Alain Saint-Victor, militant pour la cause haïtienne à Montréal et membre des NCS, 27 octobre 2020
Je crois qu’il ne faut pas tomber dans la confusion, et d’essayer de dire tout pour en fait de ne rien dire. Le mot « nègre » a une signification historique. À l’origine, il y a intention et volonté de déshumanisation. Et cela on ne peut le nier. Le mot comporte une signification péjorative, et, en ce sens précis, il reflète une catégorisation impliquant une sous-humanisation. Qu’après on le reprend ou récupère comme arme pour l’envoyer à la face du raciste, qu’on le transforme en un moyen de fierté, comme ce fut le cas de la Revue Nègre, ou encore du mouvement de la Négritude, cela n’enlève rien à ses caractéristiques déshumanisantes. Que l’on se rappelle du « mouvement des salopes », une expression conçue pourtant par des féministes luttant pour la dignité des femmes. Est-ce que cela fait pour autant du mot « salope » un mot acceptable ?
Nous Haïtiens, nous avons un rapport avec le mot « nègre » que n’est pas le même que celui des Afro-Américains ou Afro-Canadiens. Dans le cas des premiers, le mot est porteur de blessures profondes, d’humiliations et de vexations continues. Les Afro-Américains ont dû mener une lutte historique pour qu’ils soient désignés autrement, pour qu’ils puissent choisir eux-mêmes un nom reflétant leur dignité et leur humanité (comme c’est le cas pour les Italiens-Américains, les Anglo-Américains, etc.).
Le mot doit, par conséquent, nous intéresser. Non pas de façon qu’il soit pour nous uniquement insupportable à entendre, ou qu’il agisse sur nous de façon que nous perdions toute rationalité, mais pare qu’il contient une réalité objective historique qui dépasse notre personne. En le récupérant, comme l’ont fait Césaire et Damas, on le transforme en instrument contre l’oppression, mais aussi en le rejetant face l’oppresseur on signifie à ce dernier notre humanité comme l’ont fait aujourd’hui les Afro-Américains. Donc le mot a toute son importance.
Loin de moi, bien sûr, l’idée que les Blancs ne doivent pas l’utiliser. Penser ainsi relève de la pure démagogie et renvoie plutôt à une idéologie que l’on peut qualifier de « négrisme ». Duvalier et Mobutu y adhéraient volontiers.