Gustave Massiah, Cerises, 28 mars 2020
Une pandémie est par définition une question mondiale, une question globale. Cette pandémie n’est pas la première, y compris dans la période récente. Comment expliquer, alors même que le nombre de décès est relativement faible par rapport aux autres causes de la mortalité des sociétés, l’effet de stupeur qu’elle provoque et qui se traduit par un fait à peine croyable : un tiers de la population mondiale est confiné et toutes les activités habituelles sont suspendues, en attente indéterminée.
Certes les épidémies bouleversent les situations, elles rappellent la fragilité de la condition humaine dans son rapport à la mort. Cette pandémie a joué un rôle de révélateur par rapport à la situation du monde ; par rapport à la fragilité du système mondial, à la logique économique, sociale et politique dominante, à la fragilité des systèmes de santé, à l’impréparation des gouvernants, à la profondeur d’une véritable crise de civilisation. Elle constitue une rupture épistémologique dans la connaissance du monde et la manière de le penser.
Quelques premières leçons
La situation a révélé la nature du système économique et social dominant et sa fragilité. La mondialisation des activités productives organisée par le capital financier a démontré l’épuisement du néolibéralisme et les limites du capitalisme. La fragilisation des systèmes de santé a mis en lumière les conséquences de la marchandisation, de la privatisation et de la financiarisation des services publics comme de toutes les activités. Le confinement a démontré que les inégalités de territoire commencent avec le logement et les terres agricoles.
A partir du climat, de la biodiversité, de la coexistence des espèces, la Nature reprend ses droits et rappelle au vivant qu’elle ne peut être oubliée, méprisée, humiliée. La rupture écologique impose une conception radicalement nouvelle de la transformation de chaque société et du monde.
La géopolitique est en plein bouleversement. La pandémie, question mondiale, a été traitée par chaque Etat de manière nationale, souvent nationaliste. Les institutions internationales ont été détruites et sont absentes. Les multinationales contrôlent le travail et chaque société à partir de leur contrôle du système international. L’impérialisme occidental conserve toujours sa supériorité militaire ; mais la capacité de penser le monde semble s’être déplacée vers l’Asie. Cette évolution traduit un processus qui prolonge la décolonisation et qui s’apparente à la fin d’une civilisation.
La confrontation se déploie sur le plan idéologique et politique. L’hégémonie culturelle du néolibéralisme est mise en cause. Les inégalités ne sont pas acceptées. Le politique est à réinventer en partant de la mise en cause de la corruption qui traduit la fusion entre la classe politique et la classe financière. L’autoritarisme est la réponse des classes dirigeantes. La solidarité populaire qui se manifeste dans la réponse à la pandémie et au confinement redéfinit des formes démocratiques et le refus des violences d’état. L’impératif démocratique recherché combine l’égalité et les libertés.
L’Etat-Nation semble s’être imposé comme recours et comme référence. Il n’est pas incompatible avec le néolibéralisme. Le marché ne peut se suffire à lui-même, le néolibéralisme a besoin d’Etats à son service. L’Etat-Nation est aussi interpellé sur sa capacité à garantir un niveau de vie acceptable, sur les inégalités et les discriminations, sur la manière d’assurer la sécurité dans le respect des droits fondamentaux. L’Etat social se définit par les services publics qui sont plébiscités. La souveraineté est vécue de manière contradictoire ; par l’exclusion des autres et aussi par la recherche de la solidarité entre les peuples et la recherche des solutions communes.
Résister à la stratégie du choc
A la sortie de l’épisode pandémique, les classes dirigeantes vont chercher à affirmer leur contrôle. Il leur faudra faire oublier leur faillite dans la prévision et le traitement de la pandémie. Pour reprendre le contrôle, elles pourraient faire appel à la « stratégie du choc » si bien dévoilée par Naomi Klein. Elles pourraient, à l’inverse, comme après 1945 chercher des solutions de compromis social, élargies à des mesures écologiques. Certaines fractions de ces classes pourraient y être favorables. Toutefois, l’épisode de la crise financière de 2008 a montré que le néolibéralisme a préféré un tournant austéritaire en s’appuyant sur une idéologie xénophobe, raciste, sécuritaire pour répondre à la contestation des mouvements qui ont commencé en 2011 et qui n’ont pas arrêté depuis.
Il faut donc s’attendre au déploiement de violences autoritaires préfigurées par les politiques de Trump aux Etats-Unis, Bolsonaro au Brésil, Dutrertre aux Philipines, Mohdi en Inde, Orban en Hongrie et autres. Le risque est grand aussi que les contradictions géopolitiques se traduisent par l’exacerbation des conflits et des guerres de plus grande intensité. Pour résister à la stratégie du choc, la lutte pour la démocratie et les libertés, dans chaque pays devient prioritaire. Elle nécessite de mener au niveau international la lutte contre les guerres et pour la paix.
Amorcer et imposer les alternatives
La résistance est indissociable de la définition des alternatives pour un autre monde possible, plus juste et plus solidaire. La pandémie globale a révélé la profondeur de la remise en cause du système dominant ; elle rappelle l’urgence du dépassement de la mondialisation capitaliste néolibérale. Il s’agit de concrétiser un accès aux droits fondamentaux pour toutes et tous et une co-construction d’un nouvel universalisme. Elle met en avant les approches nouvelles, celles des biens communs, du buen-vivir, de la révolution féministe, de la prospérité sans croissance, de la propriété sociale et collective, de la gratuité et les services publics, de la démocratisation radicale de la démocratie, etc. La stratégie est celle de la transformation écologique, sociale, démocratique et géopolitique. Les alternatives existent, elles sont multiples à l’image des énergies renouvelables, des relocalisations, de la souveraineté alimentaire, des monnaies locales, de la taxation des transactions financières, de la socialisation des banques, … Il s’agit de les développer à l’échelle sans perdre leur radicalité et d’éviter leur récupération et leur contrôle par la marchandisation et la financiarisation.
Construire une réponse internationale
L’engagement citoyen doit déployer son inventivité à toutes les échelles
– les mouvements sociaux et citoyens peuvent s’engager dans le mouvement général et considérable des solidarités locales
– les mouvements sociaux et citoyens peuvent revendiquer, dans chaque pays,la mise en oeuvre de politiques publiques de défense de l’intérêt général et une démarche démocratique d’élargissement des libertés et de l’égalité
– Le FMI, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce doivent être déférées devant la Cour Internationale de Justice pour répondre des politiques qui ont mené le monde à la catastrophe écologique, économique et sociale
– L’annulation des dettes illégales et illégitimes, publiques et privées, sera une première étape dans la redéfinition d’un nouveau système économique international – Une Assemblée générale Extraordinaire des Nations Unies doit être convoquée pour organiser un débat international fondé sur l’approfondissement et l’effectivité de la Déclaration Universelle des Droits Humains et sur l’élaboration d’une déclaration des droits des peuples et des droits de la planète.
Dans l’immédiat, il est urgent de relier l’impératif écologique avec l’altermondialisme et l’internationalisme. L’approche écologique confirme et renouvelle les impératifs sociaux et démocratiques. L’altermondialisme est construit par la diversité et la convergence des mouvements sociaux et citoyens ; il entre dans une nouvelle phase. L’internationalisme avait le souci des capacités d’organisation, de la spécificité du politique, de l’articulation des échelles du local, au national et au mondial. Il est à réinventer.