Par Abdallah Abou Kmail, As-fari Al-Arabi, publié le 28 avril 2020
Une véritable conscience sociétale est devenue un réflexe instinctif pour les habitants de Gaza qui réalisent sa nécessité vitale. Il en est ainsi pour le virus pandémique qui viendra à bout de ceux qu’il contamine s’il n’est pas maitrisé dans une ville où, avant même de parler d’infrastructures de protection de la santé, les besoins les plus rudimentaires indispensables à la vie manquent.
L’apparition de ce virus est l’occasion d’attirer l’attention sur l’énergie déployée par la jeunesse de Gaza dont les initiatives spontanées éducatives, industrielles ou créatives sont parvenues à développer des services généralement fournis par des équipes gouvernementales, en plus de trouver des solutions pour contenir l’épidémie du Corona dans la région qui abrite la plus grande densité de population au monde.
La nécessité est la mère de l’invention
Immédiatement après l’annonce de la présence de cas contaminés par le Corona en Palestine, et avant même que le virus n’atteigne le secteur de Gaza assiégé, les idées se sont multipliées :
– L’application de suivi QR
Le design QR est un algorithme technologique sur lequel ont travaillé trois jeunes diplômés de l’université locale. Son objectif principal est de localiser le mouvement des personnes dans l’espace public. La photo d’un code QR permet d’identifier le cas contaminé et de suivre ses déplacements. Ce logiciel sera utilisé pour détecter les cas infectés et identifier ceux qui les ont côtoyés afin de réduire la propagation du virus et faciliter le recensement des cas d’infection. Les créateurs de cette application, qui se distingue par un fonctionnement offline, ont développé la possibilité pour le Ministère de la Santé d’y publier des informations vérifiées et des recommandations, en plus de la fonctionnalité d’archivage du dossier médical personnel qui peut être utilisé dans d’autres cas d’urgences, avec un suivi médical s’appuyant sur la disponibilité d’un registre spécial pour chaque patient. L’application a immédiatement reçu l’accréditation du Ministère de la Santé en Palestine. Ses créateurs ont été contacté par des parties tierces telles que la Suisse, leur proposant d’acheter l’invention, ce qu’ils ont refusé, « le principe de cette idée est humanitaire, nous ne voulons pas la vendre mais que tout le monde puisse l’utiliser ». La Jordanie s’est déclarée prête à adopter l’application, ce sur quoi certains organismes internationaux présents à Gaza travaillent.
– La fabrication d’appareils d’assistance respiratoire à Gaza
La pénurie mondiale d’appareils respiratoires causée par la pandémie du Corona a amené des ingénieurs de Gaza à penser des techniques de substitution. Aussi simples de fabrication soient-elles, ces alternatives permettraient de surmonter la phase de danger en cas de poussée épidémique de la maladie. Ainsi, un ingénieur de Gaza a travaillé sur la création d’un respirateur artificiel industriel qui pourrait être utilisé par les hôpitaux, si le nombre de contaminés venait à augmenter. L’appareil a été créé avec des matériaux simples, disponibles sur le marché : un moteur d’essuie-glace, une petite unité de pompage d’air, des équipements spéciaux pour contrôler la vitesse ainsi que quelques ajouts supplémentaires. A un prix ne dépassant pas les 200 Dollars, le travail sur le dispositif a été salué par les autorités sanitaires après des essais concluants. Grâce à une batterie externe, l’appareil possède une autonomie de fonctionnement de plusieurs heures en cas de coupures d’électricité, fréquente à Gaza. Les créateurs du projet seraient capables de subvenir à 60% des besoins posés par la crise en peu de temps.
