Lina Sankari publié dans l’Humanité
Le Pacte historique devance les libéraux et les conservateurs dans ce pays où l’une des droites les plus dures du sous-continent est au pouvoir depuis des décennies. Un élan inédit à moins de trois mois de l’élection présidentielle.
L’histoire dira si la Colombie est à ce point de bascule où la révolte sociale rencontre la gauche politique et débouche sur un changement majeur. Avant de gloser sur une quelconque hégémonie culturelle, les progressistes et pacifistes du pays pouvaient se réjouir, dimanche soir, de la dynamique inédite créée lors des législatives, dans un pays tenu pendant des décennies par l’une des droites les plus dures et réactionnaires du cône sud.
Selon des résultats portant sur 93 % des bulletins dépouillés, la coalition de gauche du Pacte historique, soutenue par le Parti communiste colombien et le Parti des communs ( ex-Farc ), obtient ainsi, avec 14,5 % des voix, 17 des 102 sièges du Sénat, loin devant les formations traditionnelles. À la chambre basse, avec 25 députés sur 165, elle décroche la deuxième position derrière le Parti libéral ( 32 ), mais est au coude-à-coude avec les conservateurs, avec le plus grand nombre de votes.
« Le Pacte historique a obtenu les meilleurs résultats du progressisme dans l’histoire de la république de Colombie », actait le sénateur et ex-guérillero Gustavo Petro, qui a emporté le même jour la primaire pour la présidentielle avec 80,5 % au sein du Pacte historique. « Nous sommes sur le point de remporter la présidence dès le premier tour », assure-t-il dans une prophétie qu’il voudrait autoréalisatrice. Signe des temps, près de 50 % des électeurs qui ont également pris part aux primaires se sont prononcés en faveur de la coalition de gauche.
Viser la majorité absolue
Le camp présidentiel est quant à lui à la peine avant la présidentielle du 29 mai. Le Centre démocratique ( extrême droite ) du président Ivan Duque, qui ne peut se représenter, disposait jusqu’alors de la majorité au Sénat. Dimanche, il atteignait péniblement la cinquième place et arrivait en quatrième position à la chambre basse. À la présidentielle, Gustavo Petro affrontera notamment le conservateur Federico Gutierrez, l’ex-maire de Medellin ( coalition Équipe pour Colombie ), et l’ancien gouverneur d’Antioquia Sergio Fajardo, au nom de la coalition Centre espérance ( centre gauche ).
À l’issue de ces résultats, Gustavo Petro appelait les forces progressistes à l’unité. « Aujourd’hui, il est possible pour un front démocratique large d’avoir la majorité absolue au Congrès », expliquait-il sur Twitter. L’enjeu est de taille dans un pays, laboratoire du néolibéralisme, où les accords de paix de 2016 entre les anciens guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie et le gouvernement ont été déchirés par Ivan Duque. Une remise en cause qui, combinée à l’injustice économique, a provoqué les plus grandes manifestations de l’histoire du pays, durement réprimées, en 2019 et 2020.
L’exécutif n’avait toutefois pas attendu pour ouvrir le front : une centaine de dirigeants sont abattus chaque année au cœur du septième pays le plus inégalitaire au monde. En 2021, après une semaine de mobilisation, Ivan Duque abandonne une réforme fiscale aggravant la pression sur les plus pauvres. Les manifestants restent toutefois dans les rues afin de protester contre la flexibilisation du marché du travail et la libéralisation accrue du système de santé. Reste à savoir s’ils rencontreront, en mai, le programme du Pacte historique et sa profonde réorientation économique et sociale.