Le monde est en mutation et les villes sont au cœur de cette transformation. L’émergence d’un mouvement municipaliste international, en plein essor, met en lumière la capacité des autorités locales à transcender les frontières et à collaborer pour relever les défis mondiaux. Cet article met en avant des initiatives internationales novatrices qui positionnent la ville comme acteur à part entière sur la scène internationale et illustrent le rôle clé de ce mouvement comme une alternative au modèle actuel de solidarité internationale.


Le municipalisme au-delà de l’échelle locale : fondements théoriques

Bien que le municipalisme ne soit en aucun cas un bloc uniforme, on peut le définir comme un mouvement visant à transformer démocratiquement la vie économique, sociale et politique « par le bas », en articulant des initiatives locales autonomes et en conquérant le pouvoir politique à l’échelle municipale. 1 Des idées telles que la démocratie directe, la décentralisation et la transition écologique sont au cœur de ce mouvement.

Cependant, le municipalisme doit être pensé au-delà de l’échelle locale. En effet, bien que la municipalité doit être le foyer d’où émerge la transformation sociale, il est essentiel d’éviter le « piège local  2»  en cherchant à coordonner ces initiatives à l’échelle internationale. 3 Par conséquent, il est nécessaire d’adopter une approche globale et interconnectée, notamment via la mise en place de réseaux entre les différentes municipalités à travers le monde. Par ailleurs, cette idée que le municipalisme se doit d’être résolument internationaliste pour exister est partagée tant par Durand-Folco 4 que par les membres du parti politique municipaliste Barcelona En Comú. 5

En fait, cette vision découle du concept de « municipalisme confédéral » développé par Murray Bookchin, qui voyait la municipalité comme une institution permettant au peuple de véritablement exercer son pouvoir. Selon Bookchin, une telle confédération de municipalités aurait pour effet de « dépasser l’impasse du souverainisme municipal » et de former un contrepoids vis-à-vis de l’État. 6

Municipalisme et solidarité internationale : une alternative en devenir

Dans ce contexte, le municipalisme international contribue au développement d’une nouvelle forme de solidarité internationale, fondée sur la mutualisation des ressources et la coopération entre les acteurs locaux. En effet, le municipalisme international se distingue de la vision classique de la solidarité internationale en mettant l’accent sur la coopération et les interactions entre les villes et les réseaux d’acteurs locaux plutôt que sur les États-nations. Il s’agit là d’une forme décentralisée de solidarité internationale 7 où l’appropriation de l’espace politique par les réseaux d’acteurs locaux s’inscrit dans la volonté de s’affranchir des contraintes et des hiérarchies imposées par les États et les grandes organisations internationales traditionnelles.

En ce sens, cette redéfinition des échelles d’intervention entre les niveaux local et global 8, qui est au cœur du municipalisme, s’intègre parfaitement au cadre plus large des mouvements altermondialistes et de remise en question du néolibéralisme. Cette perspective explique les affinités, voire les liens directs, entre les mouvements urbains locaux et ces mouvements globaux d’alternatives au modèle économique dominant. 9 Selon Gustave Massiah, l’aspect international du municipalisme contemporain s’est construit au sein du mouvement altermondialiste, notamment par l’accompagnement, depuis 2001, des Forums des Autorités Locales et des Forums des Autorités Locales des Périphéries aux Forums sociaux mondiaux. 10

Dans un monde marqué par l’urbanisation croissante et la crise climatique, peut-on envisager que les villes ne soient plus seulement des entités subordonnées à l’État ? Bien qu’il soit fort possible que les États et leurs soi-disant représentant.es conservent leur rôle dominant à l’international dans un avenir prévisible, il est également indéniable que les villes gagnent en importance en tant qu’acteurs clés à l’échelle mondiale. Ce phénomène se traduit notamment par la création de réseaux et d’initiatives internationales, souvent indépendamment de la volonté des gouvernements nationaux.

