Canada : Trudeau maintient la même politique contre les peuples du Moyen-Orient

Omar Burgan, extraits d’un texte paru dans Canadian Dimension, 20 juin 2021

 

Tout au long de la plate-forme libérale et autour de la campagne électorale de 2015, Justin Trudeau avait indiqué qu’il y aurait un changement majeur dans la politique étrangère du Canada, en particulier envers le Moyen-Orient. Alors qu’il était dans l’opposition, Trudeau avait demandé une enquête sur la complicité de l’armée canadienne dans la torture de détenus en Afghanistan. Pendant la campagne électorale, son conseiller en chef, Gerald Butts, avait déclaré que la vente d’armes par Harper à l’Arabie saoudite était sans principes et s’apparentait à un soutien à l’État islamique.

Une fois élu, le nouveau ministre libéral des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a déclaré qu’à l’avenir, le Canada adopterait une position plus « équilibrée » envers Israël et les Palestiniens, après dix ans à se ranger unilatéralement du côté du premier. Les libéraux ont également promis de rouvrir les relations diplomatiques avec l’Iran afin de désamorcer les tensions. Ils se sont également engagés à mettre fin à la mission de combat du Canada en Irak et à affecter davantage de troupes aux missions de maintien de la paix des Nations Unies dans le monde.

Malgré ces nobles promesses, ce que le gouvernement Trudeau a fait depuis qu’il est au pouvoir est en contradiction directe avec ses objectifs déclarés dans la région, et ne ressemble guère plus qu’à un contrepoint rhétorique aux années Harper.

Afghanistan

La complicité du Canada dans la torture de détenus afghans était un problème politique et de droits humains très visible, surtout en 2009 lorsque les libéraux ont tenté de renverser le gouvernement Harper pour avoir rejeté une enquête publique sur les nouvelles allégations d’abus. Trudeau lui-même s’est présenté au Parlement en 2010 et a réprimandé les conservateurs pour « avoir évité des questions difficiles sur ce que le gouvernement a autorisé à se produire autour de la torture des citoyens afghans ». Beaucoup espéraient que, s’il était élu, Trudeau ouvrirait une enquête sur les allégations de torture en collaboration avec des militaires canadiens, et à tout le moins mettrait en place des mesures pour y mettre un terme.

Une fois au pouvoir, Trudeau a rejeté les appels des partis d’opposition pour une enquête publique. Alors que le Canada entrait dans sa dix-huitième année de présence militaire en Afghanistan, un rapport de l’ONU publié en 2019 indiquait que 77 % des détenus avaient été soumis aux formes les plus brutales de torture ou de mauvais traitements.

Au moment d’écrire ces lignes, une enquête sur des allégations de crimes de guerre commis par les États-Unis et les talibans en Afghanistan a été ouverte par la Cour pénale internationale, qui pourrait également examiner les actions et la négligence du Canada vis-à-vis de la torture de détenus.

L’Iran

En 2015, les libéraux ont fait campagne pour promettre que les relations diplomatiques avec l’Iran rompues sous Harper, reprendraient. Après les élections fédérales, cependant, le gouvernement Trudeau a traîné les pieds sur la question malgré un accord de dénucléarisation négocié par l’administration Obama qui a entraîné la levée des sanctions contre l’Iran. Près de 16 000 Canadiens ont signé une pétition parlementaire demandant au gouvernement de tenir parole. Mais les libéraux ont rompu leur promesse de rétablir les relations en soutenant une motion des conservateurs pour mettre fin aux pourparlers diplomatiques avec l’Iran. Des entretiens menés avec des députés ont révélé que le vote avait été encouragé par le lobbying mené par le Centre pour les affaires israéliennes et juives (CIJA), une importante organisation pro-israélienne, et par l’ancien ministre libéral de la Justice Irwin Cotler, actuellement envoyé spécial du Canada sur l’antisémitisme.

Irak

Alors que les libéraux se sont engagés à mettre fin au « rôle de combat » du Canada en Irak, 500 membres des Forces canadiennes restent sur le terrain dans le cadre de l’opération Impact anti-EI et pour commander la mission de l’OTAN dans le pays. La mission militaire du Canada en Irak a commencé en 2014, mais l’année dernière encore, le parlement irakien a adopté à l’ unanimité une résolution exigeant que les troupes étrangères quittent leur pays, et 250 000 Irakiens ont défilé dans les rues pour réclamer la même chose.

Malgré cela, le Canada n’a pas prévu de partir et des signaux indiquent que le personnel militaire canadien suivra l’exemple des États-Unis sur l’opportunité d’y rester indéfiniment, contrairement aux désirs du peuple irakien.

