25 septembre 2021
Le 27 octobre 2019, porté en partie par la vague féministe de « ni una menos » et par le profond rejet du gouvernement néolibéral de droite de Mauricio Macri, Alberto Fernández (Péroniste de centre gauche) triomphait aux élections, dès le premier tour, avec plus de 48 % des voix. Deux ans plus tard, lors des élections primaires du 12 septembre 2021, le gouvernement Fernández a essuyé un grave revers électoral suivi d’une crise avec la vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner (péroniste de « gauche »). Si la droite sort victorieuse par défaut du scrutin, la gauche révolutionnaire réalise une percée notable. Sylvain Chardon nous livre ici son analyse.
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Que sont les primaires en Argentine ?
Les « primaires ouvertes simultanées et obligatoires » (PASO, Primarias Abiertas Simultáneas Obligatorias) sont, depuis 2009, un système officiel de vote organisé par les pouvoirs publics où la participation est obligatoire comme pour les élections officielles, même si le taux de participation y est en général légèrement inférieur. Elles ont donc fait office de répétition générale avant les législatives partielles de novembre qui verront 127 des 257 député.e.s et 24 des 72 sénateurs.trices nationaux argentin.e.s renouvelé.e.s. Tous les partis ou coalitions qui veulent y participer se doivent de participer à ces primaires qui écartent de la compétition toutes les listes ne recueillant pas plus de 1,5% des voix. Elles servent également à départager différentes orientations et concurrents au sein même des partis ou fronts qui y concourent.
Une situation économique et sanitaire catastrophique
A l’instauration du gouvernement Fernández, une confiance relative régnait dans les secteurs populaires après le désastre des années Macri, mais c’était sans compter avec les conséquences de la crise sanitaire (coronavirus) qui allait balayer les quelques mesures sociales prises par le péronisme et approfondir la débâcle économique. Tous les indicateurs virèrent alors au rouge avec une pauvreté qui touche désormais la moitié de la population, une inflation galopante dont l’objectif annuel fixé à 29 % a déjà été dépassé au mois de juillet de cette année ; 20 000 entreprises ont fait faillite et 100 000 emplois détruits en 2020. Sur le front sanitaire, avec plus de 113 000 décès liés au Covid-19 pour 45 millions d’habitant.e.s, l’Argentine se situe parmi les dix pays au monde les plus durement frappés. Ainsi, les attentes de millions de personnes ont été rapidement déçues. En validant la dette colossale envers le FMI, qui pillent les ressources budgétaires du pays et empêchent les investissements publics, en n’expropriant pas les fraudeurs/spéculateurs, en ne soutenant pas les luttes des salarié.e.s contre les licenciements, en laissant opérer les firmes extractives prédatrices des ressources naturelles du pays et en vaccinant de manière tardive et insuffisante, la confiance s’est transformée en défiance. Enfin, les scandales politiques liés aux privilèges des membres du gouvernement comme l’ont révélé les images des fêtes et repas fastueux servis, en pleine crise pandémique, dans la demeure présidentielle du quartier d’Olivos (à Buenos-Aires) ont transformé la défiance en colère populaire.
Vote sanction contre le gouvernement, victoire par défaut de la droite et apparition de l’extrême droite
L’opposition de droite « Juntos por el cambio » (Ensemble pour le changement), alliance de la famille politique de l’ex-président Macri et de l’UCR (Union civique radicale), le vieux parti bourgeois argentin, l’a largement emporté sur le « Frente de Todos » du président péroniste, avec plus de deux millions de voix d’avance. La droite l’a emporté dans 17 provinces sur 23 dont les principaux centres politiques du pays. Au cœur de la capitale, Buenos Aires, c’est un « bolsonariste antisystème », Javier Milei, économiste ultralibéral « libertarien », contre l’avortement et en faveur du port d’armes qui a réalisé une percée inquiétante en regroupant tout un secteur fasciste.
JUNTOS POR EL CAMBIO |
40,02% |
Droite libérale |
8.852.000 votes |
FRENTE DE TODOS |
31,03% |
Péronistes de Centre-gauche |
6.864.000 votes |
IZQUIERDA |
5,85% |
FIT-U et autres |
1.295.000 votes |
TERCERA VIA |
4,46% |
Péronistes anti Kirchner |
986.000 votes |
AUTRES |
14,87% |
Localistes et bulletins blancs |
3.290.000 |
Total[1] |
22.287.000 Votes |
Un des éléments déterminants a été le tremblement de terre électoral vécu dans la province de Buenos Aires, où vit un tiers des Argentin.e.s, et où le gouvernement a été battu dans toutes les municipalités. Cette déroute du centre-gauche péroniste doit cependant être relativisée car la droite ne gagne pratiquement pas de votes. La colère s’est surtout exprimée par une légère croissance de l’abstention, alors que le vote est obligatoire (avec amende à la clef en cas de non-participation), par un report de voix sur l’extrême gauche et, surtout, par l’augmentation du vote blanc de presque 10%. C’est donc l’électorat du gouvernement qui a fait défaut et qui explique la crise immédiate ouverte entre le président et sa vice-présidente, Cristina Kirchner, qui a fait démissionner plusieurs de ses proches au sein de l’exécutif afin d’influer sur un éventuel remaniement avant les élections officielles de novembre.
En effet, si la dynamique des primaires venait à se répéter à l’identique en novembre, le parti présidentiel céderait du terrain à la Chambre des députés et perdrait sa majorité au Sénat dans un contexte où les luttes d’en bas ne faiblissent pas et la gauche révolutionnaire a réalisé une vraie percée électorale.
La gauche trotskyste du FIT-U devient la 3ème force électorale du pays
La gauche révolutionnaire, toutes tendances confondues, réalise ainsi un score tout à fait important, avec un total de 1.240.000 votes (1.295.000 selon « La Nacion »), soit plus de 6% des votes exprimés. C’est un gain très important rapport à 2019 où le vote utile anti-Macri avait pesé en faveur du centre-gauche mais aussi par rapport à l’excellent résultat de 2017 où l’extrême-gauche n’était que la cinquième force électorale du pays. Les listes du FIT-U (Front de la gauche et des Travailleurs – Unité) représentent à elles seules plus d’un million de votes dans tout le pays. Ainsi, un secteur du mouvement ouvrier et populaire a opté pour une proposition ouvertement anticapitaliste et révolutionnaire.
Avec un vote moyen supérieur à 5 % dans tout le pays, le FIT-U dépasse les 20% dans la province andine de Jujuy, les 9% dans celles de Chubut, les 7% dans celle de Neuquen, Santa Cruz et San Juan. Les 6% de Buenos Aires capitale (CABA) et les 5,2% de la Provincia de Buenos-Aires (la plus peuplée) constituent également une belle performance. Ces excellents résultats ouvrent la possibilité de constituer un groupe parlementaire important si l’unité se maintient, s’amplifie et si les électeurs(trice)s choisissent de confirmer leur vote lors des élections officielles de novembre.
Répartition des votes de gauche au niveau du pays |
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Liste 1 A (PTS-PO-IS) |
61,70% |
Alliance de 3 partis au sein du FITU |
765.000 votes |
Liste 10R (MST) |
22,63% |
Morénistes du FITU |
281.000 votes |
Total FIT-U |
1.046.000 votes |
Nuevo MAS |
10,60% |
ex-morénistes |
131.000 votes |
Politica Obrera |
5,07% |
Scission du PO |
63.000 votes |
Total[i] |
1.240.000 Votes |