser les lois de la nature avoir des conséquences négatives sur leurs finances. Si la nature ne veut pas produire, il suffit de lui forcer la main, à l’aide de pesticides et d’organismes génétiquement modifiés (OGM) qui dessèchent et polluent les sols, tout en ayant des impacts sur la santé humaine et celle des écosystèmes. Les multinationales agroalimentaires n’hésitent pas non plus à cultiver des graines, comme le café arabique, non acclimatées aux terres locales, ce qui les épuisent.

La privation de la souveraineté paysanne

Les premiers touchés par cette culture extractiviste sont les paysans locaux qui vivent dans un environnement de plus en plus pollué. Ils ne sont plus souverains, car ils n’ont plus le contrôle sur leur production, les firmes transnationales s’appropriant les terres par les substances et composés chimiques qu’elles injectent dans les sols.

Par conséquent, les populations paysannes n’ont pas d’autres choix que d’intégrer la production des entreprises pour gagner de l’argent. Cependant, cela ne signifie pas que ces populations ont accès à cette production. En effet, au Mexique, le café coûte en moyenne 1,5 fois plus cher qu’aux États-Unis.

Cette priva(tisa)tion des terres renforce aussi le système patriarcal. Au Guatemala, les femmes travaillent dans les terrains domestiques. En parallèle, les hommes représentent la principale main d’œuvre des entreprises et donc la source de revenus primordiale pour la famille. Des prisons à grandeur nature se forment, les femmes devenant des personnes secondaires, réduites au rôle de mère et dépendantes de leur mari.

Par ailleurs, nombreux se retrouvent à quitter leurs terres pour trouver un emploi en ville, là où les supermarchés en feront leur clientèle. D’autres prennent la direction des États-Unis, de l’Espagne ou du Canada en espérant sortir de leur condition. Ces pays vendeurs de rêves offrent des salaires avantageux, mais en arrivant, les travailleurs migrants devront faire face au racisme et au malaise lié au fait d’avoir quitter leur terre d’origine. De plus, les envois de fonds en masse à la famille, restée en Amérique latine, renforcent les fluctuations monétaires, plongeant les pays dans une plus grande instabilité économique.

Les institutions latino-américaines sont responsables de la situation de ces paysan.nes. Les entreprises contrôlent l’économie et donc la politique. Les lobbies transnationaux dictent leurs propres règles. Cette mise en avant des intérêts privés se fait également au Canada où des entreprises, comme Monsanto, continuent d’empoisonner la population, tout en étant appuyées par les institutions.

En Amérique latine, les contrôles militaristes se renforcent, les grosse entreprises engageant des milices privées pour protéger leurs terres et éviter qu’un soulèvement paysan soit possible.

L’espoir de sortir de ce tourbillon néolibéral

Certains désirent voir les institutions mettre en place des réformes en investissant dans l’éducation, l’innovation ou encore le financement des paysan.nes locaux afin de laisser le peuple s’exprimer et réintégrer les canaux de décisions.

Au Mexique, malgré le fait que le pouvoir en place réprime violemment les soulèvements paysans, le peuple se mobilise, en manifestant, en bloquant la production et en s’immisçant dans les débats publics.

La force populaire réside dans le fait que, malgré l’abandon des institutions, les paysans conscientisent leur rôle majeur dans la chaîne de production. Ils sont les premiers acteurs et ont le droit de parole. Il en va de même pour les femmes, notamment en Haïti, qui s’organisent dans des cellules paysannes féminines pour cultiver cette force mobilisatrice.

Ainsi, l’exploitation des terres agricoles par les entreprises est avant tout une expropriation des droits humains et de la souveraineté populaire : les paysan.nes ne sont souverain.es ni de leur alimentation, ni de leurs terres, encore moins de leurs institutions politiques et de leur économie.

In fine, ces enjeux nous imposent aussi de remettre en cause notre rapport avec la nature. Elvin Hernandez parle d’un retour obligatoire à l’amour pour la terre, c’est-à-dire à la production locale basée sur les connaissances ancestrales respectueuses de la terre mère où la nature est perçue comme vivante, avant d’être un outil de profit.

Écoutez la balado préparée par le Comité sur les droits humains en Amérique Latine: 

 


Signalement

  1. Luttes paysannes d’ici et d’ailleurs : la souveraineté alimentaire menacée par les transnationales, organisé dans le cadre des Journées québécoises en solidarité internationale (JQSI), le 23 novembre dernier et animé par Virginie Moncion, coordonnatrice de SLAM, qui a interrogé les intervenant.es suivants :

    • Elvin Hernandez de la fondation ERIC — Radio progreso (Honduras);
    • Neydi Juracan du Comité Campesino del Altiplano (CCDA) (Guatemala);
    • Cirio Ruiz González du Consejo Regional del Café de Coatepec (Mexique);
    • Marie-Fausta Jean-Maurice, ancienne coordonnatrice de programmes de l’Institut de Technologie et d’Animation (ITECA) et de Caritas Haïti (Haïti);
    • Thibault Rehn de Vigilance OGM (Québec). []