Adam Shils, International Socialism Project, 19 mars 2021 (traduction rédaction A l’Encontre)
Il serait facile de penser que nous sommes en passe de laisser le cauchemar du Covid derrière nous. 22% de la population a reçu une dose du vaccin, 12% ont reçu les deux [en date du 18 mars]. Le taux de positivité national est tombé à 4,7%. Chaque soir, les journaux télévisés montrent des centres de vaccination de masse au travail. Le calme affable d’Anthony Fauci [nommé par Joe Biden le 20 janvier Chief Medical Adviser for COVID Response et directeur du National Institute of Allergy and Infectious Deseases] a remplacé l’agitation malfaisante de Trump. Les commentateurs nous disent qu’avec la baisse du taux d’infection par le Covid, l’économie ne peut que s’améliorer. Cependant, pour une grande partie de la classe laborieuse, nous sommes loin d’être sortis d’affaire. L’objectif de cet article est d’examiner comment se font encore sentir certains effets de la perturbation massive de l’économie.
Pandémie et recul des revenus
Les statisticiens du centre de recherche AP-NORC (Université de Chicago) ont récemment mené une importante étude. Les résultats [publiés le 11 mars] montrent la situation très difficile à laquelle sont confrontés de nombreux travailleurs.
- 53% des personnes déclarent que leur revenu familial a diminué pendant la pandémie.
- 30% disent que leur revenu actuel est inférieur à ce qu’il était avant le début de la pandémie.
- 44% disent que la situation créée par la pandémie a toujours un impact financier sur eux.
- 25% ont été incapables de payer au moins une facture.
- 11% déclarent n’avoir pas pu payer au moins une facture concernant leur logement.
Il y a deux raisons principales à cette perte de revenus de la classe laborieuse. La première est la diminution du nombre d’heures de travail rémunérées. 31% des personnes interrogées par l’AP-NORC déclarent qu’au moins une personne de leur ménage a dû travailler moins d’heures au cours de l’année écoulée. Ce chiffre passe à 40% pour les travailleurs de moins de 30 ans.
Les licenciements sont la deuxième cause principale de cette situation. 25% des personnes interrogées ont déclaré qu’il y avait eu au moins un licenciement dans leur ménage. Comme toujours dans ce pays, la situation des travailleurs noirs et latinos est pire. Le chiffre est de 29% pour les Noirs et de 38% pour les Latinos. 9,5 millions d’emplois ont été perdus pendant la pandémie.
Les emplois perdus reviendront-ils?
La pandémie ne sera pas similaire à une période «normale» particulièrement longue de licenciements suite à laquelle les emplois reviennent généralement et la vie reprend son «cours normal». Le chiffre le plus souvent cité est que 30% des emplois perdus le sont définitivement. Les économistes Stephen Davis, Jose Maria Barrero et Nick Bloom avancent le chiffre beaucoup plus élevé de 32 à 42%. McKinsey&Co voient 4,3 millions d’emplois perdus dans le seul secteur de la consommation et de la restauration.
Bien entendu, tous ces chiffres ne sont que des projections. De nombreux facteurs affecteront le résultat final. Combien de temps durera la pandémie? Quelle sera l’ampleur du travail à domicile? Dans quelle mesure les habitudes des consommateurs en matière de voyages, de loisirs et de restauration vont-elles changer? Ces facteurs spécifiques doivent être intégrés dans une analyse économique générale qui tienne compte des relances et des récessions propres au système capitaliste. Cependant, il semble clair que les «cicatrices» post-Covid vont avoir un impact sérieux sur l’emploi.
Situation dans les usines et les entrepôts
Les travailleurs ont beaucoup de retard à rattraper sur le plan des revenus. Le terrain a également été perdu en termes de santé et de sécurité. C’est particulièrement vrai pour la protection contre le Covid dans les grands lieux de travail de type industriel. Warehouse Workers for Justice a produit un rapport important sur cette question. Le rapport se concentre sur un seul État, l’Illinois, qui a connu à lui seul 207 épidémies de Covid dans ce type de lieu de travail.
Les résultats de l’enquête menée auprès des travailleurs constituent peut-être la partie la plus révélatrice du rapport.
- 65% ont déclaré que quelqu’un sur leur lieu de travail avait contracté le Covid.
