Devant le vaccin, tous les pays ne sont pas égaux. Si certains États riches, comme le Canada, en ont acheté des quantités dépassant largement les besoins de leur population, d’autres ont plus de difficultés à mettre la main sur les précieuses fioles.
Sans surprise, ce sont les pays à revenu élevé qui ont acquis le plus grand nombre de doses. Plus de 90 % d’entre eux ont d’ailleurs déjà commencé leur campagne de vaccination. À l’autre extrême, à peine un peu plus de 10 % des pays à faible revenu ont entamé la leur.
Tous n’ont pas non plus accès aux mêmes vaccins. Si les pays occidentaux privilégient les laboratoires américains et européens, les pays émergents, pour leur part, s’approvisionnent en grand nombre auprès des Chinois et des Russes.
Cela n’a rien d’étonnant, soutient Diego Rosselli, professeur à l’école de médecine de la Pontificia Universidad Javeriana, à Bogota, dans la mesure où les pays riches ont accaparé les vaccins de Pfizer, Moderna et autres compagnies pharmaceutiques occidentales, avec lesquelles ils ont conclu des contrats dès les tout débuts de la course au vaccin, l’été dernier.
Dès la fin de l’été 2020, les États-Unis, les pays de l’Union européenne et le Canada ont acheté assez de doses pour couvrir plus que l’ensemble de leur population. À l’autre extrême, beaucoup de pays de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie n’ont pas encore acheté assez de doses pour tous leurs habitants.
Cet accaparement s’est ajouté au protectionnisme exacerbé des pays où sont implantés les fabricants de vaccins, ce qui pousse les pays émergents à négocier avec d’autres fournisseurs.
On en a beaucoup parlé dans les médias ici et c’est une des raisons pour lesquelles la Colombie a fini par faire affaire avec les Chinois, affirme M. Rosselli.
Si les Américains veulent garder leurs vaccins et les Européens les leurs, au moins nous avons l’option des vaccins russes et chinois. Diego Rosselli, professeur à l’école de médecine de la Pontificia Universidad Javeriana, à Bogota
N’ayant pas accès aux vaccins approuvés par l’OMS et pour ne pas devoir attendre les dons des pays riches, la plupart des pays latino-américains, ainsi que des dizaines de pays africains et asiatiques ont acheté de grandes quantités de vaccins produits par les laboratoires Sinovac, Cansino et Sinopharm (Chine), ainsi que Gamaleya (Russie). Une plus petite quantité a acheté des vaccins produits par Vector (Russie) et Bharat Biotech (Inde). Aucun de ces vaccins n’a encore été approuvé par l’OMS ni par des pays occidentaux. Ils se trouvent dans la troisième phase des essais cliniques.
C’est bien cela qui pose problème, note M. Rosselli. Puisque les études n’ont pas été rendues publiques, on se questionne sur leur efficacité et leur innocuité. Il y a un peu de méfiance, souligne le chercheur.
En ce qui concerne le vaccin russe, des résultats d’essais cliniques attestant de son efficacité ont été publiés dans la revue spécialiséeTheLancet en février, quelques mois après qu’on eut commencé à l’utiliser et à l’exporter.
Mais ce n’est pas le cas du vaccin de Sinovac, dont la Colombie a acheté 7,5 millions de doses, et qui est largement employé.
Les données dont on dispose actuellement n’ont pas la rigueur que l’on souhaiterait, déplore M. Rosselli.
Manque de transparence
C’est ce manque de transparence qui dérange également au Pérou, estime Sarah Carracedo, professeure de bioéthique à la Faculté de droit de la Pontificia Universidad Católica del Perú, à Lima.
Après des essais cliniques menés auprès de volontaires cet automne, le Pérou a acheté 38 millions de doses du vaccin de Sinopharm. Mais les essais cliniques ont eu des failles qui ont entaché sa crédibilité, d’après Mme Carracedo. En effet, on a appris en février que l’ex-président Martin Vizcarra, destitué en novembre, ainsi que 487 autres personnes avaient reçu le vaccin en octobre, avant même son homologation officielle. Ce scandale, surnommé Vacunagate, a provoqué une crise politique.
Le contournement des règles a suscité la méfiance des Péruviens qui réclament maintenant que les données sur les essais cliniques soient rendues publiques.
Ce n’est pas la même chose quand on approuve le vaccin de Pfizer, par exemple, qui a déjà été homologué par les autorités américaines et européennes. Si c’est juste le Pérou qui l’approuve, il faudrait que l’information soit publique. Sarah Carracedo, professeure de bioéthique à la Faculté de droit de la Pontificia Universidad Católica del Perú, à Lima
Une influence déguisée
Pour Thomas J. Bollyky, directeur du programme de santé mondiale et chercheur principal au Council on Foreign Relations (CFR), à Washington, en plus de la question de la sécurité et l’efficacité de ces vaccins, se pose celle de la façon dont se positionnent la Chine et la Russie en vendant leurs vaccins à des pays émergents.
C’est une forme d’influence pour le promoteur du vaccin et pour les pays qui ont financé son développement, soutient M. Bollyky. Certains nomment diplomatie vaccinale cette pratique par laquelle certains pays se servent de leurs vaccins pour augmenter leur pouvoir.
C’est un risque que là où vont les vaccins de la Russie et de la Chine aujourd’hui, leur influence suive demain. Thomas J. Bollyky, directeur du programme de santé mondiale au Council on Foreign Relations
Pour les Russes et les Chinois, le succès de ces vaccins est un badge d’honneur, pense Nathalie Ernoult, codirectrice de l’Observatoire de la santé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à Paris.
