Entrevue avec Walner Osna par Ruby Chabannes, ONFR+, 20 mai 2021
Étudiant au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa, assistant à l’enseignement, membre du Collectif de recherche sur les migrations et les racismes (COMIR) et de la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti, Walner Osna est un spécialiste des enjeux d’Haïti, son pays d’origine.
« Où prend sa source la crise que traverse Haïti ?
C’est une situation complexe et structurelle. Elle est la résultante d’une domination états-unienne qui remonte au 20e siècle avec l’occupation du pays de 1915 à 1934. Après 1986, malgré les acquis politiques et sociaux, on n’est jamais arrivé à instaurer un régime qui reprenne les revendications populaires et les idéaux de la révolution haïtienne. Le pays a, au contraire, suivi un modèle néolibéral qui a aggravé la situation socio-économique. Cette domination des États-Unis perdure encore aujourd’hui, pour des raisons géopolitiques et économiques car le pays est convoité pour ses ressources naturelles.
Quelles sont les conditions de vie actuellement en Haïti ?
La situation s’est dégradée extrêmement vite au cours des quatre dernières années. Plus de quatre millions de personnes ont des difficultés d’accès à la nourriture, à l’eau et au logement social. On est dans un contexte de corruption généralisée, de criminalisation et d’insécurité planifiée qui a des incidences considérables sur la vie du peuple haïtien. Les gens ont peur. Les questions prioritaires comme la pauvreté, la sécurité et les infrastructures ne sont pas traitées. Des bandes illégales armées se livrent à des enlèvements sans que la police n’intervienne.
Pourquoi le pouvoir en place ne parvient-il pas à redresser le pays ?
Que sont devenus les 3,8 milliards de dollars générés par Petrocaribe, cette alliance entre les pays caribéens et le Venezuela ? N’étaient-ils pas destinés à financer des programmes sociaux ?
L’argent a été détourné. Mais Petrocaribe n’est pas simplement un acte de pillage et de corruption du pouvoir. C’est aussi le résultat d’une complicité internationale pour faire échec à l’application de cet accord, car toute coopération ou solidarité entre pays d’Amérique latine remettait en question les rapports qu’entretient Haïti avec les États-Unis, la France, le Canada et les organisations internationales comme le FMI (Fonds monétaire international) qui n’apportent aucune retombée positive pour les classes populaires. En ce sens, l’échec de Petrocaribe est une forme de recolonisation.
Quelle est la stratégie du régime en place ? Y a-t-il un risque de dérive autoritaire ?
L’enjeu pour le président est de pérenniser un système d’impunité et d’injustice, en changeant la constitution par référendum. Un article prévoit que le président ne peut être poursuivi, même après son mandat, pour les actes commis dans le cadre de ses fonctions. Cela lui permettrait d’échapper à la justice pour les massacres qu’il a perpétrés. Il a clairement pris le chemin d’une instauration dictatoriale, depuis le 7 février et son maintien au pouvoir alors que son mandat est arrivé à terme.
Comment sortir de ce bourbier géopolitique et redonner de l’espoir aux Haïtiens ?
C’est au peuple haïtien de prendre souverainement en main son pays, dans un large consensus. Seul un gouvernement de transition de rupture pourra créer les conditions d’un retour à la justice sociale, à un climat de paix et de confiance. Il faut repenser les politiques économiques qui ont engendré la misère et la dépossession des paysans au profit de mégaprojets. Il faut aussi retrouver une souveraineté sur les ressources, l’énergie, l’alimentation mais aussi les douanes pour réduire l’importation d’armes. Le système judiciaire doit être autonome pour que les coupables de massacres soient jugés conformément à la loi. Le peuple l’a compris et lance de plus en plus de mise en garde aux politiciens.
Y a-t-il des signaux positifs d’un tel changement ?
Oui, il y a de bons signaux. Le peuple s’est soulevé contre l’idée du référendum constitutionnel et l’Europe a montré une certaine réserve sur ce projet. Je reste optimiste que la mobilisation populaire va faire échec à ce régime. Cette mobilisation doit se poursuivre en Haïti mais aussi ici, au Canada, pour créer une opinion critique dans la société canadienne car ce sont les taxes des citoyens canadiens qui financent par exemple la police haïtienne qui devient actuellement une milice gouvernementale. Le Canada ne peut pas se réclamer pays démocratique et parallèlement appuyer un régime dictatorial. »