Médiapart, 20 MAI 2019
Un collectif de militants, intellectuels et syndicalistes exhorte à refonder la gauche, déplorant que les «logiques d’affirmation des identités partisanes» aient pris le dessus, «réduisant dramatiquement le poids de la gauche dans la vie politique». Soutenant des listes différentes aux élections, ils appellent néanmoins à «construire du commun» par les luttes.
A la veille des élections européennes
, rarement la gauche n’a été en aussi mauvais état. Les logiques d’affirmation des « identités » partisanes qui ont pris le dessus se sont combinées avec l’incapacité à proposer une perspective d’espoir.
La conséquence est un poids dramatiquement réduit de la gauche dans la vie politique.
Sortir de la spirale de l’éclatement, refonder une perspective d’espoir pour le XXIème siècle : voilà l’urgence.
C’est d’autant plus nécessaire que le petit monde qui dirige l’Union européenne sous l’autorité des gouvernements est glaçant : une seule discipline économique, une seule politique de plus en plus autoritaire. Pas de choix démocratique possible contre les traités, a dit le Président de la Commission. Résultats : la tragédie grecque, l’explosion du Brexit, les milliers de morts en Méditerranée, la montée des inégalités, le chômage et la misère, la poussée des nationalismes et de l’extrême droite avec des discours simplistes basés sur le mensonge, la haine et le rejet de l’autre.
Pourquoi choisir les uns plus que les autres, se demandent nombre d’électeurs et d’électrices ? En effet, plusieurs listes à gauche combattent la dérive ultra-libérale de l’Union européenne avec des arguments convergents. La tentation de l’abstention, qu’il faut combattre, est plus forte que jamais.
Alors que les aspirations sociales, écologiques et démocratiques n’ont jamais été aussi fortes, la Gauche s’est révélée incapable d’élargir son audience et de proposer une alternative politique crédible. De plus, nous assistons à un éclatement politique total. Et pourtant, nos forces militantes agissent souvent en commun. Et plusieurs élu·es travaillent ensemble au Parlement européen ! Pour beaucoup de nos concitoyen·es, le mot même de gauche a perdu son sens après que des gouvernements s’en réclamant ont mis en œuvre des politiques néolibérales et autoritaires.
Un mouvement social qui appelle à faire du neuf et à converger
En France, la campagne électorale se déroule alors que le pays est secoué par un mouvement social qui a fait vaciller les institutions, le gouvernement et le Président de la République. Le mouvement des Gilets jaunes a fait trébucher Macron sur sa base électorale étroite de 2017. Va-t-on le laisser se relever et continuer sa révolution ultralibérale, en réalité un capitalisme très autoritaire ?
Cette convergence d’action est encore plus nécessaire avec l’irruption de mobilisations de centaines de milliers de personnes sur l’urgence climatique. Les gouvernants européens font semblant de saluer ces mobilisations alors qu’ils ne remplissent même pas les engagements de l’Accord de Paris.
De même, de plus en plus de citoyen·nes et de villes sont solidaires et se lèvent aux côtés des migrant·es et des réfugié·es pour dénoncer la carence des États et leurs politiques racistes, fermant les portes aux plus vulnérables.
Les femmes, plus de la moitié de la population, ont déclenché une révolution internationale des rapports de domination trop souvent tolérés, et considérés comme naturels.
Les salarié·es font preuve d’imagination contre le travail surexploité, ubérisé, prescrit et subordonné, l’automatisation, les fermetures d’entreprises.
De nouvelles formes d’antiracisme se développent.
Progressisme/nationalisme : le faux duel
La droite macronienne essaie d’installer en France un faux duel entre progressisme et nationalisme. En réalité ce qui se profile est une défaite morale et politique devant le danger de la droite extrême, sous toutes ses formes, qui gangrène les sociétés.
Construire une alternative pour le XXIe siècle suppose de rompre avec toutes les politiques néolibérales, quels que soient les gouvernements qui les ont portées. Et, de ce point de vue, le bilan de la gauche qui a gouverné est lourd. Mais ce n’est pas suffisant car il y a aussi échec à faire vivre un nouvel imaginaire émancipateur.
Rejetons la tentation de rester toujours sur les modèles historiques immuables. Il ne s’agit pas de faire table rase. Mais de s’appuyer sur les expériences qui nourrissent la réflexion commune. Le « vieux » et le « neuf » s’interpénètrent pour aller de l’avant. Les peuples font partout bouger les anciennes certitudes et tâtonnent avec les nouvelles. Ils inventent sans cesse, notamment la jeunesse.