Ils montrent qu’ils sont capables de développer des produits qui marchent à l’international, remarque la chercheuse. C’est comme la course pour aller sur la Lune ou sur Mars : on montre sa capacité d’innovation, sa force, son intelligence. C’est un outil de diplomatie, mais aussi de rayonnement.
Si vous comparez la Russie à la France, qui parlait de Sanofi, de Pasteur et de son historique, au final, elle n’a pas de vaccin, et les Russes, oui. Il y a une forme d’humiliation ou, en tout cas, de compétition égotique qui est à l’œuvre. Nathalie Ernoult, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
Qui achète les vaccins russes et chinois?
Les acheteurs sont des pays asiatiques et africains, mais aussi beaucoup de Latino-Américains. Le Chili vaccine la majorité de sa population avec le Sinovac, alors que l’Argentine privilégie le Spoutnik V, qu’elle a commencé à inoculer un mois avant la fin de la publication des données sur son efficacité.
Pour ce qui est du vaccin russe, il a été acheté par des alliés de Moscou, comme le Vietnam, l’Égypte et le Venezuela.
Les ventes se font donc à des pays avec lesquels la Chine et la Russie ont déjà des liens forts et une coopération économique, croit Mme Ernoult. La Chine a fait beaucoup dans sa sous-région, alors que les Russes ont passé des accords avec certains pays d’Europe de l’Est, souligne-t-elle.
Les achats suivent souvent la tenue d’essais cliniques dans les pays concernés. Ainsi, Sinovac a mené des essais en Indonésie, au Brésil et au Chili, qui ont ensuite commandé des millions de doses de vaccins. C’est la même chose pour Sinopharm au Maroc, en Égypte et au Pérou, notamment.
Après la diplomatie du masque, celle du vaccin
Ce sont surtout les dons aux pays à faible revenu qui préoccupent des organismes comme le Council on Foreign Relations. La plupart de ces dons ne sont pas destinés aux pays où la crise est la plus grave, et [avec des dons moyens de 150 000 doses] ils n’atteignent pas des proportions qui feraient une différence significative, affirme Thomas J. Bollyky.
Plus de la moitié des dons sont allés à des pays de la région de l’Asie-Pacifique, qui n’enregistrent que 8 % des cas de coronavirus déclarés dans le monde, souligne le chercheur. En contrepartie, l’Amérique latine, l’Europe centrale et certaines parties d’Afrique n’ont rien reçu, alors que c’est là que se trouvent les besoins en ce moment.
C’est ce qui nous fait dire que ce qui motive ces dons n’est pas de sauver des vies ni de mettre fin à la pandémie au plus vite, mais plutôt des intérêts nationaux et stratégiques. Thomas J. Bollyky, directeur du programme de santé mondiale au Council on Foreign Relations
Les dons chinois, par exemple, sont allés à 49 pays, dont 48 participent à l’initiative des nouvelles routes de la soie, souligne M. Bollyky. Il faut dire que Pékin fait la promotion de la coopération médicale dans le cadre de cette initiative et a déjà envoyé de l’équipement protecteur à ces pays.
Mais une autre motivation semble celle de s’assurer de l’appui de certains pays pour les positions de la Chine au sujet de Hong Kong, de Taïwan, du Tibet et du Xinjiang, souligne le rapport du CFR. Quelques pays ont ainsi obtenu des dons de vaccins après s’être rangés du côté de la Chine concernant le Xinjiang ou le principe d’une seule Chine (en excluant Taïwan).
Dans le cas des dons indiens, les trois quarts sont allés à neuf pays en Asie de l’Est et du Sud. L’objectif premier semble celui de contrer l’influence chinoise dans la région, croit M. Bollyky.
Enfin, en ce qui concerne la Russie, les dons proviennent surtout d’oligarques et d’entreprises et non du gouvernement. Il s’agit surtout d’échantillons en vue de futures ventes.
Grâce au mécanisme COVAX, les pays les plus pauvres devraient recevoir des dons de vaccins contre la COVID-19, mais les livraisons se font attendre.
Multiplier la production
Plutôt que de s’inquiéter de l’arrivée de nouveaux joueurs sur ce marché jusqu’à maintenant détenu par quelques pays occidentaux, il faudrait voir le bon côté et se réjouir du fait qu’il y a plus de producteurs, pense Nathalie Ernoult. La géopolitique du vaccin, tout le monde en fait; alors pourquoi pas les Chinois et les Russes?, se demande-t-elle.
C’est juste normal que ces puissances prennent leur place en pharmaceutique comme elles la prennent ailleurs. Nathalie Ernoult, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
L’arrivée de nouveaux joueurs sur le marché va créer un réseau de fabricants avec diverses capacités qui permettront de mieux répondre à la prochaine crise, note Mme Ernoult.
La demande de plusieurs pays, dont l’Inde et l’Afrique du Sud, de lever les brevets pour que la propriété intellectuelle ne soit pas une barrière au développement des vaccins est, pense-t-elle, emblématique de la volonté d’un certain nombre de pays d’être partie prenante de la solution.
Il est primordial d’augmenter la production mondiale, croit également Thomas Bollyky, si on veut parvenir à mettre un terme à la pandémie. La distribution inéquitable actuelle n’est dans l’intérêt de personne, puisque cela prolonge la pandémie en créant des conditions qui peuvent conduire à l’émergence d’un plus grand nombre de variants. De plus, cette compétition crée un terrible précédent pour la coopération mondiale future.
Si, au milieu d’une pandémie mortelle, nous ne pouvons pas trouver un moyen de collaborer alors que c’est dans l’intérêt de toutes les nations, quel espoir avons-nous de travailler ensemble pour prévenir la prochaine pandémie ou pour lutter contre les changements climatiques? Thomas J. Bollyky, directeur du programme de santé mondiale au Council on Foreign Relations
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