– Un algorithme de détection du virus
Cette innovation aide à la détection précoce de cas contaminés par le virus en une minute seulement, palliant aux difficultés d’effectuer le prélèvement d’échantillons PCR -procédure médicale au coût élevé. Le logiciel, utilisé par un hôpital en Italie, a permis de diagnostiquer 713 cas de contaminations sur 3000 personnes testés avec un taux de précision de 83%. Créé à Gaza par le jeune Mohamad Abou Ghoch, le programme s’appuie sur un algorithme de lecture de radiographies. L’algorithme travaille sur la réception de trois types de clichés: X-Ray, tomographie (CT) et Ultrason qui sont lues grâce à une technologie dont la fonction est de détecter l’infection en comparant les images de poumons de personnes malades et celles de personnes saines ou souffrant d’une infection ordinaire. 55 mille images différentes (Tomographie – Ultrason – X-Ray) de personnes atteintes par le virus ont été recueillies dans 13 pays européens et deux pays arabes, ainsi que 30 mille images d’infections pulmonaires ordinaires. La comparaison est faite entre ces images durant l’examen. Le logiciel est transportable et peut donc être utilisé dans un contexte de confinement sanitaire. Le programme est en train d’être développé afin qu’il puisse détecter l’infection par le larynx, pour une plus grande rapidité des résultats. Pour ce qui est de la possibilité de mettre en œuvre cette technologie dans la bande de Gaza, Mohamed s’est heurté au fait que le seul appareil digital transportable de radiographie CT et X-Ray de la région se trouve à l’hôpital central « Al Chifa »qui ne peut s’en passer. Le Ministère de la Santé s’est déclaré disposé à fournir un second appareil qui pourra être utilisé pour aider à la détection de cas infectés.
C’est dans la difficulté que les gens se révèlent
La plupart des gens n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins quotidiens puisqu’ils comptaient sur le revenu d’un travail journalier dans une région assiégée et confrontée à plusieurs défis économiques. Mais les habitants de Gaza, qui est habituée aux longues souffrances, prouvent à chaque fois l’étendue de leur solidarité dans les moments difficiles. Dès l’annonce de l’état d’urgence, la jeunesse s’est manifestée, menant des campagnes bénévoles humanitaires et sociales pour pallier aux manques importants révélés par la situation. Ces militants se sont engagés sérieusement et ont lancé plusieurs initiatives, telles que :
– « Al Kol Lal Kol » (ndlr. Tous solidaires) part du principe de la responsabilité sociale à Gaza. L’initiative assure le réapprovisionnement d’un stock destiné aux centres de mise en quarantaine, au Ministère de la Santé et aux familles les plus pauvres. L’initiative repose sur les dons du secteur privé, des entreprises et des hommes d’affaires. Les donations sont récoltées quotidiennement et distribuées de façon organisée en coordination avec les institutions gouvernementales. Le but de l’initiative est de continuer à présenter ces aides le plus longtemps possible.
– « Abna’ Al Balad » (ndlr. Les enfants du pays) est une initiative qui s’est occupée d’apporter un soutien aux familles mises en quarantaine et de mener des campagnes de sensibilisation auprès des habitants. Avec de petits moyens, les jeunes gens à l’origine de cette initiative ont œuvré à l’amélioration des conditions de vie dans les centres de mise en quarantaine du Sud de la bande de Gaza, à la provision de repas pour quelques familles dans le besoin et à la distribution de désinfectants pour prévenir l’infection du virus.
– « Ayla Wahda » (ndlr. Une seule famille) a été initiée par des fonctionnaires du gouvernement dirigé par le Hamas qui ont fait don d’une partie de leurs salaires accumulés auprès du Gouvernement aux familles pauvres et aux travailleurs journaliers rendus au chômage. Chaque famille reçoit environ 60 dollars (200 shekels). L’ensemble des contributions des fonctionnaires a dépassé les 400 mille dollars. Selon les instigateurs de la campagne, les contributions sont volontaires et l’objectif est d’arriver à la somme d’un million de shekels à distribuer à 5 mille familles démunies.
– « Takiyat Al Kheir » (ndlr. L’hospice du bienfait), récolte des habits de seconde main pour les distribuer aux familles les plus pauvres, après les avoir lavés et repassés. L’initiative, lancée après l’annonce de l’état d’urgence, s’est activement employée avec le début de l’épidémie en recueillant les objets utilisés et tout ce dont les familles donatrices pouvaient se passer pour les redistribuer à celles dans le besoin et, plus particulièrement, aux travailleurs arrêtés.
– Les budgets des mariages ont été transformés en aides humanitaires. Le jeune Abdul Rahman Hamdan est le premier à avoir initié cette pratique en décidant de raccourcir les rituels de sa cérémonie de mariage et d’utiliser le budget prévu à cet effet pour acheter des colis alimentaires qu’il a distribué durant sa nuit de noce aux familles dans le besoin. Le lendemain il a continué, avec son épouse, la distribution de paniers alimentaires.