Le siège du Parlement guatémaltèque en proie aux flammes : c’est le symbole fort de la colère de la population après le vote par les députés, mercredi, du budget 2021. Les manifestants exigeaient en outre le départ du président Alejandro Giammattei, comme lors du printemps 2015, lors de la mobilisation citoyenne contre Otto Pérez Molina, par la suite lourdement condamné pour corruption.
Des flammes gigantesques ont ravagé l’intérieur du bâtiment, situé dans le centre historique de la capitale, Ciudad de Guatemala. La façade était constellée de graffitis antigouvernementaux : «Voleurs», «A bas le pacte de corruption». Une cinquantaine de personnes ont été hospitalisées pour blessures et intoxications par la fumée, dont une dans un état grave. Quelques dizaines de protestataires sont entrés dans les locaux en brisant des vitres et ont mis feu aux bureaux, alors que les élus étaient absents de l’hémicycle. La police a arrêté une vingtaine d’émeutiers.
Une dette publique insoutenable
Le budget pour l’année prochaine a été voté, dans la précipitation et l’opacité, par des députés en majorité conservateurs et liés à la présidence. Les séances, qui ne sont pas publiques pour raisons sanitaires, n’ont pas non plus été diffusées sur les réseaux sociaux. Les débats ont été expéditifs et l’opinion n’a pas été informée. Des analystes économiques ont mis en garde contre le risque qu’un tiers du budget, d’un total de 11 milliards d’euros, le plus élevé de l’histoire du pays, soit financé par la dette, comme proposé. La dette publique va ainsi représenter 36% du PIB, contre 33% en 2020 et 25% en 2018. Un taux insoutenable pour un pays aux faibles ressources fiscales.
En outre, la plupart des fonds sont destinés à des infrastructures gérées par des entrepreneurs et négligent les grandes priorités : la pauvreté, la santé et l’école. Sur près de 17 millions d’habitants du Guatemala, 60% vivent dans la pauvreté et la malnutrition infantile touche près de la moitié des enfants de moins de 5 ans. Les hôpitaux sont laissés pour compte ainsi que le système scolaire, que de nombreux élèves ont abandonné à la suite du confinement.
Où va donc l’argent ? Un milliard de quetzales (108 millions d’euros) sont destinés à la reconstruction après les ravages, ces derniers jours, des ouragans Eta et Iota, qui ont provoqué au moins 150 morts et disparus. 152 millions d’euros seront consacrés à réactiver l’économie paralysée par le coronavirus, et 184 millions d’euros à sept grands chantiers d’infrastructures. Mais la loi votée ne détaille pas la somme allouée à chacun d’eux.
Pots-de-vin et malversations
Ces «megaobras» rappellent de mauvais souvenirs aux Guatémaltèques, tant ces travaux notamment routiers ont été prétextes à des pots-de-vin et à des malversations. Le dernier exemple en date est la voie de contournement de la ville de Chimaltenango, projet phare du précédent chef de l’Etat, l’ex-comique télévisuel Jimmy Morales. Dès sa mise en service en 2018, la route a accumulé les défauts : inondations, glissements de terrain… Un drainage mal conçu se déverse sur les terres et ruine les récoltes de dizaines d’agriculteurs. Certains conduits d’évacuation ravagent un parc naturel censé être protégé. Mais l’étude d’impact environnemental a été bâclée, et l’argent censé lui être consacré s’est évaporé. Le chantier a été confié à Conasa, le principal opérateur de BTP du pays, qui remporte la grande majorité des appels d’offres publics.
Au mois de juillet, une enquête a été ouverte par le bureau du procureur anticorruption pour des soupçons de détournements de fonds dans le chantier. Le principal suspect est le précédent ministre des Communications, Infrastructures et Logement, José Luis Benito, contre qui un mandat d’arrêt a été lancé. En octobre, les enquêteurs découvraient dans une maison louée par le ministre la somme de 122 millions de quetzales (13 millions d’euros), répartie dans 22 valises. Il a fallu plusieurs jours pour compter le magot, ce qui a donné le temps à José Luis Benito de disparaître dans la nature.
Au-delà du budget contesté, le Guatemala vit une crise politique majeure, dix mois seulement après l’arrivée au pouvoir de Giammattei, un médecin de 64 ans. Ses désaccords avec le vice-président Guillermo Castillo s’étalent désormais sur la place publique. Dans la nuit de vendredi à samedi, avant l’incendie du Parlement, Castillo exhortait Giammattei à démissionner avec lui, afin d’apporter «de l’oxygène» à la nation. La population voit en outre d’un mauvais œil la montée en puissance de Luis Miguel Martínez Morales, le principal conseiller du Président. Un ingénieur de 31 ans sans expérience de la gestion publique, que Giammattei s’apprêterait à nommer à un poste de super-ministre créé à sa mesure.