Un mouvement international en plein essor : initiatives concrètes

Depuis le tournant du siècle, plusieurs réseaux et organisations transnationales de villes voient le jour pour coopérer sur des questions d’intérêt commun. Premièrement, United Cities and Local Governments (UCLG) est la principale organisation internationale représentant les gouvernements locaux et régionaux. Fondée en 2004, UCLG vise à renforcer la voix des gouvernements locaux sur la scène internationale et à promouvoir des valeurs de démocratie locale, d’autonomie et de coopération entre les villes. L’organisation compte plus de 1 000 membres, dont des villes, des associations nationales de gouvernements locaux et des organismes internationaux. Ainsi, UCLG se manifeste de plus en plus comme un réseau capable de contribuer au système multilatéral via l’action collective, en opérant en parallèle aux États 11.

Dans le même ordre d’idée, le mouvement Fearless Cities incarne également cette volonté de mettre l’international au centre des débats locaux et vice-versa, via la création d’un réseau municipaliste international 12. Or, à la différence de UCLG, il ne s’agit pas d’un réseau institutionnel de villes, mais plutôt d’une manière de fonctionner au sein d’un espace politique 13. Barcelone – gouvernée depuis 2015 par le parti municipaliste Barcelona En Comú joue un rôle clé au sein de ce mouvement. La ville a notamment été l’hôte du tout premier sommet des Villes sans peur en 2017. Essentiellement, les Fearless Cities sont nées de cette nécessité de passer à l’échelle supérieure tout conservant la dimension locale au cœur de la transformation sociale 14. Ces initiatives de collaboration internationales servent d’outils pour contester haut et fort « le déficit démocratique imposé par les États et les marchés 15 » depuis l’avènement du néolibéralisme. En outre, les Fearless Cities démontrent que la municipalité peut être considérée comme un point de départ pour mener une politique profondément transformatrice, remettant ainsi en question la manière d’aborder et de mettre en pratique la démocratie et la politique 16.

Sommet municipaliste international des Fearless Cities-Crédit photo @ Ahora Madrid sous licence CC BY-SA 2.0

Finalement, en plus de ces initiatives politiques, on assiste tranquillement à l’émergence de la municipalité en tant qu’acteur en droit international. Cela est significatif compte tenu de l’évolution plus lente et prudente de cette discipline. D’abord, cela se manifeste par l’incorporation au niveau local du « droit à la ville 17 » en tant qu’initiative citoyenne globale. 18 À cet égard, soulignons l’adoption en 2006 par la ville de Montréal de la Charte montréalaise des droits et responsabilités 19, initiée par des mouvements citoyens qui revendiquaient de longue date ce fameux droit à la ville. Or, on dépasse désormais le cadre local avec l’adoption de la Déclaration de Quito dans la foulée d’Habitat III, la Conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable. 20 Cette initiative mène à l’adoption de lignes directrices pour la réalisation de droits humains, notamment le droit au logement. Fait important : des recommandations sont émises directement aux paliers locaux, sans passer par l’État. De plus, le texte incorpore formellement la notion de « droit à la ville 21 ». Cela témoigne de la volonté grandissante des municipalités, qui se réclament de la mouvance des « villes des droits humains », d’agir, souvent de manière plus conséquente que les États, pour assurer la mise en œuvre efficace des droits de la personne.

En conclusion, le municipalisme international se positionne comme un mouvement novateur et prometteur, en plein essor, qui place les villes et les réseaux locaux au cœur de la transformation sociale, économique et politique. Les initiatives internationales telles que UCLG et Fearless Cities démontrent la capacité des municipalités à transcender les frontières et à collaborer pour relever les défis mondiaux. Ainsi, le municipalisme international, en tant que prolongement de la solidarité internationale et alternative au modèle international actuel, offre une perspective novatrice pour aborder les défis mondiaux et construire un avenir plus juste, équitable et durable. De plus, l’émergence des municipalités comme acteurs du droit international met en lumière le rôle grandissant des villes dans la défense et l’application des droits humains. Les villes parviendront-elles à consolider leur rôle sur la scène internationale, et quelles formes prendront leurs actions? Comment les gouvernements nationaux et les organisations internationales traditionnelles s’adapteront-ils à cette transformation? La coopération entre les villes et les réseaux de municipalités pourrait-elle devenir le modèle privilégié pour aborder des problématiques mondiales telles que l’urgence climatique, les migrations et les inégalités économiques? Autant de questions qui méritent une réflexion approfondie et un suivi attentif des évolutions du municipalisme international dans les années à venir.


