Les soignants se sont largement mobilisés ce 16 juin, après plusieurs semaines de préparation et en pleine mobilisation contre les violences policières. Une journée de lutte très réprimée, car cette première date, et les débuts de convergences, pourraient bien être la recette d’un cocktail explosif pour le gouvernement.
Ceux qui ont été applaudis pendant près de deux mois de confinement et traités en héros, ont décidé de se mobiliser ce 16 juin. Dans différentes villes de France, ils sont descendus dans les rues par milliers, malgré les contraintes, et le 16 juin a fédéré la colère du monde hospitalier. Des infirmières, en passant par les aides-soignantes, sages-femmes, urgentistes, ou travailleurs en psychiatrie ou en EPHAD, le monde hospitalier a répondu présent au rendez-vous.
Des manifestations avec aux avant-postes des femmes, travailleuses précarisées et en première ligne pendant l’épidémie, qui revendiquaient « du fric, du fric, pour l’hôpital public ». À Paris, sur des banderoles de sages-femmes, on voit écrit : « 120 000 bébés sont nés pendant le confinement », et des aides-soignantes chantent : « Les soignants sont rabaissés, sont sous-payés, les soignants sont en colère ». Une élève infirmière exprime son désarroi : « On ne veut pas être des héros, mais on veut être humains, on veut avoir des conditions de travail dignes, c’est tout ce qu’on demande. ».
En plein Ségur de la Santé, ils ont décidé de sortir dans les rues, car pour Grégory, infirmier et porte-parole de collectif inter-bloc à Toulouse, par exemple : « Ça a l’air plutôt d’une grande mascarade, plutôt qu’un vrai plan de santé pour les soignants et l’hôpital ». Dans les cortèges, on chante « Macron, Véran, assassins » ou encore « Ni médailles, ni Ségur, arrêt des fermetures ». Un Ségur qui n’a en vérité comme objectif, comme de nombreux soignants l’ont compris, que de continuer la flexibilisation, la casse des 35h et l’introduction de partenaires privés, derrière des primes et des médailles.
Leurs revendications sont claires : des augmentations salaires, des moyens, des embauches, la fin des contrats précaires et des suppressions de postes ou de lits. « Le gouvernement a cru que nous serions trop épuisés pour être en colère. Mais la crise du Covid provoque justement l’effet inverse. On tiendra jusqu’au bout. Il est hors de question de laisser mourir l’hôpital public. », s’insurge Olivier, technicien de laboratoire à l’hôpital Henri Mondor pour Libération. La crise sanitaire, pour eux, c’est un révélateur de leur précarité et de la réalité de leurs conditions de travail et ils ne comptent pas en rester là.
Pendant que Macron visite Sanofi, les manifestations sont réprimées par la police. En pleine mobilisation sur les violences policières, la rage est importante dans la population face aux images de soignants gazés ou interpellés, comme cette soignante, embarquée par les cheveux et blessée à la tête. Tout ça alors qu’elle tendait sa blouse à la police. Sabrina Ali Benali, médecin urgentiste et membre du collectif Inter Urgence, s’insurge sur les réseaux sociaux du niveau de répression : « Bon, monsieur Macron, on a demandé de l’argent pas du gaz lacrymo. […] On balance du gaz sur des gens qui ont sauvé des vies pendant trois mois ».
Le dispositif policier mis en place n’étonne plus, mais il énerve. A Toulouse, les policiers chargent, et à Lille ils gazent la foule. La colère des soignants fait peur, elle pourrait agréger largement ceux qui voient bien que le gouvernement n’a pas su gérer la crise sanitaire et que ce sont les travailleurs qui ont été les premiers de corvées. Éric Tricot, infirmier anesthésiste à Mondor explique : « On doit déranger parce qu’on vient de se faire gazer en direct. Surement que le personnel soignant, premier de cordée et qualifié de héros gêne ce gouvernement et son calendrier. ».
De fait, élément notable, des travailleurs d’autres secteurs ont fait le déplacement pour manifester avec les soignants. Comme les travailleurs de Derichebourg, entreprise d’aéronautique, dans laquelle les salariés se sont battus contre un plan de restructuration. Seif, l’un d’eux, explique : « Ce n’est pas aux salariés de payer la crise. On ne négocie pas le poids des chaines et ce qui se passe chez nous, ne doit pas se passer ailleurs. ». Des travailleurs en première ligne face au patronat et à la crise économique qui se sont sentis solidaires avec les soignants : de quoi faire un cocktail explosif pour le gouvernement.
Des travailleurs des transports étaient aussi présents, cheminots, machinistes mais aussi des profs ou des pompiers, par exemple à Lille. Des professions essentielles qui ont dû braver le virus elles-aussi pour assurer que la société tourne. En clair, le début de jonctions qui serait essentielles pour imaginer gagner. Comme l’explique Diane, professeur à Toulouse : « Il faut créer une convergence entre toutes les luttes car ce n’est que comme ça qu’on arrivera à faire en sorte que ce ne soit pas aux travailleurs de payer la crise, mais à l’Etat et à tous ceux qui sont responsables. »
Autre image forte des manifestation, la présence de Assa Traoré et de membres du comité Adama, aujourd’hui en lutte contre les violences policières et le racisme. Le constat est clair après la répression subie par les soignants : les alliés ne sont ni la police ni le gouvernement, mais bien ceux qui luttent contre ces derniers. Assa, figure des mobilisations actuelles de la jeunesse explique : « Aujourd’hui on est là pour les soignants, et on n’oublie pas aussi toutes les personnes qui ont œuvré pour que la France continue à tourner, que ce soit les caissières, les agents du nettoyage, les chauffeurs-livreurs, etc. C’est notre combat à tous ! »
En effet, c’est la convergence de tous ces secteurs essentiels – précaires et en première ligne, souvent issus des quartiers populaires – contre un monde où exploitation va avec oppression raciste, mais aussi de tous ceux à qui ont veut faire payer la crise – travailleurs des grandes concentrations ouvrières, jeunesse – qui peut permettre de penser un autre monde pour demain. La mobilisation des soignants doit être le premier pas vers l’alliance des travailleurs et des jeunes contre les attaques qui nous attendent.