Israël-Palestine

Ailleurs, des changements mineurs ont été apportés aux politiques de Harper (retour d’une partie des fonds à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient et modification d’un vote symbolique à l’ONU sur l’autodétermination palestinienne), cependant le Canada a a maintenu son soutien indéfectible à l’État d’Israël, quelle que soit l’ampleur de sa violence ou la poursuite de l’expropriation des terres palestiniennes.

En 2019, les libéraux ont modernisé un accord commercial qui encourage les colonies israéliennes illégales à prospérer, ont vendu du matériel militaire utilisé pour maintenir l’occupation et se sont opposés à une enquête de la Cour pénale internationale sur les violations des droits humains par Israël.

Trudeau a également poursuivi la guerre de Harper contre les réseaux de solidarité Canada-Palestine. Il a condamné à plusieurs reprises le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), a réprimandé les étudiants pour avoir protesté contre la présence de soldats israéliens sur les campus universitaires canadiens et a adopté unilatéralement la définition pernicieuse de l’antisémitisme de l’IHRA. (à laquelle s’opposent d’innombrables universitaires, groupes de défense des libertés civiles et gouvernements municipaux en raison de son effet paralysant sur la liberté d’expression et l’expression politique).

Il n’est pas étonnant que les actions de Trudeau envers les Palestiniens aient été décrites comme « la politique de l’ère Harper sur le pilote automatique ».

Maintien de la paix

Les Canadiens ont depuis longtemps la perception de leur pays comme une « nation de maintien de la paix ». Un monument à la participation canadienne aux missions de maintien de la paix de l’ONU a même été érigé à Ottawa en 1992, accompagné d’une citation de l’ancien premier ministre Lester B. Pearson.

En effet, la plate-forme électorale 2015 de Trudeau a réprimandé Harper pour ne pas s’être engagé dans le maintien de la paix et s’est engagé à s’engager à nouveau à soutenir les opérations de paix internationales avec l’ONU. Cependant, depuis son élection, Trudeau a totalement abandonné la promesse de se réengager et a affecté encore moins de troupes aux missions de maintien de la paix de l’ONU que le gouvernement Harper.

Au lieu de diriger le monde en fournissant des forces de maintien de la paix, le Canada s’est engagé en 2017 à augmenter ses propres dépenses militaires de 70 % et est devenu simultanément un chef de file mondial des exportations d’armes vers le Moyen-Orient.

Arabie saoudite et Yémen

La vente de milliards de dollars d’équipement militaire à l’Arabie saoudite a été condamnée à maintes reprises par les défenseurs canadiens des droits de la personne, des groupes de la société civile et des universitaires. Depuis que Trudeau avait fait campagne sur une «politique étrangère féministe» fondée sur le maintien de la paix et la compassion, armer la dictature saoudienne jusqu’aux dents alors qu’elle menait une guerre brutale et meurtrière contre le Yémen voisin semblait extrêmement contradictoire.

Les libéraux ont tenté de détourner la responsabilité de la vente des armes de diverses manières : en affirmant qu’ils « envisageaient » d’annuler l’accord, en reprochant au gouvernement précédent de « s’être lié les mains » (le gouvernement Trudeau avait en fait donné l’approbation finale après les élections de 2015) et même en affirmant que la vente n’était pas préoccupante car, selon les mots de l’ambassadeur de l’ONU Bob Rae, les véhicules militaires armés vendus au royaume n’étaient que des « jeeps ».

En fin de compte, alors que Trudeau vantait implicitement les avantages de ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite, le peuple yéménite a continué à subir les conséquences de la complicité du Canada. Désormais largement considérée comme la pire catastrophe humanitaire au monde, plus de 20 000 civils ont été tués et quatre millions de personnes déplacées. Un rapport de l’ONU a même cité le Canada comme l’une des parties responsables de la perpétuation de la guerre. Entretemps, l’administration Biden a annoncé qu’elle mettrait fin à « tout soutien américain aux opérations offensives dans la guerre au Yémen, y compris les ventes d’armes pertinentes ».

Trudeau n’a pas tenu sa promesse de « vrai changement » ou de s’éloigner des politiques militaristes de son prédécesseur. Au lieu de cela, il a intégré un phénomène plus insidieux, surnommé la « formule Trudeau » par le journaliste canadien Martin Lukacs. Il est défini par une rhétorique de grande vertu qui aide à dissuader les mouvements sociaux de lancer des défis plus agressifs aux actions gouvernementales, même lorsque ces actions représentent un maintien destructeur et injuste du statu quo.