John Feffer, Foreign Policy in Focus, 16 octobre 2019.
(Traduction : Lor Shirley Tran)
Donald Trump se réjouit en martelant à répétition qu’il faut en finir avec les guerres à n’en plus finir, des guerres américaines qu’il a héritées en tant que président. Il en fait des tweets. Il crtitique sans cesse ses prédecesseurs de leurs erreurs martiales.
C’est bien beau d’en parler, mais Trump ne fait rien pour régler la situation.
Ce mois-ci, en allant contre l’avis partagé de tous, il n’a pas l’intention de retirer les 1000 troupes américaines du nord de la Syrie qui protégeaient une région kurde largement autonome. Le résultat a immédiatement intensifié le conflit syrien avec la Turquie qui a envoyé ses troupes auprès de la frontière pour profiter du retrait américain.
En réponse, Trump fait l’envoi de 2000 troupes additionnelles en Arabie saoudite pour les aider à se défendre contre l’Iran, ou les Houthis, ou peut-être les dissidents internes du régime.
En effet, l’administration Trump a déployé 14000 troupes américaines additionnelles au Moyen-orient depuis le printemps, comparativement aux 1000 troupes que Trump a retiré du nord de la Syrie. Le président tient plus à allumer les feux qu’à les éteindre. Les exemples abondent en ce sens.
Le mois dernier, Trump avait promis une entente avec les Talibans qui aurait permis la retraite des soldats américains de l’Afghanistan. Elle n’a pas eu lieu.
Et qu’en est-il advenu du plan de Kushner d’en finir avec les conflits à n’en plus finir entre Israël et la Palestine? Tué dans l’œuf.
Et quid des attaques aériennes américaines? En date de mars 2019, Trump a fait l’envoi de plus de frappes aériennes (2243) qu’Obama au cours de ses deux mandats présidentiels (1878).
Les stratégies de contre-insurrection en Afrique? Trump a donné l’ordre de réduire de 10 pour cent les forces armées sur le continent d’ici 2022, même si le nombre total des forces armées sous le commandement africain a plus que doublé de 2017 à 2018 (en passant de 6000 à 7500).
La politique de l’endiguement face à la Chine? Le Pentagone, sous Trump, a fait de la Chine « une priorité numéro un », de sorte qu’une grande partie de la hausse des dépenses militaires de l’administration Trump sert de préparation pour entrer en guerre avec Pékin.
Pendant ce temps, à l’intérieur de ses frontières, Trump a aussi déclaré la guerre : au Congrès, à la presse, et à quiconque s’opposant à lui. Une toute récente vidéo montre Trump anéantir ses adversaires dans un montage d’une version du film Kingsman. Le mème peut dégoûter, mais son sens figuré vise juste.
Mettons les choses au clair : Trump n’est pas contre la guerre sans fin; il en est l’incarnation. Elle se situe au cœur de son système d’exploitation. Il est entré en politique parce qu’il a compris qu’il s’agissait d’une guerre sans fin par d’autres moyens (qu’il préfère aux moyens ordinaires).
Oublions Trump « l’homme d’affaire ou le négociateur qui marchande les termes d’une entente ». Rappelons que Trump animait l’émission télévisuelle The Apprentice, dans lequel il s’agissait d’une guerre contre tous, dont un seul en sort gagnant, et tous les autres en sont des perdants. Ce même esprit belliqueux est tout simplement appliqué de nouveau à la Maison blanche.
Et les conséquences n’en sont que désastreuses.
Le désastre en Syrie
Il est hallucinant de voir comment Trump a réussi à créer une situation extraordinaire : une concoction se résultant à une invasion turque en Syrie; la provocation d’une alliance improbable entre les Kurdes assiégés et le régime autoritaire de Bashar al-Assad; le renforcement du positionnement géopolitique de la Russie dans la région; et la réanimation de l’État islamique.
Il s’est servi du retrait des1000 troupes au nord de la Syrie pour aller à l’encontre des avis de tous. Trump s’amuse à contredire le conseil des experts car il se croit meilleur qu’eux. Comment savoir d’où vient cette confiance lorsque sa vie au complet est remplie de décisions désastreuses : faillites, constructions de bâtiments incomplétés partout dans le monde, refus quasi-total des banques à lui autoriser des prêts.
Le plus récent fiasco a débuté avec un coup de fil le 6 octobre avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Durant cet appel, Trump a approuvé les opérations transfrontalières turques en Syrie.