Le pays est assez riche pour réaliser d’autres politiques. C’est ce qu’ont montré les luttes de 2016 contre la loi Travail « et son monde », celles pour défendre la SNCF…, et bien d’autres moins spectaculaires. Les Gilets jaunes posent aujourd’hui des urgences dont les réponses ne peuvent attendre ; de même que les enseignant·es, les parents, la jeunesse, les retraité·es.
Les mobilisations populaires sont plurielles, et produisent du sens politique. Osons associer la politique issue des luttes avec l’expérience revisitée des forces et mouvements politiques dans leur diversité et richesse.
Rejetons la tentation de rester toujours sur les modèles historiques immuables. Il ne s’agit pas de faire table rase. Mais de s’appuyer sur les expériences qui nourrissent la réflexion commune. Le « vieux » et le « neuf » s’interpénètrent pour aller de l’avant. Les peuples font partout bouger les anciennes certitudes et tâtonnent avec les nouvelles. Ils inventent sans cesse, notamment la jeunesse.
Construisons !
L’espérance d’émancipation vient de loin, des grandes révolutions populaires, des expériences du salariat et des luttes sociales entrecroisées. Elle vit toujours. Intégrons les données nouvelles de notre temps. Un sursaut général est indispensable.
Même si nous soutenons des listes différentes pour les élections européennes, nous proposons de construire du commun pour l’émancipation collective. C’est un chantier où toutes les bonnes volontés sont requises. La lutte des classes n’a pas disparu, ni le clivage gauche/droite. Les rapports de domination sociale, de sexe et d’origine se combinent avec l’exploitation économique. L’imaginaire écologiste doit imprégner les luttes sociales et inversement. La demande démocratique grandit partout, contre un pouvoir autoritaire et violent. La gauche n’est pas un acquis qu’il suffit d’afficher. Son sens a été dévoyé. Il faut la reconstruire dans les luttes, la refonder.
Dès à présent, beaucoup de luttes, de questions et de propositions nous rassemblent :
- Justice sociale et climatique, même combat !
- Égalité femmes/hommes dans le travail et toute la société !
- Refus de toutes les formes de racisme et de toutes les discriminations !
- Lutte contre le sexisme et les violences faites aux femmes, et contre l’homophobie.
- Solidarité internationale et accueil des populations migrantes ou réfugiées !
- Arrêt des privatisations en cascade ! Reconquête et développement des services publics et de la fonction publique !
- Pas touche à la retraite par répartition !
Le temps presse.
Débattons ensemble de toutes les questions à venir sans tabous et préparons l’alternative majoritaire.
Nos luttes méritent de trouver une issue politique.
Nous n’avons plus de temps à perdre. C’est maintenant ! Retrouvons-nous vite en juin pour entamer ce processus de reconstruction.
Premiers signataires :
René Agarrat, citoyen militant réinventer la gauche Marseille
Pouria Amirshahi, Président de Politis
Gérard Aschieri, syndicaliste
Etienne Balibar, philosophe
Fatima Benomar, militante féministe
Jean-Yves Billoré-Tennah, Maire de Tôtes (76), Génération.s, Candidat aux élections européennes sur la liste du Printemps Européen
Laurence Boffet, conseillère d’arrondissement Lyon 1er– Ensemble !
Jean-Claude Branchereau, syndicaliste
Patrick Brody, syndicaliste
Michel Cahen, directeur de recherche CNRS, Bordeaux.
Jean Combasteil, ancien député et ancien maire de Tulle
Armand Creus, Ensemble !
Christophe Delecourt, syndicaliste
Gilles Desseigne, syndicaliste
François Dubreuil, EELV, Unis pour le climat
Olivier Dupuis, syndicaliste
Michèle Ernis, Conseillère municipale Saint-Etienne du Rouvray- Ensemble !
Emile Fabrol, NPA
Olivier Frachon, cadre
Frédéric Genevée, historien
Karl Ghazi, syndicaliste
Jean-Marie Harribey, économiste
Pierre Khalfa, économiste
Jean-Yves Lalanne, maire de Billère (64), GDS
Jacques Lerichomme, syndicaliste
Thierry Lescant, syndicaliste, féministe
Jean-Claude Mamet, militant d’Ensemble !