États-Unis : ampleur et conséquences des ententes 2023 dans l’automobile

Rassemblement à Belleville, Michigan, 26 septembre 2024 lors de la visite de Joe Biden durant la manifestation - crédit photo Adam Schultz pour la Maison Blanche - Domaine public via Wikipedia.

Ronald Cameron, à partir Labor Notes, Democracy Now et Jacobin

Les membres du syndicat UAW (United Auto Workers) des usines des trois grands constructeurs automobiles des États-Unis (GM, Ford et Stellantis) ont accepté les ententes conclues fin octobre entre les « Big Three» et leurs représentants syndicaux. Ces accords sont intervenus suite à une grève en escalade de six semaines, amorcée d’abord par 13 000 salarié.es simultanément dans des usines d’assemblage. Les grévistes sont passés à 50 000 sur les 146 000 membres de l’UAW lors de la conclusion des négociations.

Ces ententes sont considérées comme une victoire historique par nombre d’analystes et la grève comme une bataille politique contre les élites du capital états-uniens. Pour Jane Slaughter, fondatrice du réseau Labor Notes et ex-travailleuse d’automobile, ces ententes « changeront la vie de membres les moins bien payés ». D’énormes efforts ont été déployés par la nouvelle direction syndicale pour valoriser les membres les plus précaires et pour se débarrasser des bas niveaux de salaire. Cette bataille effacent les reculs qui divise le monde du travail dans l’automobile depuis la crise de 2008 en particulier. Elle met aussi fin à une période de concessions qui remonte à 1979 qui a commencé avec la quasi-faillite de Chrysler et ensuite avec l’ère Reagan.

La force sociale que représente les travailleuses et de travailleurs de l’automobile est objet de convoitises, alors que Donald Trump et Joe Biden ont tous deux cherché à courtiser les salarié.es. Les élites corporatives ont compris le message et ont consenti à accorder des améliorations. Le capital états-uniens s’est enrichi au détriment des salarié.es américains, mais aussi des pays du Sud, en utilisant la crise économique à son profit.

Le défi de l’uniformisation des conditions de travail

Depuis 2008, les Big Three ont embauché des « temporaires » (Tiers) de manière permanente à des salaires moins élevés, pouvant toucher des usines complètes et créant des classes de travailleurs. euses dans le même syndicat. La progression des salarié.es de ces usines de deuxième classe pouvait prendre des années et il leur fallait attendre huit ans de plus pour atteindre le haut de l’échelle salariale. L’uniformisation des conditions de travail était une priorité du syndicat.

Même si les accords ne suppriment pas ce système « Tiers », ces salarié.es obtiennent un important rattrapage dès la conclusion de l’entente, quand ce n’est pas l’intégration complète dans les échelles des permanent.es, ce qui représente jusqu’à 88 % d’augmentation immédiatement.

Le travail dans les usines de véhicules électriques devenait ainsi un enjeu puisque les employeurs annonçaient la fin des emplois bien rémunérés avec leur développement. Or, GM et Stellantis ont accepté de couvrir les salarié.es dans cette division dans les accords-cadres, moyennant une intégration à 75 % du maximum de l’échelle, alors que Ford a refusé, mais s’est engagé à reconnaître le syndicat dans deux de ses nouvelles usines à l’ouverture en 2025.

Quelques faits saillants

Voici quelques faits saillants des récupérations et des progrès qui illustrent la consolidation et l’uniformisation des conditions de travail des travailleuses et des travailleurs dans l’automobile aux États-Unis.

  • Augmentations salariales : 25 % sur quatre ans et demi, dont 11 % immédiatement; les salaires maximum passeront de 32 $ US l’heure à 42 $ en 2028; réduction du nombre d’échelons pour atteindre le maximum : ils passent de huit à trois; des salarié.es au statut régulier en progression bénéficieront d’augmentations immédiates de 20 à 46 %; uniformisation des salaires entre usines, entre les sites et les divisions de travail; intégration ou harmonisation avec l’accord salarial cadre de l’UAW des cadres salariaux distincts et inférieurs : des salarié.es de deux usines de Ford bénéficieront d’augmentations immédiates de 53 à 88 %.

  • Retour de la clause de protection contre l’inflation Cost living Adjustment (Ajustement pour le coût de la vie — COLA) qui devrait ajouter 7 à 8 % d’ajout aux échelles pour la durée du contrat; la revendication du COLA a connu une nouvelle popularisation avec la grève des étudiant.es diplômé.es et autres salarié.es universitaires de l’Université de Californie en 2022.
  • Réouverture d’une usine Stellantis d’assemblage à Belvidere, création d’un millier d’emplois aux niveaux de l’entente cadre de rémunération et droit de retour de salarié.es dispersé.es ; suppression des salaires inférieurs de la division des pièces détachées chez Stellantis et alignement des salaires des salarié.es de GM dans les dépôts de pièces, du service clientèle, des usines de composants et de batteries sur ceux de la production.

