États-Unis : Trump met la peur aux frontières

Isabelle Hanne, Libération, 30 août 2019

L’été a été prolifique pour Donald Trump et son sujet de prédilection : l’immigration. Fin juillet, la Cour suprême a autorisé l’utilisation de 2,5 milliards de dollars pris sur le budget du Pentagone pour construire un mur à la frontière avec le Mexique, symbole de la lutte du Président contre l’immigration illégale. Les travaux ont commencé la semaine dernière. Et pour montrer qu’il tient ses promesses de 2016 et galvaniser ses soutiens en vue de 2020, Trump a ainsi pu poster, mercredi sur Twitter, la vidéo d’un pan de mur flambant neuf avec musique de blockbuster. Ces financements doivent permettre l’érection de 200 km de barrière (sur 3 200 km de frontière) et la réfection d’une portion déjà existante en Arizona.

Pour le spectacle, il y a aussi eu les raids menés le 11 août par l’agence de police douanière et de contrôle des frontières (ICE) dans des usines de transformation de volailles du Mississippi. Près de 700 travailleurs clandestins arrêtés alors sont jugés ces jours-ci.

Par ailleurs, la semaine dernière, le gouvernement a mis un terme à une décision de justice datant de 1997, dite «Flores», qui impose aux autorités fédérales de ne pas maintenir les enfants migrants en détention plus de 20 jours. Autorisant de fait la détention illimitée des mineurs entrés illégalement aux Etats-Unis. La mesure, contestée en justice dès lundi par une coalition de 20 Etats, servirait selon la Maison Blanche à «envoyer un message fort» aux migrants : entrer aux Etats-Unis avec des enfants «n’est pas un passeport pour éviter la détention».

Sans préavis, les services d’immigration et de citoyenneté (USCIS) ont pour leur part supprimé un programme (Medical Deferred Action) qui permettait aux immigrés d’éviter l’expulsion si eux ou l’un de leurs proches suivaient un traitement médical vital.

Mercredi enfin, le département de la Sécurité intérieure annonçait la réallocation de plus de 270 millions de dollars à l’ICE afin de financer les besoins croissants des centres de rétention et des tribunaux à la frontière. En pleine saison des ouragans, plus de la moitié de ces fonds sont siphonnés des caisses de l’Agence fédérale des situations d’urgence (Fema), qui organise les secours après les catastrophes naturelles aux Etats-Unis.

Décennies rayées d’un trait

Depuis plusieurs années, le Congrès ne parvient pas à s’entendre sur une réforme de l’immigration, laissant les décisions sur ce sujet aux pouvoirs exécutif et judiciaire. Trump peut ainsi rayer d’un trait de plume des mesures en place depuis des décennies. Brique par brique, malgré la résistance des Etats démocrates et les bras de fer judiciaires, la Maison Blanche construit ainsi une politique migratoire ultra-répressive. «Cette administration a fait de l’immigration son enjeu fondamental, note Jessica Bolter, chercheuse au Migration Policy Institute. Elle a aussi su tirer parti des pouvoirs exécutifs, permettant aux agences fédérales d’entreprendre des changements de politique sans passer par le Congrès.» La Maison Blanche sait que ces changements seront contestés en justice, mais veut indiquer qu’elle agit sur l’immigration. «Elle espère dissuader les migrants de venir, ajoute Jessica Bolter. Même si statistiquement, ce type d’effet dissuasif ne fonctionne qu’à court terme.»

De fait, les traversées clandestines ont baissé cet été : entre mai et juillet, les arrestations ont diminué de 43 %, selon les services de douanes et de protection des frontières, qui attribuent cette baisse à la collaboration des autorités mexicaines. «Les traversées diminuent pendant l’été parce que les conditions sont encore plus hostiles que le reste de l’année,rappelle Jessica Bolter. Mais cette baisse est plus prononcée cet été.»Mexico a augmenté le nombre d’arrestations de migrants avant qu’ils n’entrent aux Etats-Unis : 31 000 en juin contre 8 500 en janvier. La réforme des procédures de demande d’asile découragerait aussi des candidats. La mise en œuvre en janvier du mal nommé Migrant Protection Protocol, après que Trump a tordu le bras au président mexicain, a ramené de l’autre côté de la frontière plus de 37 500 demandeurs d’asile en sept mois, selon le département de la Sécurité intérieure (DHS), le temps que leur dossier soit traité par les services d’immigration américains.

L’administration Trump attaque sur tous les fronts : les conditions d’immigration légale se sont, elle aussi, durcies. Allongement du temps d’attente pour l’obtention des visas, raccourcissement de la durée de validité des papiers… Mi-août, les autorités ont annoncé que les immigrés légaux ne disposant pas de revenus suffisants et bénéficiant d’une aide sociale pourront se voir refuser l’octroi de visas ou de cartes de résident permanent. But de la manœuvre : «Changer la composition des immigrés qui viennent aux Etats-Unis», note Jessica Bolter, en privilégiant une immigration plus qualifiée, plus aisée, aux dépens du regroupement familial.

Citoyenneté «sacrée»

Mercredi, l’USCIS a annoncé que les enfants de militaires et d’employés du gouvernement nés à l’étranger ne deviendraient plus automatiquement citoyens américains. Ultime coup de canif, qui vient rappeler l’obsession du conseiller de Trump Stephen Miller, architecte de sa politique migratoire de «tolérance zéro», pour la citoyenneté américaine qu’il voit comme «quelque chose de sacré», explique le Washington Post dans un portrait publié mi-août.

Ces nouvelles mesures visent à «transformer la société américaine»,ambitionne Miller, selon des propos rapportés par ses collègues. «L’administration Trump est en train de refaçonner l’immigration aux Etats-Unis, avec des effets à long terme sur l’image du pays, les conditions d’accueil des réfugiés, les critères de qualification des demandeurs d’asile… énumère Jessica Bolter. Si Trump n’est pas réélu, et qu’une nouvelle administration souhaite détricoter ces changements, ce sera techniquement et légalement possible. Mais très long et très laborieux.»

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