Image originale (modifiée) : Climate Justice Alliance

Jérémy Bouchez

La 28e édition de la conférence des parties sur les changements climatiques se tient à Dubaï, aux Émirats arabes unis (ÉAU) du 30 novembre au 12 décembre. Alors que ces sommets tentent depuis près de 30 ans d’engager la communauté internationale vers la fin des énergies fossiles, force est de constater qu’au regard du manque de résultats, il est de plus en plus logique de questionner leur efficacité voire même leur pertinence. Pire, la plupart des COP sont rapidement devenues des simulacres de prises de décision ambitieuses, tout en étant des relais pour l’idéologie de la croissance verte et des solutions technocentrées, pourtant de plus en plus désavouées dans des publications scientifiques et des rapports d’ONG, comme le Bureau européen de l’environnement. Il est temps de sortir d’une forme de climatocentrisme pour élargir la prise de conscience au caractère foncièrement destructeur du modèle économique dominant.


Que sont les COP?

La Conférence des parties, aussi appelée Conférence des États signataires, est l’organe décisionnel des conventions cadres des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). C’est lors de cette conférence que les États tentent de fixer les objectifs climatiques mondiaux en rassemblant des représentants des pays membres. Chaque COP a pour objectif d’évaluer les progrès réalisés dans la lutte contre le changement climatique, de négocier des accords1 et de prendre des décisions sur les actions futures. La COP sur les changements climatiques en est à sa 28e édition. Le premier évènement s’est déroulé au printemps 1995, à Berlin. La COP est organisée chaque année dans un pays différent en fonction des cinq grandes régions des Nations Unies, à savoir : l’Afrique, l’Asie-Pacifique, l’Europe de l’Est, l’Amérique latine et les Caraïbes, l’Europe de l’Ouest et autres. Le choix du pays hôte est effectué par appel d’offres de la région concernée, donc des pays de la région qui proposent d’organiser l’événement, la décision finale concernant le pays accueillant revenant à la CCNUCC.

En règle générale, le pays qui organise une COP cherche à montrer par la même occasion qu’il vise à faire sa part dans la lutte aux dérèglements climatiques. Malheureusement, l’organisation d’une COP peut servir de porte-voix à un pays qui veut peser dans les négociations et imposer ses propres visions et son agenda politique, c’est exactement ce qu’il se passe avec les Émirats arabes unis, un pays pourtant réputé pour faire obstruction à certaines décisions ambitieuses lors des négociations dans les COP, tout comme l’Arabie saoudite, un autre grand producteur de pétrole et de gaz.

Les Émirats arabes unis, comme un dealer organisateur d’une cure de désintoxication

Le sultan Ahmed al-Jaber, président de la COP 28, est PDG de la compagnie pétrolière Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) qui gère un stock prouvé de 100 milliards de barils de pétrole, soit la 6e plus grosse réserve de pétrole au monde2. De plus, les ÉAU détiennent la 7e plus grosse réserve prouvée de gaz naturel sur la planète avec 7800 milliards de mètres cube3. Les habitants des Émirats arabes unis font partie des plus gros émetteurs de CO₂, puisque la moyenne d’émissions annuelles par habitant est de plus de 20 tonnes4, soit 1,5 fois la quantité moyenne par habitant au Canada, 4,5 fois celle de la France ou encore 35 fois celle des habitants des îles Kiribati5, des territoires qui sont inéluctablement amenés à disparaître à cause de la montée des océans.

En outre, est-il besoin de rappeler que Dubaï, la ville qui accueille la COP, est entièrement construite au bord d’un désert et, avec installations et activités très luxueuses, agit comme un aimant pour les plus riches de la planète, aux habitudes de vie totalement aux antipodes de la vertu environnementale et sociale.

Bref, confier la tenue d’une conférence internationale sur la question climatique aux Émirats arabes unis revient à conférer l’organisation d’une cure de désintoxication à un vendeur de drogues, c’est une véritable tartuferie. Est-il également besoin de mentionner les émissions de GES générés par les nombreux voyages en avion des personnes qui partent assister aux COP avec soit l’intention de peser dans les négociations…, soit avec l’objectif de faire du lobbying pour des solutions très souvent technocentrées? Certain.es répondront que leur trajet en avion est compensé carbone. Pourtant, comme l’a révélé une vaste et sérieuse étude publiée au début de l’année 2023 (enquête conjointe de Die Zeit, The Guardian et l’ONG d’investigation SourceMaterial)6, les mécanismes de compensation carbone sont en réalité une «gigantesque mystification»7 ou encore une «arnaque climatique» pour reprendre l’expression d’un article de Courrier International8.

Quant à l’utilisation de jets privés par des dirigeant.es de pays ou d’entreprises9, on peut très largement qualifier cela d’écocide en puissance, tant les quantités de GES émises par chaque personne montant à bord de ces luxueux salons volants sont une véritable insulte à la lutte aux dérèglements climatiques tout en étant le reflet des puissantes inégalités sociales qui se creusent sur la planète.

Sortir du climatocentrisme

La question climatique est évidemment extrêmement importante, mais n’est-t-il pas grand temps de prendre conscience qu’elle n’est qu’un aspect des conséquences du système capitaliste? En effet, la disparition accélérée du réseau de la vie est très largement sous-médiatisée, tout comme l’est le creusement des inégalités, l’accentuation de notre aliénation à la technologie et la domination des machines10, les pollutions généralisées et autres corollaires du système économique dominant.

La COP est donc le reflet d’un climatocentrisme qui, sous prétexte de chercher des solutions aux bouleversements climatiques, participe à détourner l’attention de la communauté internationale des autres enjeux globaux et surtout sur le caractère intrinsèquement destructeur du système capitaliste. La COP28 aux Émirats arabes unis n’est que le énième épisode d’une farce qui ne dit pas son nom, car on aurait tort de croire qu’après ce véritable affront à la raison, les prochains événements seront plus vertueux. En réalité, ces sommets continueront d’être une vitrine et une tribune pour les thuriféraires de la croissance verte, tout en servant en quelque sorte d’anxiolytique face à la destruction de la biosphère.

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. C’est notamment lors de la COP3 que le Protocole de Kyoto a été signé et plus récemment lors de la COP21 que l’Accord de Paris a été entériné. []
  2. https://www.trade.gov/country-commercial-guides/united-arab-emirates-oil-and-gas []
  3. Ibid. []
  4. https://www.statista.com/statistics/486080/co2-emissions-united-arab-emirates-fossil-fuel-and-industrial-purposes/ []
  5. https://ourworldindata.org/grapher/co-emissions-per-capita []
  6. https://www.theguardian.com/environment/2023/jan/18/revealed-forest-carbon-offsets-biggest-provider-worthless-verra-aoe []
  7. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/29/les-benefices-climatiques-de-la-compensation-carbone-sont-au-mieux-exageres-au-pire-imaginaires_6159711_3232.html []
  8. https://www.courrierinternational.com/une/une-du-jour-le-marche-des-compensations-carbone-est-un-scandale-climatique []
  9. https://theconversation.com/why-are-people-still-flying-to-climate-conferences-by-private-jet-218459 []
  10. https://polemos-decroissance.org/lemprise-de-la-machine-une-critique-decroissanciste-de-la-domination-technique/ []