Le journaliste David Sanger le The New York Times expliquait, selon des sources non-officielles, que « Trump était peu préparé pour cet appel téléphonique, et a manqué à son devoir de clarifier à M. Erdogan des sérieuses implications advenant son alliance avec les États-Unis, telles que des sanctions économiques pour la Turquie et la position d’influcence de celle-ci au sein de l’OTAN. »
Cette approbation était suffisante pour le chef turc. Erdogan rêve depuis longtemps d’une invasion pour neutraliser ce qu’il appelle un bande de terroristes qui aident les séparatistes kurdes dans le sud de la Turquie. Il a aussi l’ambition de relocaliser les réfugiés syriens en Turquie dans un autre endroit, le nord de la Syrie, contrôlé par la Turquie.
Jusqu’à maintenant, Erdogan se contente bien d’une zone tampon. À ce titre, les troupes américaines servent de soldats de la paix dans la région. L’état de la situation ne permettait pas de justifier l’activation d’opérations militaires, quoiqu’assez conflictuel pour s’insérer entre la Turquie et le Kurdes d’un côté, et le gouvernement syrien et les Kurdes de l’autre. Ç’en était assez.
Les premières victimes de la toute dernière décision de Trump étaient les Kurdes. Ceux-ci étaient un allié crucial pour Trump durant sa campagne contre l’État islamique. En un instant, l’espoir des Kurdes syriens à vouloir garder un état pacifique et semi-autonome s’est volatilisé. Les Kurdes ont alors immédiatement signé une entente avec Damas, qui met la partie la plus importante du pays, soient les forces armées du gouvernement syrien, aux mains de l’opposition. Confrontés aux actions de Trump, les Kurdes ont choisi le moindre mal, soit le diable qu’ils connaîssent, au lieu de celui qui vient d’un autre continent.
Ainsi, l’intervention de la Turquie a délogé des dizaines de milliers de personnes hors de chez elles. Les réfugiés kurdes se déplacent vers le Kurdistan iraquien pendant que des organismes humanitaires comme Mercy Corps retire leur personnel du nord de la Syrie. Des atrocités contre les civils ont eu lieu, telles que l’exécution du politicien kurde Hevrin Khalaf. La Turquie fait aussi le pas en agissant contre ses dissidents qui s’opposent à l’opération militaire, aussi majoritairement kurdes. Les gestes d’Erdogan s’expliquent en bonne partie par un motif de politique interne : sa volonté de réduire au silence ceux qui le critiquent et gonfler le sentiment nationaliste.
Entre temps, la Russie a rapidement pris la place des États-Unis. Les troupes russes se sont insérées dans le nord de la Syrie entre la Turquie et le gouvernement de Damas, agissant en tant que zone-tampon. Avec l’ère de Trump, il est peut-être mieux pour la Russie de jouer un tel rôle. Mais avec l’appui de Moscou à Assad, l’intérêt russe de vendre à n’importe qui n’importe quel armement, et son indifférence aux droits humains, une plus grande présence de la Russie dans les affaires étrangères du Moyen-Orient n’est gère mieux.
Vient ensuite l’État islamique, qui est toujours présent, contrairement aux dires de Trump. Selon The New York Times :
L’État islamique reprend ses forces, rapporte la Maison blanche dans une déclaration dimanche. Il mène des guérillas en Irak et en Syrie, refait usage de ses réseaux financiers et ciblent du nouveau recrutement dans des camps de tentes organisés par ses alliés, selon l’armée américaine et les agents de renseignement et du contre-terrorisme.
Depuis ces derniers mois, l’EI a fait des progrès dans le camp Al Hol au nord de la Syrie, mais personne n’envisage comment s’occuper des 70 000 personnes qui s’y trouvent, incluant les milliers de familles membres des combattants de l’État islamique.
Les agents de renseignement américains disent que le camp Al Hol, qui est géré par les alliés kurdes de la Syrie dont la sécurité et le soutien est minimal, devient progressivement un foyer de l’idéologie de l’EI. Les forces kurdes syriennes qui sont soutenues par les Américains comprennent aussi plus de 10 000 combattants de l’EI, incluant 2000 étrangers qui se retrouvent dans une prison improvisée à part.
Dans le chaos de l’intervention turque, près de 750 adhérents à l’EI se sont échappés d’un camp dans une région gardée par les Kurdes. Trump a spéculé sans preuve à l’appui que les Kurdes ont libéré les prisonniers intentionnellement pour inciter les États-Unis à s’engager militairement. Bel essai, Donald : tu as perdu la confiance des Kurdes envers les États-Unis.
Pire encore, Trump n’est pas celui qui a terminé la guerre avec l’EI après tout.
La guerre dans le pays
Depuis son entrée en fonction, le président mène une politique étrangère de la guerre sur deux fronts.
