David Malpass, Président de la Banque mondiale Crédit photographie @ DFID - UK Department for International Development, CC BY 2.0

Ce texte du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes souligne avec justesse la manière dont les deux institutions financières internationales, héritées des accords de Bretton Woods, sont les vecteurs de la domination impérialiste des grandes puissances occidentales. En effet, ces piliers sur lesquels repose la doctrine néolibérale assoient leur hégémonie au détriment des impératifs primordiaux que constituent la sauvegarde de l’environnement et la préservation des intérêts de la majorité, particulièrement dans les pays du « Sud ».

Ainsi, le réseau international CADTM appelle au renforcement des actions et mobilisations visant au remplacement des institutions archaïques que constituent le FMI et la Banque mondiale. En particulier, le CADTM invite les mouvements désireux de joindre leurs forces à participer à un contre-sommet mondial des mouvements sociaux aux Assemblées annuelles du FMI-BM qui se tiendront à Marrakech du 9 au 15 octobre prochain.

***

Président de la Banque mondiale depuis avril 2019, David Malpass a annoncé sa démission d’ici au 30 juin 2023. Dans un contexte de crise écologique et climatique majeure, qui menace l’ensemble des êtres vivants de la planète – principalement dans les pays dits du « Sud » – le CADTM rappelle la nécessité d’abolir le FMI et la Banque mondiale et de refonder totalement l’architecture internationale financière.

David Malpass, 13e Président de l’histoire de la Banque mondiale, s’est inscrit dans la droite lignée de ses prédécesseurs : il est un homme étasunien lié au grand capital financier.

Comme tous ses prédécesseurs, David Malpass est un citoyen des États-Unis. Washington a réussi jusqu’ici à imposer une tradition totalement contraire à l’esprit des Nations Unies et à la démocratie : le poste de président de la Banque mondiale est réservé à un Étasunien désigné par le Président des États-Unis.

Comme la majorité des précédents présidents de la Banque mondiale [1], David Malpass est lié au grand capital financier : après avoir travaillé pour le Trésor américain et les affaires étrangères pendant les mandats de Ronald Reagan et de George H. W. Bush, David Malpass est devenu économiste en chef de Bear Stearns, une grande banque d’affaires qui a fait faillite en 2008, alors qu’il était toujours en poste… En août 2007, Malpass a publié un article d’opinion dans le Wall Street Journal, dans lequel il invitait ses lecteur·ices à ne pas s’inquiéter de l’état des marchés financiers, allant jusqu’à écrire que « les marchés de l’immobilier et de la dette ne représentent pas une part significative de l’économie américaine ou de la création d’emplois » [2].

David Malpass a ensuite rejoint l’équipe de Donald Trump, en tant que sous-secrétaire du Trésor aux affaires étrangères, avant de devenir président de la Banque mondiale en 2019. Comme Donald Trump, David Malpass était climatosceptique. En octobre 2022, lors d’une table ronde organisée par le New York Times, il a refusé de prendre position sur le rôle des énergies fossiles dans le réchauffement climatique, arguant qu’il n’était « pas un scientifique » [3].

Dans une période d’urgence écologique et climatique où toutes les économies devraient être orientées vers la protection des ressources naturelles, la réduction de la pollution atmosphérique et la lutte contre les inégalités [4], le président de la Banque mondiale – institution qui distribue des prêts, qui finance des projets dans les pays dits du « Sud » – n’était pas convaincu par le rôle des énergies fossiles dans le réchauffement climatique… C’est extrêmement grave.

David Malpass n’a pas non plus remis en cause le système de vote scandaleux de la Banque mondiale, qui assure de fait un droit de véto aux États-Unis sur chaque décision importante. En effet, ces derniers possèdent 15,47% des droits de vote pour chaque décision prise par la BIRD [5] (Banque internationale pour la reconstruction et le développement). Or, pour qu’une décision soit adoptée, elle doit recueillir 85% des suffrages. Aucune décision ne peut donc être adoptée sans l’accord des États-Unis. Aucune décision de la Banque mondiale (ni du FMI) ne peut donc aller contre les intérêts des États-Unis.