Parmi les ateliers à La Grande Transition : Transformer la société par les communs: expériences internationales et perspectives stratégiques

  • Samedi le 20 mai à 14 h – Université Concordia
  • Panel multidisciplinaire sur l’essor des communs comme alternative au système capitaliste: expériences collectives ayant cours au Québec, en Amérique latine (México, Valparaíso) et en Europe (Barcelone). Avec Jonathan Durand Folco, Monica Garriga, Marie-Soleil L’Allier, Marc D. Lachapelle et Jonathan Veillette.

 

 

  1. Jonathan Durand Folco, « Un mouvement transnational en émergence: Municipalisme », À bâbord!, no 89 (2021): 48. []
  2. Mark Purcell, « Urban democracy and the local trap », Urban studies 43, no 11 (2006): 1921‑41. []
  3. Jonathan Durand Folco, « Changer le monde par le bas: La municipalité comme foyer stratégique de la transformation sociale », Nouveaux Cahiers du socialisme, no 25 (2021): 152. []
  4. Durand Folco, « Un mouvement transnational en émergence: Municipalisme », 48. []
  5. Kate Shea-Baird et al., El municipalismo será internacionalista o no será (Público, 2016).[]
  6. Paula Cossart et Pierre Sauvêtre, « Du municipalisme au communalisme », Mouvements 101, no 1 (2020): 143 []
  7. Michel Raffoul, « La coopération décentralisée, nouveau champ de la solidarité internationale », Le monde diplomatique, 2000, 22. []
  8. Gustave Massiah, « Huit réflexions pour ouvrir le débat sur un nouveau municipalisme ou communalisme », Europe Solidaire Sans Frontières, 2019. []
  9. Anne Latendresse, « L’émergence des sommets citoyens de Montréal: vers la construction d’un programme autour du droit à la ville? », Nouvelles pratiques sociales 21, no 1 (2008): 25‑26. []
  10. Gustave Massiah, « Huit réflexions pour ouvrir le débat sur un nouveau municipalisme ou communalisme ». []
  11. Ricardo Martinez, « City Governments as Political Actors of Global Governance The (Winding) Road of UCLG Toward Multilateral Recognition », Global Governance: A Review of Multilateralism and International Organizations 29, no 1 (2023): 37, https://doi.org/10.1163/19426720-02901002. []
  12. Shea-Baird et al., El municipalismo será internacionalista o no será. []
  13. Shea-Baird et al. []
  14. Mouvements.info, « Fearless Cities. Relever les défis d’un réseau municipaliste international », Mouvements, consulté le 18 avril 2023, https://mouvements.info/fearless-cities/. []
  15. Shea-Baird et al., El municipalismo será internacionalista o no será.[]
  16. Laura Roth et Bertie Russell, « Translocal solidarity and the new municipalism », Roar, Autumn 8 (2018): 83. []
  17. Ce droit de s’approprier la ville et d’y participer activement provient des travaux du philosophe et sociologue français Henri Lefebvre, contenu dans son ouvrage « Le droit à la ville », publié en 1968. Dans cet ouvrage, il formule la théorie selon laquelle les habitants des villes doivent avoir le droit de participer à la construction et à la transformation de la ville dans laquelle ils vivent. Selon lui, la ville ne doit pas être considérée uniquement comme un lieu de consommation, mais comme un lieu de vie et de création. []
  18. Lucie Lamarche, « Le droit à la ville «Made in Québec»: un exercice de gouvernance marqué par le pragmatisme? Le cas de Montréal », Revue Gouvernance 5, no 1 (2008): 14.[]
  19. Ville de Montréal, « Charte montréalaise des droits et responsabilités », 2006. []
  20. United Nations, New Urban Agenda: Quito Declaration on Sustainable Cities and Human Settlements for All (Quito, Ecuador United Nations, 2016). []
  21. Michel Lussault, « Henri Lefebvre à Quito », Tous urbains 16, no 4 (2016): 6, https://doi.org/10.3917/tu.016.0045. []