Coronavirus : libérer les imaginaires

TANURO Daniel, Europe solidarités sans frontière, 12 mars 2020

Bon, soyons positifs. Depuis le Sommet de la Terre, les émissions de CO2 n’ont fait qu’augmenter, en dépit de toutes les COP, des protocoles, des accords, des « mécanismes de marché », etc. Aujourd’hui, « grâce » au Coronavirus, la preuve est faite qu’il est possible d’initier une vraie diminution radicale, de l’ordre de 7% en base annuelle. A une condition : produire moins et transporter moins.

Evidemment, Coronavirus ne fait preuve d’aucune discernement, d’aucun plan : il réduit les émissions à l’aveugle, ce qui entraîne une exacerbation des inégalités et de la précarité sociales, en particulier dans les pays les plus pauvres et au détriment des populations les plus pauvres. A terme, cela peut entraîner des pénuries de biens de première nécessité. Par conséquent, seul.e.s des réactionnaires et/ou des cyniques peuvent se réjouir de l’impact climatique de l’épidémie.

Reste que cette affaire permet dans une certaine mesure de libérer les imaginaires. Exemples :

  • Pourquoi la réduction à l’aveugle des productions et des transports ne pourrait-elle pas céder la place à une réduction consentie et planifiée, en commençant par les productions inutiles et nuisibles ?
  • Pourquoi les travailleurs.euses affecté.e.s par la suppression de ces productions inutiles ou nuisibles (les armes par exemple) ne pourraient-iels se voir garantir le maintien de leur revenu et une reconversion collective dans des emplois socialement et écologiquement utiles et valorisants ?
  • Pourquoi la mondialisation dictée par la maximisation du profit sur les « chaînes de valeur » des multinationales ne pourrait-elle pas céder la place à une coopération décoloniale basée sur la justice sociale et climatique ?
  • Pourquoi l’agrobusiness destructeur de la biodiversité et de la santé, qui favorise la propagation des virus, ne pourrait-il céder la place à une agroécologie prenant soin à la fois de la santé des humains et de celle des écosystèmes, tout en donnant un sens au travail ?

Il est évident que ces alternatives – et d’autres, allant dans la même direction – ne peuvent se concrétiser qu’à travers un changement politique radical. En effet, que ce soit face au Coronavirus ou face au changement climatique, la réponse des gouvernements est en gros la même : ils nient de facto les lois de la nature (la propagation du virus dans un cas, l’effet de l’accumulation de CO2 dans l’autre), courent derrière les faits pour ne pas gêner la course au profit, puis tirent de leurs propres incuries le prétexte à des mesures de régression sociale accompagnées de tours de vis autoritaires.

On voit très bien aujourd’hui, grâce à ce fichu Coronavirus, que le changement politique radical doit comporter deux volets :

 D’une part, un volet de mesures anticapitalistes. Elles sont indispensables pour rompre avec la dictature que la loi du profit exerce sur la société. Je n’entre pas ici dans les détails. Disons simplement ceci : face à l’épidémie de Coronavirus, le problème clé est clairement la subordination de la politique de santé aux intérêts capitalistes, ainsi que la totale liberté avec laquelle des capitalistes peuvent profiter de l’épidémie (en spéculant, ou en accaparant des stocks de matériels et de produits, par ex.). La socialisation de l’industrie pharmaceutique est un axe majeur d’une autre politique. De même, face au changement climatique, un axe majeur, incontournable, est la socialisation du secteur de l’énergie. Et, dans les deux cas, ces socialisations doivent s’accompagner de celle de la finance, qui tire les ficelles.

 D’autre part, un volet de mesures de démocratie radicale. On ne combat pas une épidémie sans participation de la population, et la majorité de la population ne participera pas à une politique néolibérale-autoritaire qui aggrave les inégalités. Et c’est la même chose, en beaucoup plus fort, face au changement climatique : les énormes changements de structures et de comportements qui sont nécessaires pour limiter la catastrophe ne sont pas réalisables sans participation de la population, et la majorité de la population ne participera pas à une politique néolibérale-autoritaire qui aggrave les inégalités. Par contre, elle peut participer – et même avec enthousiasme !- à des politiques restrictives qu’elle contrôle, dont elle a compris la nécessité impérieuse… si (et seulement si) ces politiques améliorent radicalement ses conditions d’existence et le sens de son existence collective.

Ce deuxième point est capital (sans jeu de mots !), surtout quand on le prend – comme il faut le prendre – dans sa dimension Nord-Sud – c’est-à-dire dans sa dimension décoloniale – et dans sa dimension de genre – c’est-à-dire du point de vue de l’émancipation des femmes et des LGBTQ. En effet, le discours écolo est le plus souvent construit autour de l’affirmation que les changements drastiques qui sont nécessaires requièrent un pouvoir fort. Il y a là une très dangereuse convergence objective potentielle avec la droite et l’extrême-droite (convergence qui se manifeste aussi dans la gauche « populiste »). Or, c’est le contraire qui est vrai. En vérité, il en est face au changement climatique exactement comme face à l’épidémie : les changements drastiques qui sont nécessaires ne sont envisageables QUE moyennant des avancées démocratiques radicales (donc aussi, évidemment, des avancées antiracistes, anti-sexistes, anti-homophobes, etc.). La démocratie la plus large est indispensable pour permettre l’assimilation du défi, l’appréhension de ses causes profondes, la discussion des mesures à prendre et leur exécution collective.

Vu ainsi, finalement, le Coronavirus pourrait avoir des retombées idéologiques positives, écosocialistes, écoféministes et décoloniales. Dommage qu’il faille les payer au prix fort de l’épidémie…