À l’étranger, il s’est impliqué dans plusieurs conflits à la fois envers et contre des alliés que des adversaires. Mais il est aussi en guerre à l’intérieur du pays grâce à son propre appareil d’élaboration de politiques. Il s’en est pris aux conseillers de la politique étrangère de tous les types : Jim Mattis, John Bolton, Rex Tillerson, HR McMaster. En se rétrogradant en homme des cavernes dans son univers twitter, Trump s’est fié sur le conseil provenant de quelqu’un de plus paranoïaque et incohérent que lui.
Étonnament, pire que les propres intuitions de Trump, il y a Rudy Giuliani.
Au fil des audiences de la mise en accusation chaque jour, on y révèle la véritable profondeur de la situation — une politique étrangère secrète orchestrée par Trump et Giuliani. Fiona Hill, qui était responsable de la politique étrangère de la Russie et de l’Europe pour le Conseil de la sécurité nationale, a témoigné que Marie Yovanovitch, l’ancienne ambassatrice de l’Ukraine, a été démise de ses fonctions, et que Giuliani était derrière cet agissement. Il était aussi celui qui a tenté de fouiller des détails potentiellement embarassants sur Joe Biden et son fils Hunter Biden. Il avait même essayé de prouver que l’Ukraine avait influencé le parti démocratique des États-Unis aux élections de 2016.
Selon The Washington Post, Giuliani « a dit qu’il croyait que Hill ne faisait pas partie de l’affaire avec l’Ukraine, comparativement à Sondland ou aux autres. « Elle n’en savait rien, » il a dit. Il a ajouté qu’il ne lui avait jamais parlé de L’Ukraine. »
Réveille-toi, Rudy : c’est exactement la définition d’une politique étrangère secrète. La personne qui en sait le plus sur la Russie et l’Ukraine n’était pas au courant? Et toi, Rudy Giuliani, dont la connaissance sur l’Ukraine pourrait correspondre à des théories du complot ridicules, prétends avoir délogé Marie Yovanovitch, qui parle les langues de la région, députée et chargée de mission à l’embassade américaine à Kiev de 2001 à 2004, qui était déterminée à déraciner la corruption en Ukraine?
Et ton allié clé dans cet effort, autre qu’un président qui comprend encore moins bien la géopolitique que toi, serait Gordon Sondland, l’embassadeur américain de l’Union européenne? Sondland n’est qualifié qu’à une seule chose : une loyauté absolue à Donald Trump. Ce gars n’est rien de plus qu’un hôtelier qui a passé la plupart de son temps à Bruxelles à superviser les rénovations coûteuses de la résidence de l’embassadeur.
Giuliani s’apparente à un Oliver North d’aujourd’hui, l’architecte de l’affaire Iran-Contra sous les années de Reagan. Comme North, Giuliani a mené une opération secrète inaperçue des professionnels de la politique étrangère. Cependant, le but de Rudy est beaucoup plus étroit et crasseux que celui de North : la réélection du président. En d’autres termes, Giuliani s’est assigné un rôle sale de comité pour réélire le président dont il est le seul acteur.
Tout ceci s’annonce mal pour Trump et la mise en accusation. Mais c’est aussi mauvais pour Giuliani, surtout s’il n’a pas divulgué ses relations aux lobbying, ce qui l’exposerait à des accusations criminelles. Après tout, il a été actif dans des manœuvres de couloir au nom de la Turquie pour convaincre l’administration Trump d’extradier Fethullah Gulen, un clerc de la Pennsylvannie vers la Turquie. Mike Flynn, un ancien conseiller de la sécurité nationale de Trump, a été déchu pour un coup pareil.
Pendant ce temps, Rudy empoche un demi-million de dollars en frais de consultant avec une firme qui ne pouvait avoir un meilleur nom, Fraud Guarantee (ou ne serait-il pas plutôt Fraude garantie?), qui, quel hasard, appartient à un des Ukrainiens qui s’est fait arrêté récemment pour violations à la campagne de financement.
C’est de mauvais augure pour le président et tous les hommes du président. Trump essaie toujours de se battre pour s’en sortir. Jusqu’à présent, le parti républicain est avec lui, mais pas pour longtemps.
La mise en accusation ne sera pas une guerre sans fin. Elle sera vicieuse et relativement courte. Trump l’homme d’affaires putatif pourrait faire une dernière comparution pour ne pas aller en prison. Mais il serait plus satisfaisant de voir le président sombrer comme la plus grande victime de la guerre sans fin qu’il a infligée contre le peuple américain.