Bolivie : recommencer tout en changeant

Decio Machado, extrait d’un texte paru dans Viento Sur, 26 octobre 2020

Déjouant les pronostic pessimiste, le MAS mené par la campagne des candidats Arce-Choquehuanca a réussi à consolider le vote populaire et rural. Cela impliquait un modèle de campagne clairement mobilisateur et populaire, étroitement lié aux organisations sociales et syndicales. Quelque chose qu’Evo Morales n’avait pas fait en 2019, encore moins les oligarchies conservatrices boliviennes qui expriment leur mépris pour tout ce qui leur semblait indigène et / ou plus commun.

Arce a remis en question dans ses discours de campagne certaines décisions prises dans le gouvernement d’Evo Morales. Il a promis un gouvernement de renouveau et de ne pas rester au pouvoir pendant plus d’une législature, ce qui implique une feuille de route nettement différente de celle de son prédécesseur. Lucho Arce, plus un technocrate qu’un leader caudilliste, a parlé de réconciliation nationale et a banni toute possibilité de revanchisme – même contre ceux qui ont conçu le coup d’État de l’an passé.

Son discours s’adressait aux acteurs durement touchés de l’économie informelle et aux classes moyennes inférieures qui risquent de retomber dans la pauvreté, en raison de l’impact économique de la pandémie. En contraste, le conflit entre les trois principaux candidats de la droite Carlos Mesa, Jeanine Añez et Luis Fernando Camacho) s’est envenimé sur les réseaux sociaux. Le retrait tardif de la candidature d’Añez ne s’est pas transféré en faveur de Mesa, mais fut plutôt rentabilisé par Camacho.

Défis immédiats

Le déclin économique de la Bolivie, ajouté à l’impact sanitaire et économique de la pandémie, le démantèlement des entreprises publiques, la paralysie des installations industrielles créées par le MAS, ainsi que la diminution des réserves internationales impliquent la nécessité de mesures immédiates en matière économique qui permettent de réarticuler la trajectoire de croissance stable dans laquelle se trouvait le pays durant la présidence d’Evo Morales. La Bolivie est obligée de fournir des ressources au Trésor public pour répondre aux multiples demandes non satisfaites de la société. Les coffres de l’État ont été vidés pendant l’administration du gouvernement transitoire et il reste à voir la capacité d’attirer des ressources externes par le nouveau gouvernement dans la prochaine étape.

Contrairement aux gouvernements d’Evo et d’Añez, tous deux alliés tactiquement au secteur agroalimentaire, la présidence de Luis Arce doit mettre fin aux écocides de 2019 et 2020 qui ont signifié l’incendie de millions d’hectares de forêt en Bolivie. Cela implique le contrôle des plantations commerciales destinées à l’exportation et le contrôle de la culture des transgéniques.  Arce propose la production massive de biocarburants comme pilier stratégique de son économie.

Le respect de l’autonomie des organisations sociales implique une dynamique sociale démocratique populaire qui n’existait pas lors de l’administration passée du MAS. En même temps,  l’indépendance et la séparation des pouvoirs de l’État doivent être respectées, sa violation étant l’un des piliers sur lesquels l’opposition a construit sa stratégie de déstabilisation politique.

Enfin, il est du devoir de la gauche de récupérer le discours de l’éthique et de la lutte contre la corruption. Les nouveaux gouvernements progressistes du sous-continent, la Bolivie ne faisant pas exception, doivent gérer de manière transparente et être prêts à ne pas succomber aux grandes groupes nationaux et internationaux.

Bref, le progressisme latino-américain a une seconde chance en Bolivie. Il est vrai cependant que ce qui a le plus aidé le MAS à reprendre le pouvoir, c’est la gestion désastreuse de l’État mise en œuvre pendant près de onze mois du gouvernement de transition. La société bolivienne est donc prête à donner au MAS une seconde chance.

Decio Machado est directeur de la Fondation des alternatives latino-américaines pour les droits de l’homme et les études anthropologiques (ALDHEA)