Après les élections européennes : la gauche doit changer

 

Christophe Aguiton, auteur de « La gauche du XXIe siècle » (La Découverte, 2017)

Comment expliquer le déclin actuel de la gauche ?

La gauche doit faire face à la conjonction de deux difficultés. La première tien au fait que la gauche de gouvernement s’est alignée sur les thèses néolibérales depuis le milieu des années 1980 et le tournant de la rigueur. Les électeurs sont en droit de se demander pourquoi voter pour eux si c’est pour avoir un parti au pouvoir qui applique des politiques qui ne sont pas très différentes de celles des partis de centre-droit. Cette tendance lourde explique l’érosion électorale générale des socialistes et des sociaux-démocrates en Europe. A cela s’ajoute le fait que le corps doctrinal qui avait uni les gauches de transformation sociale au XXe siècle est en voie d’épuisement. Cette vision traditionnelle à gauche qui allie l’importance de l’Etat, les nationalisations, la planification de l’économie, une approche hiérarchique de l’arrivée au pouvoir avec le primat à la classe ouvrière et un parti structuré hiérarchiquement et qui dominait les syndicats… tout ça ne tient plus. Il y a un besoin tangible de refondation d’une pensée doctrinale. Celle-ci est en train d’émerger sur les questions écologiques, les biens communs, et sur tout ce qui permet à la société de s’exprimer sans passer par des structures étatiques.

Le mauvais calcul de PODEMOS

Podemos a repris le type d’organisation qui avaient été mis en place par un mouvement social très important – les Indignés – avec des modes de participation novateurs, basés sur le numérique, une nouvelle forme d’organisation tels les cercles ouverts sans carte, où l’on ne reçoit pas d’ordre du parti. Mais Podemos a aussi fondé leur stratégie sur l’hypothèse d’une victoire électorale rapide, une “guerre éclair”. Cela explique l’importance de la communication dans ces mouvement, Podemos ayant été infiniment plus efficace dans l’utilisation des réseaux sociaux que tous leurs concurrents. Ensuite les chefs du parti ont une certitude : puisqu’ils vont renverser la table, ils n’ont pas besoin d’alliances. Ce qui voulait dire par la dénonciation de « la caste », PSOE et PP mélangés. Ils pensaient qu’ils allaient gagner tous seuls et qu’une fois la victoire acquise, viendrait le temps des alliances. Cela ne s’est pas passé ainsi. Enfin, quand on est dans une bataille électorale de type Blitzkrieg, la démocratie n’est pas essentielle.

Le processus de centralisation a échoué

Dans ce schéma, ce qui est important, c’est l’efficacité. Les organisations doivent s’adapter à cette nécessité. Ce qui veut dire un parti centralisé où tout se décide à Madrid alors que l’Espagne est un pays très régionaliste. Or la communication s’épuise à la longue et quand on ne gagne pas tout seul la question des alliances finit par s’imposer. Et il faut d’abord en discuter avec les militants et les adhérents ce qui nécessite une pratique et des structures démocratiques. Ces discussions n’ont jamais existé dans les deux formations. C’est ce qui explique la fracture dans Podemos entre Pablo Iglesias et Inigo Errejon. La question des alliances revient comme un boomerang quand les résultats sont faibles.

Repenser même le terme de « gauche »

Il faut dire que se réclamer de gauche aujourd’hui est compliqué. S’en démarquer est donc un positionnement tactique. Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui explique vraiment la montée des écologistes – qui s’est déjà produite il y a dix ans, à la même élection – c’est la rupture, avec les pratiques des gouvernements précédents et actuels, sur les questions écologiques, avec une ligne assez radicale. Derrière ce succès, il y a surtout la poussée d’un mouvement social européen avec les différentes marches et les grèves scolaires pour le climat. Cela rappelle un peu le mouvement altermondialiste. On assiste à une prise de conscience globale, notamment dans la jeunesse, du caractère dramatique de la question climatique et de l’effondrement de la biodiversité. C’est cela qui est déterminant parce ce que ces mobilisations se déroulent dans le monde entier. Et cela chamboule complètement l’échiquier politique mais surtout la perception de nos sociétés vis à vis de ces sujets-là.

Les choses peuvent changer

Les partis socialistes qui s’en sortent le mieux aujourd’hui en Europe sont ceux qui ont fait un tournant à gauche, comme au Portugal. C’est ce qui gagne à gauche et cela change la donne. Est-ce suffisant pour réconcilier toutes les gauches ? Probablement pas, car on est encore loin du compte, notamment  sur les questions écologiques ou la critique de la mondialisation. Les socialistes et sociaux-démocrates ont encore du chemin à faire Mais il y a également un travail de remise en cause et de refondation doctrinale indispensable pour toute la gauche. Ce qui implique de se parler et de retravailler ensemble. Si on repart dans cet état d’émiettement, le désastre est garanti. Le fait que toutes les forces le mettent sur la table montre qu’il y a à la fois un problème et une nécessité ! La question clé sera l’orientation de ce rassemblement, notamment autour de l’écologie qui ne peut être que radicale. C’est la question centrale qui doit être discutée en priorité. C’est ce qui évitera d’avoir une nouvelle alliance de circonstance.

 

 

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