International Crise Group, extraits d’un rapport publié en février 2020
Au Burkina Faso, la violence ne cesse de s’amplifier, sur fond de crise de la gouvernance des zones rurales. Des jihadistes majoritairement burkinabè venant du Mali voisin ont exploité les frustrations qui en découlent pour y prendre pied en 2016. Les groupes d’autodéfense villageois créés dès 2014 pour restaurer la sécurité ont aggravé les violences locales à base communautaire, notamment depuis 2019 au Centre-Nord et dans le Soum. Le récent appel de l’Etat à la mobilisation de volontaires contre les jihadistes pourrait amplifier ce phénomène. La réponse essentiellement militaire du gouvernement et le recours à des civils armés sur lesquels il n’exerce qu’un contrôle limité ont conduit à des abus favorisant les recrutements jihadistes et leur basculement dans une violence aveugle. Pour enrayer cet engrenage, le gouvernement devrait limiter le rôle des civils dans la lutte contre-insurrectionnelle, instaurer des garde-fous contre les abus des forces armées et développer une approche intégrée de la sécurité. A long terme, il est crucial de régler la question foncière qui sous-tend souvent les conflits en zone rurale.
Le monde rural burkinabè traverse une crise multiforme. Avec la chute de l’ancien président Compaoré en octobre 2014, la capacité déjà limitée de l’Etat à maintenir l’ordre dans les campagnes s’est encore affaiblie, et la défiance populaire envers les élites, locales comme urbaines, s’est accentuée. La montée du banditisme, les conflits fonciers et l’apparition de groupes d’autodéfense, en particulier des Koglweogo (« gardiens de la brousse » en langue mooré, la langue des Mossi), sont les symptômes d’un monde rural en panne de régulation.
Ce contexte a facilité l’implantation rapide de groupes jihadistes en zone rurale, faisant du Burkina Faso le pays sahélien le plus ciblé par leurs attaques en 2019. Ces groupes forment, autour d’un noyau resserré d’idéologues, un assemblage compo-site d’insurgés aux motivations locales diverses : agriculteurs ou éleveurs victimes d’injustices foncières ou de racket, bandits rompus au maniement des armes, orpailleurs en quête de protection, populations stigmatisées. Ils se propagent en exploitant notamment les conflits locaux liés aux crises du monde rural et impliquant souvent des groupes d’autodéfense.
Les réponses de l’Etat sont pour l’instant inadaptées et contribuent même à la spirale de la violence. Les autorités accusent l’ancienne classe dirigeante d’être à la manœuvre et tardent à reconnaitre la nature endogène et l’ampleur de la crise. Peu préparées à répondre à cette nouvelle menace, elles ont essentiellement eu recours à l’outil militaire, avec l’appui jusqu’à présent limité de troupes françaises. Les opérations antiterroristes ont souvent donné lieu à l’élimination des suspects plutôt qu’à leur arrestation et généré de multiples abus contre des civils. Loin d’enrayer la menace – en dépit de plusieurs attaques déjouées depuis décembre 2019 – elles poussent ceux qui se sentent injustement victimes de la violence de l’Etat, en particulier au sein des communautés peul, à rejoindre les jihadistes.
Pour pallier les lacunes des forces de sécurité, notamment l’insuffisante couverture du territoire, les autorités burkinabè ont encouragé la formation de groupes d’autodéfense à base communautaire et, plus récemment, ont annoncé le recrutement de volontaires de la défense. Mais ces mesures pourraient s’avérer contre-productives si l’armement des civils, toujours difficile à encadrer, aggrave les fractures locales et donne lieu à de nouvelles violences.
La tentative de concilier sécurité et développement à travers le Plan d’urgence Sahel (PUS) lancé par les autorités en 2017 pour accélérer le développement économique et social dans la région, est insuffisante, et ne permettra probablement pas de traiter les causes politiques des insurrections armées au Burkina Faso. Le pays et ses partenaires n’ont pas su, jusqu’à présent, proposer d’alternative.