- 85% ont déclaré que lorsque leur employeur a été informé des préoccupations des travailleurs concernant le Covid, il n’a pris aucune mesure, a pris des mesures inadéquates ou a exercé des représailles contre les travailleurs qui ont soulevé ces préoccupations.
- 61% ont déclaré ne pas avoir reçu d’indemnités pour la maladie ou la quarantaine.
- 83% de ceux qui avaient été malades du Covid n’ont reçu ni indemnité de maladie ni aide gouvernementale.
Ces chiffres montrent à quel point les conditions sont devenues mauvaises dans les entreprises. Un certain nombre de mesures seront nécessaires pour renverser cette situation. Il faudra procéder à des rééquipements importants pour installer des équipements de distanciation sociale et d’anti-contamination. Cela peut impliquer de modifier l’espacement sur les lignes de production et les bandes transporteuses. Cela renvoie à la responsabilité de l’employeur, quel que soit le coût.
Le syndicat et les comités de sécurité sur le lieu de travail devraient avoir le droit d’arrêter le travail si les mesures de protection nécessaires ne sont pas en place. Les employeurs doivent fournir des EPI [équipement de protection individuelle], des indemnités de maladie, des soins de santé et une formation à la sécurité. Ces mesures sont nécessaires pour empêcher que la réouverture de l’économie ne crée une nouvelle poussée du virus.
Travailleurs «indépendants» et précaires
On aurait pu penser qu’au moins une section de la classe laborieuse, les gig workers, s’était mieux portée en 2020. N’y a-t-il pas eu un «tournant vers la livraison à domicile»? Ne vivons-nous pas dans le monde de DoorDash, Instacart, UberEat et Amazon Prime? L’explosion de la livraison à domicile provoquée par le Covid n’a-t-elle pas aidé les travailleurs «indépendants»? La réponse est un «non» retentissant.
Le problème est que l’afflux d’un si grand nombre de travailleurs cherchant désespérément à gagner leur vie dans ce secteur a servi à renforcer le pouvoir des employeurs. Par exemple, dans de nombreux services de VTC (voiture de transport avec chauffeur), les conducteurs sont en concurrence les uns avec les autres pour offrir au passager potentiel le tarif le plus bas pour un trajet. Plus il y a de chauffeurs en concurrence, plus la pression pour proposer un prix de course plus bas augmente. Les travailleurs sont alors en concurrence les uns avec les autres dans une spirale vers le bas.
L’augmentation de la demande de services de type «gig» ne s’est pas traduite par une amélioration correspondante des salaires et des conditions de travail. Voici quelques exemples qui illustrent ce point. Lyft [entreprise de mise en contact de clients et de conducteurs] a récemment décrété que les chauffeurs possédant des voitures plus récentes voient leurs primes de «récompense» réduites de 10%. Pourquoi? Lyft a affirmé que les passagers préféreraient être dans des voitures plus récentes. Par conséquent, les conducteurs de ces voitures bénéficieraient de plus de passagers et d’argent! Pour de nombreux conducteurs utilisant une application, l’assurance fournie par l’employeur ne commence qu’au moment où le passager met le pied dans la voiture. Par conséquent, si un conducteur est en route pour prendre un passager et qu’il est heurté par une autre voiture, il n’a pas d’assurance. De nombreux chauffeurs estiment que les employeurs n’essaient pas d’aider les chauffeurs qui sont l’objet d’une attaque. Par exemple, des voix s’élèvent pour demander à Uber d’augmenter les procédures de vérification des applis afin d’aider à prévenir les agressions sur les chauffeurs et les vols de voiture. La distanciation sociale a été un cauchemar pour les chauffeurs de VTC pendant la pandémie, car ils sont serrés dans de petits espaces avec les passagers.
Les chauffeurs ne sont pas les seuls travailleurs précaires dans une situation difficile en ce moment. Lors d’une récente réunion de Jobs with Justice de Chicago, une coiffeuse a témoigné sur sa situation. Elle a expliqué qu’il n’y a souvent pas de salaire de base et que les coiffeurs ne sont payés que lorsqu’il y a un client, même s’ils doivent rester dans le salon pendant toute la durée du travail. Par conséquent, les gains quotidiens peuvent être minimes. Ce type de vie est la réalité quotidienne de nombreuses travailleuses. L’élection de Joe Biden ne va pas aboutir à modifier cette situation, pour cela il s’agit de relancer le taux d’organisation et de mobilisation de la classe laborieuse.