Ramzy Baroud, Chronique de Palestine, 28 décembre 2019
Qu’est-ce que Gaza pour nous ? Sinon un missile israélien, une roquette artisanale, une maison démolie, un enfant blessé emporté par ses parents sous une grêle de balles ?
Au quotidien, Gaza nous est transmise comme une image sanglante ou une vidéo dramatique, dont aucune ne peut vraiment saisir la réalité quotidienne de la bande de Gaza – sa formidable constance, les actes de résistance quotidiens et le type de souffrance qui ne peut jamais être vraiment compris à travers un coup d’œil habituel à un poste sur les réseaux sociaux.
Enfin, le procureur en chef de la Cour internationale de Justice (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé être « persuadée » que « des crimes de guerre ont été – ou sont – commis en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et Gaza. » Dès que la déclaration de la CPI a été faite le 20 décembre, les groupes pro-palestiniens ont ressenti un rare moment de soulagement. Enfin, Israël sera accusé, pouvant potentiellement payer pour ses bains de sang répétés dans la bande de Gaza isolée et sous blocus, son occupation militaire et l’apartheid en Cisjordanie, et bien plus encore.
Cependant, il pourrait falloir des années à la CPI pour entamer ses procédures judiciaires et rendre son verdict. De plus, il n’y a aucune garantie politique qu’une décision de la CPI inculpant Israël soit respectée, et encore moins appliquée.
Durant tout ce temps, le siège de Gaza a persisté, interrompu régulièrement par une agression massive, comme celle de 2014, ou moins destructrice, similaire à la dernière attaque israélienne de novembre. Et à chaque guerre, des statistiques plus sombres sont produites, plus de vies sont brisées et plus d’histoires douloureuses nous sont rapportées.
Pendant des années, des groupes de la société civile du monde entier se sont activés à contester cet horrible statu quo. Ils ont organisé des veillées et rassemblements, écrit des lettres à leurs représentants politiques, etc… En vain. Frustré par l’inaction des gouvernements, un petit groupe de militants s’est rendu à Gaza dans un petit bateau en août 2008, réussissant à faire ce que les Nations Unies n’ont jamais fait : ils ont brisé, même si c’est de manière éphémère, le siège israélien sur le territoire appauvri.
Cette action symbolique du mouvement Free Gaza a eu un impact énorme. Elle a envoyé un message clair aux Palestiniens de la Palestine sous occupation, que leur sort n’est pas seulement déterminé par le gouvernement israélien et sa machine militaire; qu’il existe d’autres acteurs capables de remettre en cause l’effroyable silence de la communauté internationale; que tous les Occidentaux ne sont pas aussi complices que leurs gouvernements des continuelles souffrances du peuple palestinien.
Depuis lors, de nombreuses autres missions de solidarité ont tenté de faire de même, traversant la mer sur des flottilles ou dans de grandes caravanes à travers le désert du Sinaï. Certaines ont réussi à atteindre Gaza, fournissant de l’aide médicale et d’autres produits de première nécessité. La majorité, cependant, a été renvoyée ou a vu ses bateaux piratés dans les eaux internationales par la marine israélienne.
Il en est résulté l’écriture d’un nouveau chapitre de la solidarité avec le peuple palestinien, qui a dépassé les manifestations occasionnelles et la signature répétée de pétitions.
La Deuxième Intifada palestinienne, le soulèvement de 2002, avait déjà redéfini le rôle du « militant » en Palestine. La formation du Mouvement de solidarité internationale (ISM) a permis à des milliers de militants internationaux du monde entier de participer à une «action directe» en Palestine – remplissant ainsi, même symboliquement, un rôle qui est généralement joué par une force de protection des Nations Unies.
Mais les militants d’ISM ont utilisé des moyens non violents pour manifester le rejet par la société civile de l’occupation israélienne. On s’attendait à ce qu’Israël ne tienne aucun compte du fait que bon nombre de ces militants venaient de pays jugés « amis » selon les normes de Tel Aviv. Le meurtre des ressortissants américain et britannique Rachel Corrie et Tom Hurndall à Gaza en 2003 et 2004 respectivement, n’était que le précurseur de la violence israélienne qui allait suivre.
En mai 2010, la marine israélienne a attaqué la Flottille pour la liberté composée du navire turc « Mavi Marmara » et d’autres, assassinant dix humanitaires non armés et en blessant au moins 50 autres. Comme pour le meurtre de Rachel et Tom, aucun compte n’a été rendu pour l’attaque israélienne contre les bateaux de la solidarité.
Il faut bien comprendre que la violence israélienne ne choisit pas ses cibles au hasard et n’est pas seulement le reflet du mépris bien connu d’Israël à l’égard du droit international et humanitaire. À chaque épisode violent, Israël espère dissuader les acteurs extérieurs de s’impliquer dans les « affaires israéliennes ». Pourtant, à maintes reprises, le mouvement de solidarité est revenu avec un message de défi, rappelant avec insistance le fait qu’aucun pays, pas même Israël, n’a le droit de commettre des crimes de guerre en toute impunité.
À la suite d’une récente réunion dans la ville néerlandaise de Rotterdam, la Coalition internationale de la flottille pour la liberté, composée de nombreux groupes internationaux, a décidé, une fois de plus, de naviguer vers Gaza. La mission de solidarité est prévue pour l’été 2020 et, comme la plupart des 35 tentatives précédentes, la flottille est susceptible d’être piratée par la marine israélienne. Pourtant, une autre tentative suivra probablement, et bien d’autres, jusqu’à ce que le siège de Gaza soit complètement levé.
Il est devenu clair que le but ultime de ces missions humanitaires n’est pas d’apporter quelques fournitures médicales aux près de deux millions de Gazaouis assiégés, mais de remettre en question le discours israélien qui a transformé l’occupation et l’isolement des Palestiniens en un statu quo ante, en une « affaire israélienne ».
Selon le Bureau des Nations Unies en Palestine occupée, le taux de pauvreté à Gaza semble augmenter à une vitesse alarmante de 2% par an. À la fin de 2017, 53% de la population de Gaza vivait en état de pauvreté, les deux tiers d’entre eux vivant dans une « pauvreté extrême« . Ces chiffres terribles incluent plus de 400 000 enfants.
Une photo, une séquence vidéo, un tableau de statistiques ou une publication sur les réseaux sociaux ne pourra jamais communiquer réellement la douleur de 400 000 enfants, qui connaissent une véritable faim chaque jour de leur vie afin que le gouvernement israélien puisse imposer ses desseins militaires et politiques à Gaza. En effet, Gaza n’est pas seulement un missile israélien, une maison démolie et un enfant blessé. C’est une nation entière qui souffre et résiste, dans un isolement presque complet du reste du monde.
La véritable solidarité devrait avoir pour objectif de forcer Israël à mettre fin à son occupation et à son siège contre le peuple palestinien, en naviguant en haute mer si nécessaire. Fort heureusement, c’est ce que font les remarquables militants de la Flottille pour la liberté.
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