Bolivie : le MAS peine à reprendre l’initiative

Richard Fidler, Life on the Left, 27 février 2020

Le coup

On peut décrire ce qui s’est passé en Bolivie depuis octobre et novembre passé comme un coup d’État. Le processus a commencé avec des manifestations de rue violentes contre la courte victoire électorale du 20 octobre du président Evo Morales et de son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS ). Par la suite, il y a eu une mutinerie policière. L’armée a alors refusé de défendre le président. Celui-ci a démissionné et fut forcé à l’exil avec son vice-président Garcia Linera. Les successeurs désignés par la constitution ont également démissionné, conduisant à la auto-nomination à la présidence, dans une assemblée sans quorum, de Jeanine Añez, une sénatrice de droite. Ce coup d’État a mis fin à la quête d’Evo Morales, président de la Bolivie depuis 14 ans, réélu en octobre dernier, d’un quatrième mandat, nonobstant le fait qu’un référendum en 2016 ait refusé à Morales de briguer un nouveau mandat au contraire des limites prévues dans la Constitution. C’est ainsi que la Bolivie a retrouvé une tradition de longue date, ce pays ayant connu le plus de coups d’État de l’histoire d’Amérique latine.

Confrontations

Dans les semaines qui ont suivi, la présidente autoproclamée Añez est intervenue rapidement pour réprimer violemment les manifestations anti-coup d’État tout en amorçant le renversement des politiques progressistes de l’ancien gouvernement. Parallèlement, le nouveau gouvernement a lancé une chasse aux sorcières contre d’ex-ministres et hauts fonctionnaires, qu’on accuse de nombreux crimes allant de la corruption à la sédition et au terrorisme. Certes, le régime de transition a accepté de tenir de nouvelles élections le 3 mai qui doivent être en principe supervisées par un nouveau tribunal électoral choisi par l’assemblée législative sortante dominée par le MAS. Cependant, le coup d’État a radicalement modifié l’équilibre des forces. Rien ne garantit que le processus électoral jouisse d’une légitimité démocratique ou que les résultats, s’ils entrent en conflit avec l’agenda d’Añez et de ses alliés, seront respectés.

Vers l’élection

En vue de l’élection de mai, le MAS présente Luis « Lucho » Arce à la présidence et David Choquehuanca à la vice-présidence. Arce a été ministre des finances pendant la plupart des mandats du gouvernement MAS et est considéré comme l’architecte de son bilan économique relativement réussi. Choquehuanca par ailleurs est un leader Aymará qui a servi pendant 11 ans comme ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Morales. Les sondages d’opinion donnent à Arce et Choquehuanca une avance substantielle sur les partis et alliances rivaux. Il est également probable que des sondages sous-estiment le soutien du MAS, car le parti est le plus fort dans les zones rurales généralement ignorées par les sondages. Le MAS espère gagner au premier tour de scrutin, comme il l’a fait en octobre dernier – lors d’un vote discrédité par l’OEA et faussement dénoncé comme «frauduleux» par ses opposants[1]. Il avait alors récolté plus de 40% des votes, soit plus de 10% points devant son plus proche rival. Il se peut qu’un second tour de scrutin soit nécessaire au mois de juin si la majorité du MAS n’est pas plus proche du 50%, et dans un tel cas, les partis de droite vont tenter de s’unir derrière un seul candidat anti-MAS[2].

Turbulences au sein du MAS

Le MAS est confronté aux divers partis et alliances de droite, notamment celui de l’ancien président Carlos Mesa, arrivé en deuxième position en 2019. La présidente « intérimaire » Añez, a également annoncé sa propre candidature. Evo Morales, empêché par la constitution de se présenter à nouveau à la présidence, est candidat au poste de sénateur à Cochabamba. Cependant, sa candidature a été jugé inéligible par le tribunal électoral pour des raisons techniques, tout comme l’ancien ministre des Affaires étrangères du MAS, Diego Pary, nommé sénateur dans la province de Potosí. Néanmoins, le MAS a nommé Evo Morales, maintenant exilé en Argentine, comme son « directeur de campagne ». Son influence,-pas toujours positive, à mon avis – s’est révélée décisive dans la désignation des candidats du parti. Lors d’une réunion de direction du parti à Buenos Aires, Morales a rejeté la proposition de faire de Choquehuanca le candidat à la présidence avec Andrónico Rodriguez, le jeune leader dynamique de la Fédération syndicale des cultivateurs de coca de Chapare. Cette proposition avait été pourtant appuyée massivement par les assemblées du MAS en Bolivie, alors que les militants cherchaient à revitaliser les racines autochtones et paysannes du parti. Morales par la suite a exclu la populaire sénatrice Eva Copa, du MAS, qui a exercé un leadership remarquable au sein de la législature indépendamment de Morales. Il a « épuré » la liste des candidats du parti à El Alto, tout en approuvant l’ancienne leader du Sénat Adriana Salvatierra, une de ses partisanes les plus fidèles.


[1] Sur les conclusion de  l’OEA, voir le rapport critique  du CEPR and CELAG, Análisis del informe final de la OEA sobre las elecciones en Bolivia.

[2] Constitución Política del Estado, art. 166(1).