  • Les salarié.es avec 90 jours d’ancienneté seront immédiatement converti.es en employé.es permanent.es chez Ford. Les futures embauches deviendront des employé.es permanent.es au bout de neuf mois, et ces neuf mois compteront pour leur progression vers le maximum salarial; les salarié.es « temporaires » recevront des chèques de participation aux bénéfices à partir de 2024.

  • Augmentation et amélioration de l’accès aux vacances pour favoriser la conciliation travail-famille; augmentation de la contribution de l’employeur à 10 % de la rémunération pour le plan de retraite des salarié.es et augmentation du multiplicateur pour intégrer les tiers.

Horizon 1er mai 2028

Les directions de l’UAW ont également visé à renforcer le positionnement stratégique de l’organisation et de l’action syndicales. Ford, GM et Stellantis verseront à chaque gréviste 110 $ par jour pour le temps passé sur la ligne de piquetage, en plus de l’indemnité de grève de 500 $ par semaine versée par le syndicat.

Clause importante pour le rapport de force, les ententes prévoient la reconnaissance du droit de grève contre tout échec des entreprises à respecter leurs engagements au plan des investissements et de la production de véhicules pour diverses usines, et aussi contre les décisions de fermer des usines.

De plus, toutes les ententes ont la même date de fin de contrat, soit le 30 avril 2028, faisant en sorte que le 1er mai 2028 sera le lancement de la campagne de renouvellement des conventions simultanément dans tout le secteur automobile aux États-Unis. Il va sans dire que la mobilisation du syndicat UAW se poursuivra auprès des autres fabricants étrangers d’automobiles sur le territoire des États-Unis pour accroître la force syndicale.

Campagne majeure de syndicalisation en vue dans l’automobile

Dans les jours qui ont suivi l’annonce des résultats des ententes, les constructeurs automobiles non syndiqués ont annoncé des augmentations immédiates de 11 % pour Volkswagen (VW) et Honda, de 9,2 % chez Toyota et de 6,5 % chez Hyundai, avec une nouvelle hausse de 3,5 % en mars 2024. Le nombre d’échelons a aussi été réduit à trois au lieu de six ou huit.

Le 7 décembre dernier, UAW a annoncé la signature d’un millier de cartes syndicales sur environ 3 000 salarié.es à l’usine VW de Chattanooga, en rendant publique sa troisième tentative de la syndiquer. UAW a aussi annoncé une vaste campagne de syndicalisation suivant une nouvelle stratégie publique de syndicalisation. Treize constructeurs sont ciblés : Honda, Toyota, Hyundai, Nissan, Subaru, Mazda, Mercedes, Volvo, BMW, Volkswagenm, Rivian, Tesla et Lucid.

UAW vise à recruter 150 000 membres. Alors que les effectifs ouvriers dans l’automobile aux États-Unis sont restés assez stables ces dernières décennies, c’est le nombre de syndiqué.es qui a diminué. Sur près de 586 000 salarié.es membres de l’UAW en 1983, ce nombre était de 225 000 en 2022. En d’autres termes, la majorité du monde du travail de l’automobile n’est pas syndiquée aux États-Unis.

Vers la renaissance du syndicalisme américain et solidarité avec la Palestine

Élu seulement six mois avant le début de la bataille dans l’automobile, le nouveau président, Shawn Fain, est issu du courant démocratique UAWD (United Auto Workers for Democracy) qu’anime maintenant depuis des décennies le groupe Labor Notes dans différents secteurs. Malgré le renouveau, les salarié.es sont demeuré.es sceptiques et les ententes n’ont pas été entérinées unanimement par les assemblées.

Chez Ford et Stellantis, les deux tiers ont entériné les ententes, mais chez GM, seulement 55 % l’ont fait. Les attentes et les frustrations face à des années de concessions ont accru les attentes des membres. Notamment, plusieurs membres plus âgés dans les trois entreprises ont rejeté les ententes, étant donné que les augmentations et les gains à la retraite n’étaient pas suffisants. Pour Fain et son équipe, le combat « ne fait que commencer ».

L’action du mouvement ouvrier américain ne peut pas être analysée par la seule lorgnette d’une vision locale. Cette lutte de classe classique est partie intégrante d’un combat global planétaire. La bataille que mène le mouvement syndical suédois contre Tesla avec l’appui des syndicats des pays nordiques participe aussi à ce combat.

Le contexte international de guerre et d’autoritarisme fait aussi partie des réalités des luttes. C’est pourquoi le comité exécutif de l’UAW a annoncé le 1er décembre dernier que le syndicat se joignait à un nombre croissant d’organisations syndicales pour appeler à un cessez-le-feu en Israël et en Palestine. Du même souffle, il a adopté la mise sur pied d’un groupe de travail sur le désinvestissement à l’encontre d’Israël et d’étudier les moyens de parvenir à opérer une transition juste pour les travailleur.euses des États-Unis dans la perspective d’une transformation d’une économie basée sur la guerre vers une pour la paix.

Références

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