Décoloniser la coopération internationale

L'organisme Éduconnexion offre un atelier sur la décolonisation des pratiques en coopération internationale (image d'illustration)
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Charline Caro, correspondante

L’amphithéâtre de l’Université de Montréal était presque plein au moment où l’animateur est arrivé. Jean-Baptiste Ndiaye est responsable des formations à Éduconnexion, un organisme qui «outille les personnes pour qu’elles prennent part à un monde plus juste, écologique et solidaire». L’atelier d’aujourd’hui a pour thème «Décoloniser les pratiques en coopération internationale» qui est présenté. L’objectif, annonce alors l’animateur, c’est de «réfléchir», et de s’interroger sur les dynamiques coloniales qui traversent la coopération internationale.

L’organisme Éduconnexion propose diverses formations qui promeuvent une citoyenneté active et responsable, dans une perspective intersectionnelle et décoloniale. L’activité avait toute sa pertinence dans le cadre des États généraux de la solidarité internationale, à l’initiative de l’AQOCI, qui ont eu lieu du 4 au 6 juin derniers. La dernière initiative en ce sens remonte à 2006. Ce rendez-vous vise à favoriser l’émergence d’une action concertée de la société civile québécoise face aux défis internationaux.

Le contexte néocolonial

M. Ndiaye pose une première question à l’assemblée, constituée essentiellement de membres d’organismes en coopération internationale. «Quels sont vos pays partenaires?», soit les pays dans lesquels ils interviennent. Les réponses fusent : «Togo», «Soudan», «Vénézuela», «Guatemala». M. Ndiaye les interroge : «Pourquoi ne pas aider la Suisse ou l’Allemagne?» Certaines personnes répondent par la suite que ces pays n’ont pas besoin de leur aide.

L’animateur fait alors remarquer que «dès le début, on fait une présupposition : celle que ces pays ont besoin de nous».

M. Ndiaye demande ensuite quels sont les points communs entre les pays qui reçoivent l’aide internationale. «Ce sont des pays qui ont été colonisés», avancent plusieurs membres du public.

C’est l’occasion pour l’animateur de définir ce qu’est la colonisation : l’occupation d’un pays par la force pour en exploiter ses ressources. Il en découle le colonialisme, explique-t-il, une «idéologie qui défend la colonisation», et qui prône la supériorité de certains pays et peuples sur d’autres.

Si les pays qui reçoivent l’aide internationale ne sont aujourd’hui plus des colonies, M. Ndiaye rappelle que la décolonisation n’est pas synonyme d’indépendance totale. Les colonisateurs «se retirent sur le papier, mais ils cherchent à garder la main mise sur le pays». C’est ici qu’apparaît le néocolonialisme, explique l’animateur, qui contribue à maintenir les dynamiques coloniales au-delà de la décolonisation.

L’un des moyens utilisés pour garder le contrôle sur les anciennes colonies, c’est la coopération internationale, avance M. Ndiaye. Les pays occidentaux entretiennent l’idée que les pays du Sud global sont dépendants des capacités et de la main-d’œuvre occidentale, et que l’aide extérieure leur est indispensable pour se «développer».

M. Ndiaye rappelle à ce propos les dénominations utilisées pour les pays nouvellement indépendants. On parlait tout d’abord du «tiers monde», puis des «pays sous-développés, et aujourd’hui des «pays en voie de développement».

C’est dans ce contexte néocolonial que la coopération internationale est née, conclut M. Ndiaye. Il s’interroge ensuite : «Mais est-ce que nous ici, on est tous débarrassés de ce contexte colonial dans lequel la coopération est née?»

Des rapports d’inégalités

L’héritage colonial de la coopération internationale créé des rapports d’inégalités entre les membres d’ONG occidentales et les populations du Sud global. Au niveau individuel, cela peut se traduire par un sentiment de supériorité, des préjugés envers la population locale, et des comportements qui visent à exercer le contrôle. C’est le «complexe du sauveur blanc», explique M. Ndiaye : aider l’autre tout en reproduisant des “schémas paternalistes» et en «se mettant en valeur».

Ainsi, les dynamiques coloniales ne sont pas seulement des «erreurs du passé», rappelle l’animateur. Ce sont des «structures vivantes qui traversent encore nos institutions, nos privilèges et nos attitudes», selon ses mots. Il est donc nécessaire de «repenser nos pratiques pour une coopération internationale plus solidaire et égalitaire», adresse-t-il aux membres d’ONG présents sur place.

Repenser les pratiques

Décoloniser les pratiques en coopération internationale nécessite premièrement de «rompre avec la posture du sauveur blanc», soutient M. Ndiaye. Pour cela, il convient notamment de respecter les initiatives et les savoirs provenant des communautés locales, de suivre des formations appropriées avant le départ, ou de déconstruire l’idée que les populations sont dépendantes de l’aide extérieure en raison d’un manque de compétences.

C’est également sur le terrain que les pratiques doivent être décolonisées. M. Ndiaye suggère par exemple «d’observer sans ses lunettes québécoises», sans comparer la réalité locale à celle que l’on connaît. L’animateur encourage également à accompagner les partenaires locaux plutôt que de s’imposer, les projets n’étant pas plus importants que les personnes sur place.

Après sa présentation, M. Ndiaye invite le public à s’exprimer sur le sujet. Plusieurs membres d’ONG font part de leurs doutes et de leur dilemme. Tout en voulant accompagner du mieux possible les pays partenaires, ils ont conscience que leur action s’inscrit dans un système colonial, qui se sert aussi de la coopération internationale pour servir des intérêts politiques et économiques.

Un membre du public pose alors la question que d’autres semblaient se poser : «La coopération internationale est-elle souhaitable en fin de compte?» M. Ndiaye estime que oui, s’il y a un changement de paradigme. Les pays devraient s’entraider dans une logique de solidarité et de justice, et non pas de contrôle et d’exploitation.