Ce système fait de la Banque mondiale et du FMI des institutions au service d’une oligarchie internationale composée de « grandes puissances » et des entreprises multinationales dont les gouvernements occidentaux défendent presque systématiquement les intérêts. Les décisions prises par ces deux institutions internationales depuis leurs créations l’ont prouvé :

  • Elles ont soutenu et financé le développement d’une politique productiviste et extractiviste destructrice pour la nature et les peuples.
  • Elles ont mis en place des politiques favorisant la spéculation et l’accaparement des terres et de l’eau, dont les populations des pays du Sud sont les principales victimes.
  • Elles ont renforcé la domination patriarcale, notamment via le soutien au microcrédit, véritable fardeau pour les personnes ciblées, qui sont majoritairement des femmes.
  • Elles ont soutenu activement de nombreuses dictatures.
  • Elles ont imposé des politiques d’ajustement structurel sous forme de conditionnalités favorables aux créanciers en échange des prêts qu’elles distribuent (privatisations, réformes du Code du travail, des Codes miniers et forestiers, ouverture des économies aux capitaux étrangers, spécialisation des économies dans des monocultures d’exportation…).
  • Elles ont saboté des expériences démocratiques et progressistes en fermant le robinet des crédits (Mohammed Mossadegh en Iran en 1953, Jacobo Arbenz au Guatemala en 1944, Joao Goulart au Brésil en 1964, Salvador Allende en 1973 au Chili et plus récemment Sisi en Égypte) et ensuite en finançant les dictatures qui ont été imposées avec le soutien de Washington.

Comme les États-Unis ont un droit de véto sur toute décision significative, ces institutions ne changeront pas de l’intérieur. Elles continueront à distribuer des prêts en échange de conditionnalités qui renforcent et dérégulent le capitalisme, qui augmentent les inégalités sociales, de genre et aggravent la crise climatique et écologique. Le réseau CADTM International appelle donc :

  • Au renforcement des actions et mobilisations contre les institutions de Bretton Woods, vers un front uni des pays du Sud contre le remboursement des dettes illégitimes, vers l’abolition de ces institutions et du système capitaliste, patriarcal et extractiviste.
  • À un contre-sommet des mouvements sociaux aux Assemblées annuelles du FMI-BM qui se tiendront à Marrakech du 9 au 15 octobre 2023.
  • À l’annulation des dettes réclamées par le FMI et la Banque mondiale.
  • À la traduction en justice des dirigeants de la Banque mondiale.
  • À la mise en place d’une nouvelle architecture internationale.
  • Au remplacement de la Banque mondiale par une Banque régionalisée qui distribuerait des prêts à taux très faibles ou nuls pour financer des projets respectueux des normes sociales, environnementales, et des droits humains fondamentaux. Cette nouvelle Banque mondiale doit être l’instrument d’une sortie du système capitaliste néfaste pour les pays dits du « Sud », de la lutte contre le système patriarcal, d’une amélioration drastique des conditions de vie du plus grand nombre, d’une sortie de l’extractivisme et d’une bifurcation écologique plus qu’urgente.

Notes :

[1] Alden W. Clausen a été président de la Bank of America avant de devenir celui de la Banque mondiale (1981-1986), Robert Zoelick a occupé un poste clé à Goldman Sachs avant de devenir dirigeant de la BM de 2007 à 2012, après avoir démissionné de son poste de président de la BM en 2019, Jim Yong Kim s’est mis au service d’un fonds d’investissement privé.

[2] « Housing and debt markets are not that big a part of the U.S. economy, or of job creation…the housing- and debt-market corrections will probably add to the length of the U.S. economic expansion. » Cité par Jordan Weissmann (Janvier 2017). Trump Taps Bear Stearns Economist Who Said Not to Worry About Credit Crisis for Key Treasury Job. Slate. En ligne.

[4] Car les plus riches sont les plus gros pollueurs. En 2020, Oxfam et le Stockholm Environment Institute ont montré que les 1% les plus riches généraient plus d’émissions que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Gore, Tim. (2020) Combattre les inégalités des émissions de CO2 : La justice climatique au cœur de la reprise post Covid-19. Oxfam. En ligne.

Article publié sur CADTM International, La démission de David Malpass, Président de la Banque mondiale, doit renforcer les actions et les mobilisations visant au remplacement de la BM et du FMI dans un contexte d’urgence écologique et climatique. (Février 2023).